mercredi 16 novembre 2011

Critique 281 : BATMAN - THE RETURN OF BRUCE WAYNE, de Grant Morrison, Chris Sprouse, Frazer Irving, Yanick Paquette, Georges Jeanty, Ryan Sook, Lee Garbett et Pere Pérez


Batman : the return of Bruce Wayne #1
(couverture et dessins de Chris Sprouse)

Batman : the return of Bruce Wayne #2
(couverture et dessins de Frazer Irving)

Batman : the return of Bruce Wayne #3
(couverture et dessins de Yanick Paquette)

Batman : the return of Bruce Wayne #4
(couverture de Cameron Stewart, dessins de Georges Jeanty)

Batman : the return of Bruce Wayne #5
(couverture de Ryan Sook, dessins de Ryan Sook et Pere  Pérez)

Batman : the return of Bruce Wayne #6
(couverture de Bill Sienkewicz, dessins de Lee Garbett et Pere Pérez)

Batman : The Return of Bruce Wayne est une mini-série en 6 épisodes écrite par Grant Morrison, publiée en 2010 par DC Comics. Chaque épisode est dessiné par un (voire deux) artiste(s) différent(s) (successivement Chris Sprouse, Frazer Irving, Yanick Paquette, Georges Jeanty, Ryan Sook, Pere Pérez, et Lee Garbett).
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Durant la saga Final Crisis (déjà écrite par Grant Morrison), Darkseid, blessé par Batman, le frappe à son tour avec ses rayons Omega. Pour tous les héros du Dark Knight, le justicier est mort, mais en vérité, il a été projeté dans le passé, à l'époque Néanderthalienne.
Le corps de Wayne est chargé de particules Omega, le transformant, à son insu, en une bombe vivante à retardement. Lors d'éclipses solaires, il est expédié au XVème siècle, puis au XIXème, au XXème siècle et de nos jours.
Bruce Wayne recouvre progressivement la mémoire tout en devant surmonter des épreuves propres à chaque époque où il atterrit : ainsi, il se bat contre une tribu menée par Vandal Savage durant son séjour dans la préhistoire ; contre un monstre au temps de pélerins en pleine chasse aux sorcières ; doit affronter Barbe-Noire le pirate ; à nouveau contre Savage et aussi Jonah Hex en plein western ; le Dr Hurt dans les années 40, et la JLA de nos jours.
En même temps, qu'à travers les âges on découvre la mythologie totémique de l'homme chauve-souris, se pose la question pour les acolytes du héros, qui comprennent qu'il a survécu mais représente un danger pour lui-même et eux, de savoir comment négocier le retour de Bruce Wayne : pourront-ils le sauver ou non ?
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Grant Morrison a, quoi qu'on pense de son style (et de l'évolution de celui-ci), marqué de son empreinte le personnage de Batman en réinjectant dans ses aventures des éléments de son passé, issus des origines les plus obscures du titre. Il y a ajouté des ingrédients de son invention et a donc considérablement enrichi la mythologie de cette production.
Un tournant a eu lieu avec un projet qui pourtant n'avait aucun lien avec Batman : la maxi-série Seven Soldiers of Victory, où Morrison a abondamment puisé dans le terreau de Jack Kirby (lorsque le "King" officia chez DC dans les années 70). Des idées déjà explorés quand il écrivait la JLA ont servi alors à bâtir une oeuvre atypique, complexe mais passionnante.
Logiquement, l'étape suivante a été la rédaction d'une saga évènementielle où Morrison pourrait utiliser des personnages-phares de DC dans une trame qui bouleverserait profondèment sa chronologie : ce fut Final Crisis, un des crossovers les plus fumeux qu'ait produit l'éditeur, à l'histoire hermétique, truffée de références que même des initiés eurent du mal à décrypter. Résultat : un échec commercial, fraîchement accueilli par la critique, et finalement peu considéré par la suite (Geoff Johns devenant, via la série Green Lantern, le nouvel architecte en chef de DC).
Néanmoins, Final Crisis, malgré son côté indigeste, réserva deux moments forts, qui impactèrent à la fois le travail de Morrison - la disparition de Bruce Wayne - et celui de Johns - le retour de Flash version Barry Allen. 
Comme à chaque fois qu'un personnage aussi emblématique que Batman meurt, il est convenu qu'il reviendra tôt ou tard : Dick Grayson, ancien Robin et Nightwing, allait hériter du pseudonyme et du costume. Mais quid de Bruce Wayne ? Comme Steve Rogers chez Marvel, il n'était pas vraiment mort, mais ailleurs, et cette mini-série, comme Captain America : Reborn, allait expliquer comment il revenait parmi les siens.   

Cette histoire nous informe très vite sur le Grant Morrison qui l'écrit, et hélas ! c'est celui de Final Crisis. En clair, cela signifie qu'il faut s'accrocher pour y comprendre quelque chose, même si ça démarre mieux que ça ne se termine.
Effectivement, au début, la série, même si elle souffre déjà de dialogues alambiqués, derrière lesquels on devine moults charades, est assez sympathique et dépaysante. On est transporté à l'époque néanderthalienne, en pleine guerre tribale, et l'ennemi est familier puisqu'il s'agit de l'immortel Vandal Savage (souvent vu dans la série JSA et son relaunch). Morrison semble s'amuser à faire le plus kitsch possible avec ces homo sapiens en peau de bête peu frileux et primaires.
Ensuite, on passe brutalement à la période de la chasse aux sorcières dans les environs de Gotham. Le récit devient déjà plus coriace, mais c'est assez rythmé pour qu'on ne s'ennuie pas et l'atmosphère fanatique des pélerins intégristes est prenante.
Le meilleur de la série arrive avec l'épisode mettant en scène la quête d'un trésor avec des pirates. Miraculeusement, Morrison fait simple et livre un chapitre palpitant, sobre. Miraculeusement, car après, c'est le drame...
On pouvait espérer beaucoup du segment se déroulant en plein farwest puisque n'importe quel lecteur de Batman sait que le justicier s'est d'abord inspiré de cette époque et du film Zorro avec Douglas Fairbanks quand il a décidé de faire le bien. Malheureusement, alors qu'un duel avec Jonah Hex était annoncé (avec le retour dans le jeu de Vandal Savage), et bien que la narration misait sur un Bruce Wayne muet, c'est un ratage total. Le décor, les personnages, la situation, rien n'est correctement exploité.
Prochain et avant dernier arrêt dans les années 40 : Morrison redresse un peu la barre, invoquant le Spirit de Will Eisner mais surtout revenant sur des points qu'il a creusés dans la série Batman, avec des personnages comme la référence à la société secrète du "Black Glove" et de son leader, le Dr Simon Hurt (au centre de l'arc Batman : R.I.P.). On se dit alors que le scénariste prépare un final prometteur où,en ramenant le héros de nos jours, il bouclera en fait tout son run, résolvant bien des énigmes, réglant son compte à bien des ennemis tout en sauvant et en resituant Batman... Mais non.
Au lieu d'un épilogue magistral, on a droit à une conclusion grotesquement bricolée, totalement incompréhensible, où ni le retour tant attendu ni les rôles de Red Robin, la JLA, Rip Hunter n'ont droit à un traitement à la hauteur. Bruce Wayne est effectivement ramené, reprend son alias et sa cape... Mais en gardant pour lui le sens des sauts dans le temps, des éclipses solaires, de sa guérison aux rayons Omega. Rarement aura-t-on assisté à un climax aussi piteux (certes Ed Brubaker avec Captain America : Reborn n'avait pas été très inspiré, mais au moins son dénouement était moins prétentieux).
Le véritable intérêt de cette saga est souterrain, au propre comme au figuré : on saisit bien l'importance des grottes du manoir Wayne, le culte de la chauve-souris dont Bruce est le dernier pratiquant, l'aspect totémique, l'intelligence supérieure du héros et sa détermination. C'est donc d'autant plus frustrant que ce ne soit pas sur ces points que Morrison ait choisi d'articuler son récit, se contentant d'allusions comme s'il ne s'adressait qu'à des habitués d'un club, et échouant lamentablement à donner un souffle vraiment épique à cette "résurrection".
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Le scénario ne tenant pas ses engagements, au moins pouvait-on espérer que la partie graphique, sans sauver l'entreprise, lui confère un vrai cachet. Mais, là aussi, le bilan est mitigé.
La première moitié de l'aventure (préhistoire, chasse aux sorcières, pirates) est brillamment servie par trois artistes en grande forme : d'abord, Chris Sprouse et son style élégant, vif, même si on sent bien qu'il n'y a pas mis autant de coeur que pour ses Tom Strong ; ensuite les planches en couleur directe de Frazer Irving comme des tableaux baroques, hallucinés, et enfin Yanick Paquette très "Bryan Hitch-iesque", traduisant à merveille le périple dans les grottes et les trognes des pirates.
Après ça, la prestation de Georges Jeanty est vraiment affligeante et l'on rêve de ce qu'aurait pu faire Cameron Stewart, initialement prévu pour ce chapitre westernien. Ryan Sook relève le niveau sans problème avec des images souvent sublimes, mais il n'assure que la moitié de sa tâche, supplée par Pere Pérez qui imite son style avec habileté mais sans personnalité. On retrouve d'ailleurs Pérez dans ce rôle à l'ultime étape où, là encore, Lee Garbett, un clone d'Olivier Coipel (sans la puissance du français), n'est pas capable de réaliser ses trente pages.
Il est lamentable de constater encore une fois l'incapacité de DC de composer une équipe d'artistes respectant les délais (Blackest Night ayant été la récente exception) et cela mine cette série qui souffrait déjà d'une histoire difficile à appréhender telle qu'elle a été traitée. Marvel maintient ses dessinateurs sur chaque event, quitte à prendre du retard, et cela donne une bien meilleure facture à chaque projet. Relisez les différentes "Crisis" de DC, ce sont toujours des fresques boursouflées, parfois jubilatoires dans leurs excés, mais vieillissant plus mal visuellement que chez la distinguée concurrence.
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Avant et pendant (avec la série Batman & Robin) et après (Batman Incorporated) cette série, Grant Morrison a continué à alimenter le Dark Knight, réussissant à corriger le tir. Mais, en l'état, The return of Bruce Wayne est quand même un gros ratage, une histoire absconse, et inégalement illustrée. C'est regrettable, mais cela signifie peut-être que le scénariste, qui s'est souvent mesuré, voire attaqué, à Alan Moore, n'a pas le génie de l'auteur d'un vrai grand classique de Batman, le mythique Killing Joke.  

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