jeudi 1 septembre 2011

Critique 259 : FABLES 13 - THE GREAT FABLES CROSSOVER, de Bill Willingham, Matthew Sturges, Bill Willingham, Russ Braun et Tony Atkins

Fables : The Great Fables Crossover est le 13ème album de la série créée par Bill Willingham. Le scénario est co-écrit par Bill Willingham et Matthew Sturges. L'histoire rassemble les épisodes 83 à 85 de Fables, 33 à 35 de Jack Of Fables et les trois épisodes de la mini-série The Literals, le tout publié en 2009 par DC Comics dans la collection Vertigo. Les dessins sont signés Mark Buckingham (Fables #83, The Literals #1-3), Russ Braun (Jack Of Fables #33-35) et Tony Atkins (Fables #84-85).
Cette saga se déroule juste après Fables 12 : The Dark Ages et Jack Of Fables : The Big Book Of War.
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Dans ses aventures, Jack Horner (héros du spin-off de Fables, Jack Of Fables) a rencontré les Literals, famille de créatures à la généalogie complexe, dont les filles sont les demi-soeurs et ont été les maîtresses de Jack. Par ailleurs, Kevin Thorn est un des rares "mundanes" résidant dans le quartier de Bullfinch Street, où se trouve Fabletown, et ayant connaissance de l'existence des Fables.
Mais Kevin Thorn, le plus puissant des Literals, a décidé, pour écrire son nouveau livre, de mettre un terme à l'existence de tous les Fables et même de recréer l'univers tout entier, car il désapprouve ce que le monde et ses occupants (imaginaires ou non) sont devenus.
Le moins qu'on puisse dire est qu'il a mal choisi son moment pour se manifester puisque Mr Dark vient de dévaster Fabletown, obligeant ses habitants à s'installer à la Ferme. Rose Red, qui dirige la Ferme, est elle plongée dans une profonde dépression après la mort de Boy Blue et la tension est à son comble entre les animaux et les Fables d'apparence humaine, sans parler d'une dispute qui éclate entre la Bête et Bigby Wolf.
Jack Horner prévient les Fables du danger que représente Kevin Thorn, après en avoir été informé par le père et le fils de ce dernier, et en profite pour revenir à la Ferme (où les animaux le prennent pour Boy Blue ressucité - ce dont il profite sans scrupules) tandis que Bigby, Snow White (Blanche Neige), Gary (le père de Kevin) et Mr Revise (le fils de Kevin) sont chargés de s'occuper de Thorn.
Mais les créatures peuvent-elles raisonner leur créateur ?
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Cet ambitieux projet est un curieux opus, réservé en vérité aux initiés, qui suivent aussi bien la série Fables que son spin-off Jack Of Fables (ce qui n'est pas mon cas pour ce dernier). L'autre bizarrerie concerne le moment où les auteurs ont décidé de développer cette saga, alors même que la série Fables est agitée par l'apparition d'un tout nouvel ennemi (Mr Dark) depuis le tome 12 : ce n'est pas très habile.
Ces premières réserves émises, que penser du résultat ? Comme je le disais, il faut mieux être un fan pour ne pas être perdu, en premier lieu parce qu'il faut connaître les nombreux personnages principaux : le couple Snow White-Bigby, Jack Horner, la Belle et la Bête, King Cole, Hansel, Sam le vagabond, les Page Sisters (Hillary, Priscilla et Robin), Babe le petit veau bleu, Gary (le principe même de la réification), Rose Red...
D'autre part, le récit, contre toute attente, donne plus d'importance à Jack Horner qu'aux Fables, quand bien même le couple Snow White-Bigby est aussi très présent. Quant à la mini-série The Literals créée pour l'occasion pour donner le point de vue de Kevin Thorn, elle est finalement dispensable car ce qu'elle raconte aurait pu être intégré aux épisodes de Fables et Jack Of Fables s'entrecroisant ici. Enfin, comme si ça ne suffisait pas, une dernière couche se greffe à l'intrigue centrale avec le personnage de Jack Frost, fils de Jack Horner et Lumi la Reine des Neiges (ancienne alliée de Gepetto), qui vient à la rencontre de son père : son rôle reste longtemps un prétexte à des gags absurdes, et seule son intervention permettant de neutraliser Kevin Thorn à la fin justifie sa présence.
En revanche, cette saga iconoclaste, touffue et délirante, gagne à être lue comme une réflexion amusée et amusante sur le concept de méta-textualité, ou comment par le prisme de la fiction s'interroger sur les codes narratifs, le rapport entre l'imaginaire et la réalité. Bill Willingham et Matthew Sturges abordent ce thème avec décontraction, d'une façon encore plus débridée que Dr Thirteen : Architecture & Mortality de Brian Azzarello et Cliff Chiang. Ainsi les Genres littéraires s'incarnent et leur créateur/utilisateur s'en sert pour nettoyer l'univers entier, en pensant que pour écrire une nouvelle oeuvre il faut effacer les précédentes plutôt que de s'en nourrir.
The Great Fables Crossover est souvent hilarant, avec les séquences méditatives de Babe le petit veau bleu, les avanies de Bigby (transformé en singe, âne, éléphant -rose ! - ou fillette) ou les méfaits de Jack Horner, un fabuleux enfoiré, irresponsable et pourtant providentiel, mais pêche par sa trop grande longueur et une fin expéditive.
Bref, d'un côté, c'est trop : trop de personnages, trop de péripéties, trop de métaphores. Mais de l'autre, ce n'est pas assez : pas assez de poésie, de culôt, d'absurde, de remise en cause - l'exemple le plus frappant sur ce point précis concerne le problème posé par Mr Dark : il en veut autant aux Fables, se pose donc comme un obstacle à Kevin Thorn et son révisionnisme, mais le personnage n'apparaît que sur une page et n'est même pas évoqué ensuite, ignoré complètement par les Literals ! Mais de toute façon, là encore, proposer un crossover au beau milieu d'un arc décisif de la série Fables est une maladresse : l'argument de cette saga aurait pu/dû fournir une intrigue en soi, avant ou après, mais pas pendant.
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La partie graphique assure heureusement : Mark Buckingham livre des planches magnifiques et même trois couvertures (des aquarelles) pour la mini-série des Literals. Russ Braun, encré par José Marzan Jr (le partenaire de Pia Guerra sur Y The Last Man), est une révèlation : je ne connaissais pas cet artiste, mais son trait élégant, évoquant José-Luis Garcia-Lopez et Dick Giordano, est superbe. Quant à Tony Atkins, son style évoque parfois Gotlib, excellant dans l'expressivité des trognes.
En prime, le grand Brian Bolland nous gratifie de quelques couvertures (dont celle du receuil) et Joao Ruas s'affirme comme le digne remplaçant de James Jean (parti depuis Fables #82).
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Un crossover frustrant car mal placé, mal fichu, mais qui est traversé par quelques fulgurances et illustré par un trio d'artistes de premier plan. Dommage, ç'aurait pu être tellement mieux, même si ça procure quelques moments de franche rigolade.

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