mardi 25 janvier 2011

Critique 205 : L'HOMME DE NULLE PART, de Ted Benoît et Pierre Nedjar

L'Homme de nulle part est un récit complet écrit par Ted Benoît et dessinée par Pierre Nedjar, publié en 1989 par Casterman.
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Né en 1947, à l'époque où l'école de la "ligne claire" d'Hergé rivalisait avec "l'école de Marcinelle" de Jijé, Thierry "Ted" Benoît est devenu célèbre à la fin des années 70 en émule de la première manière via son personnage emblématique : le détective privé Ray Banana.
Celui-ci apparaît dans "L'Echo des Savanes" en 78 et sera le héros de deux volumes, Berceuse électrique en 1980 et Cité Lumière en 84, des bandes dessinées qui m'ont alors fait apprécier cette "ligne claire" que je dédaignai, préférant les disciples de Jijé comme Morris et Franquin.
Personnage secondaire des aventures de Ray Banana, Thelma Ritter, la femme de ménage du détective aux Ray-Ban, était directement inspirée de l'actrice du même nom vue dans les films d'Hitchcock. C'est elle que, en 1989, Ted Benoît choisit comme narratrice de L'Homme de nulle part, ce récit complet qu'il écrit pour Pierre Nedjar.
Lorsque j'ai lu cette histoire pour la première fois, dans sa première édition, avec un album à la superbe couverture panoramique en quatre volets, les crédits indiquaient le nom des auteurs sans préciser qui faisait quoi et je pensai alors que Nedjar avait écrit ce récit et que Benoît l'avait dessiné. Cette réédition de 2004 rectifie ce point mais privera les lecteurs de la fameuse "tétra-couverture".
Il s'agit d'une étrange bande dessinée, à la fois envoûtante et frustrante. L'argument évoque les films noirs classiques des années 50, bien que l'action est censée se passer dans les 80's, et cette impression est renforcée par le design de l'album : voitures, vêtements, décors, tout y ressemble à l'Amérique de l'après-guerre.
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Qui est cet "homme de nulle part" ? Un amnésique dont va s'éprendre la belle Laura Linnell, fille à papa riche et désoeuvrée, ignorant qu'elle est aimée du policier Delgado. Mais l'inconnu est recherché par un détective du FBI et des hommes de l'armée, prêts à tout sinon pour le récupérer, en tout cas pour savoir ce dont il se rappelle.
Fuyant à travers les Etats-Unis, stationnant dans des bleds aux noms improbables qui donnent leur titre aux chapitres du livre (Santa Iñes, Downtown Metropolis, Anaconda, Thompson Falls, Yucca Flats, Consequences), il devine qu'il a été mêlé à une opération militaire, ayant fait beaucoup de victimes, sans doute en rapport avec des essais nucléaires...
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Ted Benoît utilise volontairement les ellipses, au risque de décevoir le lecteur qui attend des révèlations et un dénouement expliquant le pourquoi du comment. Il serait exagéré de dire qu'on achève la lecture de cette histoire sans être frustré, mais en même temps le récit garde une part de mystère qui lui donne un charme puissant et durable, et plusieurs années après l'avoir lu pour la première fois, cet Homme de nulle part conserve son attrait - ce qui n'est pas le cas de tous les albums de Benoît, qui n'ont pas tous aussi bien vieilli.
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Les illustrations de Pierre Nedjar évoluent sensiblement entre le début (où l'influence de Benoît est manifeste) et la fin (plus proche du réalisme stylisé d'un Jacobs, avec des finitions plus soignées) : c'est assez déroutant, mais tout de même très beau. Les décors sont notamment exécutés avec un soin extraordinaire et les voitures sont magnifiquement reproduites d'après des modèles des années 50.
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Cette réédition a été agrémentée d'une préface du critique de cinéma Michel Boujut, une des plumes des "Cahiers du Cinéma", et surtout de deux bonus écrits et dessinés par Ted Benoît : Panne séche et Dans le désert Mojave, où l'on assiste à la rencontre entre Thelma Ritter et Ray Banana, narrée en voix off et successivement illustrée en couleurs et noir et blanc.
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Un "petit" classique néo-ligne claire.

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