mardi 4 janvier 2011

Critique 198 : SPIROU ET FANTASIO - LES MARAIS DU TEMPS, de Frank Le Gall



Une Aventure de Spirou et Fantasio par Frank Le Gall : Les Marais du Temps fait partie de la collection "Le Spirou de..." (initialement appelée "Une aventure de Spirou et Fantasio par…") lancée par Dupuis en 2006. Il s'agit d'un "one-shot" sans conséquence sur la série principale, le deuxième de la collection (qui en compte six à ce jour), publié en 2007.
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Nénesse, un bistrotier, découvre, comme le lui avait raconté son père (et son grand-père et arrière grand-père et son arrière-arrière grand-père avant), dans le sous-sol de son commerce un livre écrit dans un langage incompréhensible et adressé au comte de Champignac.
Ce dernier convoque Spirou, Spip et Fantasio pour leur demander de l'aider à retrouver Zorglub, auteur du livre, qui aurait découvert un moyen de voyager dans le temps (au moins jusqu'au XIXème siècle) et qui a laissé des instructions pour le retrouver.
Place de la Concorde, le quatuor se rend sous l'Obélisque et y découvre une pièce avec la machine de Zorglub. Le comte trouve une pile permettant de l'activer et ouvre alors un portail dimensionnel qui envoie nos héros en 1865 !
Zorglub les attend, coincé dans les catacombes après qu'un rat se soit glissé à sa place dans la faille qui devait lui permettre de revenir en 2007. Effrayé en entendant parler du rat, Spip saute dans le portail qui a été rouvert et, ce faisant, coince les quatre hommes dans le passé !
Pour réfléchir au moyen de se sortir de là, Zorglub entraîne le comte, Spirou et Fantasio chez Nénesse (l'arrière-arrière-arrière grand-père) : la solution serait un puissant champignon que Champignac a repéré dans les sous-sols, pouvant alimenter une pile de secours.
Mais c'est sans compter avec le brigand Crève-Bedaine et ses hommes qui ont été grugés par Zorglub à la suite de cambriolages, commis grâce à la zorglonde désormais en leur possession.
Cependant, de nos jours, Spip a trouvé refuge chez un biologiste du zoo et son neveu, Jean-Eudes, petit génie de l'informatique, et l'écureuil les mène à la machine de Zorglub. Celui-ci, avec le comte, Spirou et Fantasio sont alors acculés dans les souterrains du quartier du Marais par la bande de Crève-Bedaine, qui est arrêté par la police, guidée là par Nénesse.
Nos héros reviennent en 2007 grâce à Jean-Eudes. Zorglub pense alors être riche grâce à l'opération immobilière initiée en 1865 mais les documents notariés qu'il a ramenés du passé se sont effacés comme le portrait que Fantasio s'était fait dessiner par Manet...
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L'idée de permettre à des artistes fans de Spirou de réaliser un album original, sans incidence sur la série régulière, ne date pas de 2006 : lorsque Fournier, le successeur de Franquin, commença à tarder dans sa production, Dupuis entreprit de constituer des équipes créatives tournantes pour livrer de nouveaux tomes plus fréquemment. Mais jusqu'à ce que Tome et Janry héritent officiellement du titre en 1984, le projet ne connut guère de succès, tant artistiquement que commercialement.
Il restait de cette période trouble un essai légendaire par le regretté Yves Chaland, Coeurs d'Acier, qui est désormais quasi-introuvable et qui fut d'ailleurs profondèment remanié par l'auteur, interdit d'utiliser le nom des héros. C'est une histoire déplorable, qui ne fait pas honneur à Dupuis, et il est très dommage qu'un artiste de la trempe de Chaland n'ait jamais pu vraiment mener à bien son projet (qui devait être un hommage à la fois respectueux et libre à Rob-Vell, Jijé et Franquin)...
Aussi quand la collection "Le Spirou de..." fut lancée, c'est avec prudence, et même méfiance, que les fans l'attendirent. Le premier album, signé de l'actuel binôme en charge de la série régulière, Yoann et Vehlmann, Les Géants Pétrifiés, surprit pas mal de monde.
Après quoi, donc, nous eûmes droit à cet opus par Frank Le Gall, auteur de la magnifique série mélancolique Théodore Poussin. Le résultat est, trêve de suspense, très en-deçà de l'attente. La greffe n'a pas pris et si graphiquement l'album est plaisant, élégant, très "ligne claire", il n'est pas à la hauteur.

Les dessins d'abord ne collent pas à l'énergie de Spirou : c'est très beau mais étrangement décalé. Même dans ses albums les moins inspirés, le groom a toujours symbolisé la vivacité et la souplesse de l'école de Marcinelle, dont Franquin était le représentant emblématique (après Jijé et avec Morris, Tillieux, Peyo...). Le Gall a un trait trop appliqué, trop "hergéen", pour ne pas déranger : les planches dégagent une atmosphère soignée mais pas assez d'énergie.

Le scénario ne fait que souligner ce que le dessin ne parvient pas à communiquer : cette intrigue tordue de voyage dans le temps n'est jamais ennuyeuse, mais encore moins palpitante, et Le Gall échoue piteusement à nous faire frissonner. Pas un instant on ne frémit pour les héros, et ni Zorglub ni Crève-Bedaine ne font des adversaires réellement menaçants (d'ailleurs leur opposition ne produit guère plus d'étincelles).
La caractérisation est très plate : Fantasio est fade, le comte transparent, Spirou pâle - seul Spip surnage. Est-ce un clin d'oeil ? En wallon, Spirou signifie "écureuil" ou "personnage espiègle", et c'est comme si Le Gall avait transféré tout le sel du héros dans son animal. Mais à la longue cela n'est pas vraiment concluant et même trop tiré par les cheveux (Spip entraînant le biologiste et son neveu jusqu'à la machine, passe encore, mais le neveu génie de l'informatique...). Non, ça ne fonctionne pas, jamais.
Reste l'emploi de l'argot parisien du XIXème siècle (traduit dans un lexique à la fin de l'album), mais ce sabir si savoureux soit-il ne fait pas une histoire...
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Joli donc, mais tellement décevant.

Dommage : Le Gall et Spirou, c'était prometteur...

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