mercredi 12 janvier 2011

Critique 202 : SPIROU ET FANTASIO, TOME 14 - LE PRISONNIER DU BOUDDHA, de Franquin, Greg et Jidéhem



Spirou et Fantasio : Le Prisonnier du Bouddha est le 14ème album de la série, écrit par Greg et dessiné par Franquin, assisté de Jidéhem pour les décors, publié en 1960.
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Venus rendre visite au comte de Champignac, Spirou, Fantasio, Spip et le Marsupilami découvrent son parc envahi par une flore géante mais aussi équipé d'un système de sécurité inattendu.
Leur hôte élude leurs questions mais, la nuit venue, Fantasio rôde dans le château et découvre ce que le comte leur cachait en la personne du scientifique russe Nicolas Nicolaïevitch Inovskyev, co-concepteur du G.A.G. (Générateur Atomique Gamma). Cet engin peut supprimer la pesanteur et accélerer la croissance des plantes ou dérégler le climat. Mais le savant refuse qu'il soit employé à des fins militaires et se cache. Mais des espions sont à ses trousses.
Après avoir fait arrêter lesdîts barbouzes à la foire aux bestiaux de Champignac-en-cambrousse, nos héros apprennent que l'autre inventeur du G.A.G., l'américain Harold W. Longplaying, est prisonnier en Extrème-Orient (le pays n'est pas nommé mais il ne fait aucun doute qu'il s'agit de la Chine).
Spirou entraîne toute la bande sur place où ils apprennent par des agents anglais que le scientifique est détenu dans la vallée des 7 Bouddhas. Jugeant urgent d'intervenir, ils vont le libérer et avec l'aide opportune du Marsupilami, ils parviennent à s'introduire dans la prison et à sauver Longplaying. Il leur faut encore quitter le pays en évitant l'armée lancée à leur poursuite.
De retour à Champignac-en-cambrousse, Longplaying et Inovskyev perfectionnent le G.A.G. et, en le testant, mettent carrèment en orbite la statue du maire !

Ce long récit de 60 pages officialise Greg comme scénariste de la série, après trois albums composés de deux histoires de différents formats. C'est donc une date dans l'histoire de Spirou et Fantasio et le run de Franquin.
Depuis 1955, l'artiste a développé sa production à un rythme échevelé et la rencontre avec Greg se produit alors qu'il est passé chez le concurrent, les Editions du Lombard, où, dans les pages du "Journal de Tintin", il crée Modeste et Pompon (auquel participera également Goscinny). Franquin s'était alors fâché avec Charles Dupuis à cause des royalties qu'il touchait et avait carrèment démissionné pour signer un contrat de cinq ans chez le rival du "Journal de Spirou". Rapidement, il se réconcilie avec son premier éditeur et doit donc fournir des planches à la fois pour "Spirou" et "Tintin" ! Le Lombard acceptera de réduire la durée de son engagement et Modeste et Pompon sera repris par Dino Attanasio.
Mais se consacrer à Spirou et Gaston épuise Franquin, qui doute en permanence de la qualité de ses scripts et n'est jamais content de son dessin (il ne le sera jamais vraiment, et c'est le drame de ce génie que d'avoir été toujours si exigeant alors qu'il avait de l'or au bout du crayon). Greg va l'aider à écrire et Jidéhem deviendra son assistant pour les décors, mais contrairement à Hergé qui refusa de créditer Edgar P. Jacobs sur les albums de Tintin qu'ils recomposèrent ensemble, Franquin tiendra à citer ses partenaires (à une époque où les scénaristes n'étaient guère considérés et les assistants encore moins).

Le Prisonnier... est donc la première grande collaboration du trio, avant le dyptique du "Z" qui restera comme leur sommet. C'est un récit d'aventures très réussi, même si Franquin trouva ensuite à redire sur des éléments comme le nom du G.A.G. et ses facultés (qu'il aurait voulu limité à la suppression de la gravité).

L'action est typique des meilleurs Spirou avec la découverte imprévue (le G.A.G.), la décision de partir au secours de Longplaying, et une cascade de rebondissements alternativement causés et réparés par le Marsupilami et/ou Fantasio. Spirou s'affirme encore davantage comme un meneur, entraînant la bande à sa suite, dirigeant les manoeuvres, ne reculant devant aucun danger, tout en n'étant pas impassible ou infaillible.

Greg déploie sa verve de dialoguiste avec un peu trop de générosité pour ne pas ralentir parfois l'action : c'est le signe de la dualité qui sera au centre du dyptique Zorglub, avec d'un côté un scénariste bavard et de l'autre un artiste qui n'est jamais meilleur que dans le pur mouvement, quitte à sortir des rails du récit. Mais si Greg freine un peu le tempo d'un côté, il apporte à Spirou un plus grande rigueur dans la construction narrative justement et l'album ne faiblit jamais durant 60 pages, en donnant de grands moments à chaque héros, avec d'authentiques morceaux de bravoure (l'escalade de la montagne des Bouddhas est un chef-d'oeuvre d'humour et de suspense).

Graphiquement, l'énergie de Franquin est intacte et donne lieu à des planches admirables, sublimées par les décors incroyablement peaufinés de Jidéhem : le découpage est irréprochable et la composition des plans est soignée à l'extrème.
A bien des égards, il y a là parmi les plus belles planches de la série, pleine de dynamisme, de fluidité, avec un trait à la fois élégant et nerveux dont il faut savoir qu'elles étaient encrées au pinceau : quel coup de main pour arriver à ce résultat que la plupart des dessinateurs n'atteignent pas avec une panoplie entière de plumes et de feutres !
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Un grand cru que l'année 1960 et ce numéro en témoigne : un incontournable absolu !

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