mardi 18 janvier 2011

Critique 204 : MODESTE ET POMPON, de Franquin

La (re)lecture récente de ses Spirou et Fantasio m'a donné envie de (re)découvrir MODESTE ET POMPON de Franquin, oeuvre méconnue, dans l'ombre du groom et de Lagaffe, dont la création a été accidentelle.
Pour cela, j'ai emprunté à la bibliothèque municipale cette compilation de 146 gags effectuée par Franquin lui-même, éditée dans la collection Les Classiques du rire des éditions Le Lombard. Plutôt qu'une critique détaillée de chaque gag, je vais tâcher de critiquer plus globalement cette série en commençant par présenter ses protagonistes.
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- Modeste est un jeune homme célibataire, au tempérament vif, à la fois inventif, irritable, et presque suffisant, mais pourtant sympathique car souvent victimes de fâcheux.

- Pompon est une toute jeune femme, ravissante et au caractère modéré, parfois espiègle, dont la relation avec Modeste reste sujette aux interprétations (est-elle sa fiancée ? Une amie ? Une parente ?). Elle est à l'évidence plus jeune que lui mais très proche.

- Félix est l'ami de Modeste et Pompon, mais il tracasse bien souvent, quoiqu'involontairement, le premier en le démarchant pour lui fourguer ses inventions, toutes plus improbables et désastreuses les unes que les autres. Ce gaffeur est l'ancêtre indéniable de Gaston.

- Les trois neveux de Félix occupent fréquemment sa maison, théâtre de leurs farces, dont leur oncle est la première victime, et auxquelles prend activement part Félix.

- Monsieur Ducrin est un des deux voisins de Modeste : ronchon et antipathique, il préfigure psychologiquement et physiquement le comptable Boulier dans la série Gaston Lagaffe, et il a été créé par Greg.

- Monsieur Dubruit est l'autre voisin de Modeste : casse-pieds et envahissant, père d'enfants insupportables, il a été créé par Goscinny.
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Modeste et Pompon a été publié hebdomadairement dans le Journal de Tintin à partir de 1955, et Franquin a écrit et dessiné leurs gags pendant quatre ans, illustrant aussi des idées de gags de collègues comme Greg, Goscinny, Peyo et Tibet. Le run de Franquin est disponible dans trois albums (1 : 60 Gags de Modeste et Pompon, 1958 ; 2 : Bonjour Modeste, 1959 ; 3 : Tout plein de gags, 1973) et cette anthologie (1996).
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Ce qui frappe d'emblée avec Modeste et Pompon, c'est sa description des années 50 et en particulier de son look avec la représentation du mobilier, des véhicules et des habits de l'époque. Tous les personnnages habitent dans des pavillons, ce qui permet la mise en scène de querelles de voisinages mais aussi la peinture de la "way of life" d'après-guerre : les héros y arborent des toilettes soignées, très stylées dans l'esprit "vintage" qu'on retrouve dans les films de l'époque et certaines séries télé actuelles (Mad Men). D'où un mélange de rétro et de modernisme encore étonnant.

La génèse de la série est aussi surprenante : en 1955, alors qu'il est déjà un auteur reconnu des éditions Dupuis pour lesquelles il anime Spirou et Fantasio, série dont il a fait un succès suffisant pour que ses héros soient considérés comme les rivaux esthétiques et commerciaux de Tintin (avant qu'Astérix ne vienne jouer le troisième challenger), Franquin s'oppose à Charles Dupuis pour des raisons financières, estimant (comme d'autres) qu'il est insuffisamment rétribué compte tenu du succès de sa production. L'éditeur refuse pourtant de céder et l'artiste démissionne en bonne et dûe forme.

Son départ est retentissant et la concurrence saute sur l'occasion pour le recruter : Franquin "passe chez l'ennemi" en s'engageant avec Raymond Leblanc aux éditions Le Lombard. Il accepte de créer une série humoristique en respectant certaines contraintes : il fallait que cela soit drôle mais pas vulgaire et que les héros ne soient pas des gamins des rues pour ne pas ressembler aux Quick et Flupke d'Hergé. Franquin baptise son personnage principal Modeste et le rédacteur en chef du Journal de Tintin proposera Pompon pour son acolyte car elle en portait sur la tête (!).

L'affaire rebondit à peine un an après : Charles Dupuis obtient un rendez-vous avec Franquin et lui fait part de ses regrets. L'artiste, sentimental, accepte de revenir chez Dupuis (avec une renégociation de son contrat) mais doit s'arranger avec Le Lombard. Un "gentlemen's agreement" est conclu et les cinq années d'engagement sont réduits à quatre...

Franquin va donc se trouver dans une position inédite mais inconfortable car épuisante : il devra fournir jusqu'à sept bandes hebdomadaires et se partager entre Spirou et Fantasio et Modeste et Pompon, et ce jusqu'en 1959 ! Le comble pour un artiste qui se décrit lui-même comme un "paresseux", dont la méthode de travail s'appuie largement sur l'écriture improvisée...

Dans ce contexte, on comprend que le concours de Greg (qui aurait, selon Franquin, fourni plus de gags que lui pour la série), Goscinny, Peyo et Tibet, n'ait pas été de trop pour aider l'artiste, dont le travail n'a pourtant jamais démérité - au contraire, il produit de magnifiques opus de Spirou et Fantasio et Modeste et Pompon témoigne d'une rigueur irréprochable.

Mais la série va surtout servir de laboratoire à Franquin : pas tant graphiquement car le trait est identique à celui de ses Spirou, mais narrativement. En effet, il oeuvre dans le cadre précis du gag en une planche, qui sera sa marque de fabrique dans Gaston Lagaffe. Il emploie la plupart du temps un découpage en gaufrier, dont il tire pourtant le maximum : mieux même, il paraît jouer de ce formalisme rigide pour mieux en tester les limites et exploiter au maximum les effets du flux de lecture, de l'enchaînement des vignettes, des ellipses comiques, du dynamisme des ressorts burlesques (entrevu dans certaines séquences de Spirou avec, en particulier les "échappées" du Marsupilami).

La mécanique comique de la série est classique : Franquin (et ses scénaristes) ne cherche pas l'originalité mais la vivacité. Le couple est au centre de l'affaire : qu'il s'agisse de celui formé par Modeste et Pompon ou Modeste et Félix, Modeste et ses deux voisins (jamais présents en même temps). Parfois le binôme cède la place au groupe et cet élargissement du casting correspond à une situation encore pire, des gags encore plus ravageurs, dont Modeste pâtit invariablement.

Le personnage de Modeste est d'ailleurs étonnant : il n'est pas sympathique en soi, immédiatement. C'est un parleur, parfois arrogant, râleur, maniaque. Mais il subit sans cesse les pires avanies, les plus désagrèables tracas : parfois il mérite sa punition, parfois il joue de malchance. En comparaison Pompon est plus effacée : elle n'a pas le toupet et l'énergie de Seccotine, c'est une fille raisonnable, tempérée, même si elle remet quelquefois Modeste en place (alors même qu'il n'est pas - toujours - responsable de ce dont elle l'accuse). C'est comme si Franquin était parti avec l'idée d'un couple mais s'était laissé rapidement débordé par son héros, plus haut en couleur, plus malléable, plus faillible. De la même façon, Félix éclipse Pompon en déclenchant des évènements alors qu'elle les arbitre ou les commente seulement.

Enfin, il faut saluer la performance géniale de Franquin qui a pour la série inventé des variations du mobilier "atome" des 50's tout à fait sidérantes : plutôt que de se documenter et risquer de perdre du temps, il préféra tout (ré)inventer... Choix malheureux car pour un tel perfectionniste, cela fut terriblement chronophage ! Mais quel résultat : à bien des égards, comme Blake et Mortimer, Modeste et Pompon reste un témoignage épatant de ce dans quoi vivaient les franco-belges à l'époque.

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Lisez Modeste et Pompon : dans l'ombre de Spirou et Gaston se trouve une des bédés les plus drôles et élégantes de cet immense bonhomme qu'était Franquin !

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