mardi 23 janvier 2024

BARBALIEN : RED PLANET (Tate Brombal & Jeff Lemire / Gabriel Hernandez Walta)

 

Pkanète Mars. Mark Markz/Barbalien fait face à ses juges qui le condamnent à mort au terme d'un procès expéditif. Son crime : avoir déserté les siens et être devenu ami avec les terriens, jusqu'à partager son amour avec un homme. Spiral City, 1986, quelques mois auparavant : Mark Markz est agent de police et intervient avec des collègues devant l'hôtel de ville où se tient une manifestation contre l'inertie des pouvoirs publics en faveur des malades du Sida.



A cette occasion, Mark Markz remarque le leader du mouvement, Miguel Cruz, et lui sauve la vie sous son apparence de Barbalien. Désirant en savoir plus sur la situation, il infiltre les milieux gays en prenant l'aspect d'un jeune homme, Luke, et découvre les descentes de police dans les clubs homosexuels, la position de l'église qui considère le Sida comme un châtiment frappant les "invertis", l'indifférence des autorités à leur égard...


Luke se rapproche de Miguel et devient son amant alors que Boa Boaz, un martien, traque Barbalien pour le ramener et qu'il soit jugé...


Cela faisait longtemps que je n'avais pas lu quelque chose d'attaché au monde de Black Hammer. J'ai en effet choisi d'attendre la fin de la publication de Black Hammer : The End pour en tirer une critique. Puis je me suis souvenu de cette mini-série consacrée à Barbalien sur laquelle je n'avais rien écrit à l'époque de sa parution (en 2019).


Barbalien, dans le monde de Black Hammer, est la version du Limier Martien (Martian Manhunter) de la Justice League. Jeff Lemire s'est ici "contenté" d'écrire l'intrigue, laissant à Tate Brombal (un acolyte de James Tynion IV dans l'univers étendu de Something is killing the children) le soin de rédiger le script et les dialogues : les deux auteurs ont eu visiblement à coeur de raconter une histoire accessible au plus grand nombre, c'est-à-dire même pour ceux qui n'ont pas suivi les différents volumes de Black Hammer.
 

La couverture montre ainsi Barbalien qui est enchaîné et on découvre vite la raison de cette situation. Il est jugé sur Mars pour avoir sympathisé avec les terriens au point d'être tombé amoureux de l'un d'eux. L'homosexualité du personnage ne surprendra pas les fans de Black Hammer puisque Lemire l'avait clairement traitée mais ici, elle est abordée à la fois pour explorer une dimension socio-politique et comme une métaphore sur le secret d'un individu et le fait d'assumer ce qu'il est.

Ainsi, le récit est précisément contextualisé en 1986 : à cette époque, le virus du Sida est déjà notoirement connu et frappe durement la communauté homosexuelle au point que l'église considère la maladie comme un châtiment divin contre les dépravés. Les pouvoirs publics sont encore très réservés sur la communication de ce fléau et on assiste partout dans le monde à l'émergence d'associations qui se plaignent de cette apathie quant au manque de moyens alloués à la recherche pour un traitement.

Quand l'histoire démarre, Mark Markz est agent de police à Spiral City (exactement comme Jonn' Jon'zz.John Jones/le Limier Martien dans le DCU). Il est en patrouille avec un collègue et on devine la tension entre eux suite à des avances que lui a faites Mark. Cette tension ne va pas baisser car les deux agents sont appelés devant l'hôtel de ville où a lieu une manifestation d'activistes gay contre les autorités.

Brombal développe ensuite sur cinq épisodes un récit qui est plutôt avare en scènes d'action spectaculaires. Ne vous attendez donc pas à lire un comic-book de super héros classique, même si les éléments fantastiques sont présents avec un héros extraterrestre, des flashforwards sur Mars, un vilain cruel et brutal. En vérité, le propos se veut plus intimiste et réussit brillamment à atteindre cet objectif.

Sans verser dans la diatribe militante, Brombal montre la réalité de l'époque avec les descentes de police dans les clubs gays, les malades du Sida auxquels on refuse l'entrée des hôpitaux ou la location d'appartement ou même une simple poignée de main. Le tableau n'est pas complètement noir non plus avec la solidarité des activistes entre eux, le réconfort apporté par une docteur (fille de super héros et elle-même détentrice de super pouvoirs) dans une clinique tenu par des religieuses, et surtout par la belle romance qui se noue entre Luke (identité sous laquelle Mark Markz infiltre la communauté homosexuelle de Spiral City) et Miguel (le leader des manifestants).

On comprend progressivement le message subtil de cette mini-série où Barbalien est comme Miguel un paria dans la société : l'un comme l'autre doivent vivre cachés, le pouvoir les méprise et les maltraite, mais la différence essentielle et qui sous-tend l'intrigue, c'est que Miguel assume ce qu'il est alors que Barbalien va le découvrir et y faire face. A cet égard, on mesure les progrès qu'il doit faire quand il révèle son apparence martienne aux militants et comprend qu'il n'a fait que la moitié du chemin, tout comme il comprend que le pacifisme de ses parents sur Mars l'a mené comme eux dans une impasse et qu'il devra se faire violence et se défendre avec véhémence contre ses persécuteurs.

La partie graphique bénéficie encore une fois d'un artiste inspiré : après Max Fiumara pour Doctor Star, Tyler Crook pour The Unbelievable Unteens ou Tonci Zonjic pour Skulldigger & Skeleton Boy, Gabriel Hernandez Walta s'avère un choix remarquable pour illustrer cette histoire.

Le trait parfois fébrile de ce dessinateur sert à merveille le coming-out de ce super héros mais aussi l'ambiance délétère qui règne aussi bien dans les rues de Spiral City que sur le sol martien vis-à-vis des hommes qui aiment les hommes. Walta semble parfois se passer d'encrage mais en vérité il apparaît en examinant attentivement ses images qu'il conserve son crayonné pour conserver à son dessin son côté organique.

De même, il utilise peu d'à-plats noirs, préférant pour texturer encore davantage son dessin des hachures, des croisillons, ce qui s'avère particulièrement efficace quand il s'agit de représenter Barbalien et sa peau sèche, correspondant au climat hostile de Mars. Les couleurs de Jordie Bellaire sont évidemment, comme toujours exceptionnelles de sensibilité : elle respecte le trait et le style de Walta en lui ajoutant une ambiance intense, notamment dans le scènes nocturnes qu'elle gère sans avoir recours à des lumières artificielles.

Le découpage est très simple, sans extravagance, comme pour ne pas parasiter le propos et cette façon de faire est payante, donnant un rythme soutenu au récit tout en sachant ménager du temps pour des scènes fortes, qu'il s'agisse des manifs, des mouvements de la police, ou d'une simple étreinte entre Luke et Miguel.

Si, en matière d'émotion, rien ne semble pouvoir égaler Doctor Star, Barbalien : Red Planet se distingue par son écriture ciselée et poignante et son graphisme à fleur de peau. Une nouvelle réussite dans l'univers passionnant de Black Hammer.

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