vendredi 12 août 2022

PRODIGY : THE ICARUS SOCIETY #2, de Mark Millar et Matteo Buffagni


Alors que Mark Millar vient de chiper deux grosses vedettes aux "Big Two" (Jorge Jimenez et Pepe Larraz, rien que ça !) pour des projets en 2023, Prodigy : The Icarus Society continue sa publication et force est de constater que ce deuxième volume des aventures d'Edison Crane est bien meilleur que le premier. Matteo Buffagni n'est pas étranger à cette réussite et son scénariste a raison de le souligner.


Pour forcer Edison Crane à libérer le Pr. Tong, Prisha Patel a fait avaler au génial millairdaire une bombe miniature à son insu. Les gardiens gazés, les alarmes désactivées, Tong est délivré.
 

Crane est esuite emmené à la base de Tong, une véritable forteresse sur l'eau. Il y collectionne des reliques en relation avec les plus grands tyrans et quelques autres babioles précieuses.


Parmi celles-ci, neuf des dix-huit tablettes en or qui indiqueraient, au complet, la localisation et les secrets de l'Atlantide. Les pièces manquant à Tong sont en possession de son rival.


Celui-ci se nomme Felix Koffka et il est également membre de la Société Icare. Edison Crane va devoir lui voler les tablettes qu'il détient...

Tiens, je vais commencer cette critique par une anecdote récente. Un soir que je "scrollais" sur Facebook, je m'arrête sur un article à propos de Mark Millar écrit par un rédacteur de ComicsBlog. Il était question d'une des dernières idées du scénariste (vendre à 1,99 $ chaque n° de son prochain comic-book, Night Club). Le rédacteur (qu'il me pardonne s'il me lit, j'ai oublié son nom) n'était visiblement pas un grand fan de Millar (il a le droit) et raillait cette initiative en expliquant que Millar pouvait se la permettre puisqu'en vérité c'était Netflix qui le payait et que c'était une dépense dérisoire pour la plateforme.

Quelques jours auparavant, mais je ne me souviens pas s'il s'agissait du même auteur, le même site ironisait sur le fait que Millar se vantait d'avoir chipé à Marvel Pepe Larraz et à DC Jorge Jimenez pour deux de ses projets en 2023, arguant qu'en vérité les deux artistes profitaient surtout du fait que les Big Two leur laissaient la liberté de dessiner ailleurs mais en restaient les employeurs. Bref, dans un cas (un comic vendu 1,99 $) comme dans l'autre (des artistes faussement arrachés aux Big Two), Millar faisait le malin en mentant.

Pourquoi je vous parle de ça ? Tout d'abord pour rappeler qu'il existe un Millar-bashing (même si les rédacteurs de ComicsBlog, que j'ai titillés à ce sujet, nient vigoureusement) fondé sur le principe que Millar ment, se vante d'exploits qu'il ne réalise pas, et se permet de communiquer dessus en profitant de la manne financière que lui fournit son contrat avec Netflix. Ensuite, que, selon ComicsBlog, toujours, ce marketing serait fait sans humour (d'ailleurs ils m'ont affirmé que marketing et humour sont incompatibles !).

Je ne suis pas là pour règler mes comptes avec ComicsBlog dont j'apprécie par ailleurs le travail pour traduire des infos (car ils ne révèlent rien eux-mêmes, puisant allègrement dans les posts de Bleeding Cool). Mais disons que je les trouve un peu rigolo à juger si durement Millar, sa communication, comme s'ils découvraient le bonhomme en prenant tout tellement au sérieux.

Quel rapport avec Prodigy : The Icarus Society ? Les bonnes comédies ne sont pas celles qui sont joués par des acteurs qui cherchent à vous tirer des rires, mais au contraire par ceux qui jouent les situations drôles le plus sérieusement du monde. Et c'est ce que nous enseignent à la fois Mark Millar et Prodigy : The Icarus Society.

Comme d'habitude avec Millar, tout est too much : le héros génial et richisssime, aux prises avec un méchant complètement grotesque et face à un problème redoutablement "hénaurme" - en l'occurrence une société secrète de maîtres du monde tous géniaux et richissimes. Mais Millar raconte ça avec sérieux et laisse au lecteur le soin d'apprécier le décalage entre la gravité avec laquelle Edison Crane apprécie ce qui lui arrive et le côté absurde du récit.

En somme, donc, c'est une bonne métaphore. C'est un jeu et nous en sommes conscients. Si nous ne l'apprécions pas, et nous le savons avant même d'avoir ouvert le fascicule puisque Millar fait cela depuis des années maintenant, libre à chacun de passer son tour. Mais impossible de prétendre ne pas avoir été prévenu ni de croire que tout ça est écrit en se prenant au sérieux. Pas plus dans son écriture fictionnel que promotionnel, Millar ne prend les lecteurs pour des imbéciles : il les invite juste à venir s'amuser avec lui, à faire comme si, à croire qu'effectivement le Milalrworld peut se permettre de voler Pepe Larraz et Jorge Jimenez, à vendre des comics à un prix imbattable, tout comme Edison Crane peut se sortir d'un imbroglio impossible, où, tout-à-trac, sont convoqués l'Atlantide, une société secrète, un méchant fou et sa belle complice.

Pour qu'une bonne comédié fonctionne, en plus d'acteurs qui refusent de cèder au cabotinage, il faut une mise en scène rigoureuse. Et c'est là qu'intervient Matteo Buffagni. Lui aussi prend très au sérieux le travail qu'il a reçu. Plus que Rafael Albuqerque qui l'a précédé sur ce titre (et dont il reste le co-créateur, car si on peut railer Millar sur bien des points, il est difficile de lui reprocher sa relation avec les artistes avec qui il partage à 50-50 tous ses bénéfices, des conditions inégalables dans le milieu des comics US).

Loin de moi l'idée de dire du mal du travail de Albuquerque, si ce n'est qu'il me paraît dessiner parfois trop vite, s'investissant très inégalement d'un projet à l'autre, sans plus trop se fixer (exception faite de sa collaboration avec Scott Snyder). Tout le contraire de Matteo Buffagni qui, bien qu'excellent, n'a jamais reçu l'attention qu'il méritait de la part de scénaristes ou d'éditors avant... Millar.

Car si Millar n'a sans doute par écrit Prodigy : The Icarus Society pour Buffagni (comptant sans doute sur Albuquerque pour un nouveau tour de manège), Buffagni, lui, dessine cette mini-série comme le comic-book qui pourrait prouver à tous ceux qui l'ont négligé qu'ils avaient tort. Il s'est approprié le héros, son univers, s'est adapté à cette écriture too much, pour les tirer à lui, vers plus d'élégance, de sobriété, de rigueur.

Cet épisode le prouve : Buffagni donne une tenue au titre qui lui manquait. Tout y est plus raffiné, plus strict aussi. S'appuyant sur l'infographie, son trait n'a jamais la froideur trop apprêté du dessin numérique, mais la technologie le soutient. Les couleurs de Laura Martin l'enluminent avec un sens exceptionnel des nuances.

Buffagni a été formé à l'école exigeante des fumetti avant de débarquer en Amérique. Comme nombre de ses pairs italiens, son dessin a cette classe innée mais aussi ce classicisme indémodable qui ancre une histoire dans quelque chose d'intemporel, de beau, de soigné. C'est une efficacité toute en retenue, qui ne fait pas de chichi mais qui apporte une lecture incroyablement agréable, fluide, égale. Pas une planche ne dépareille, l'effort est constant. Et c'est ainsi que les histoires de Millar, avec leur exubérance, fonctionne le mieux, quand elles sont contrebalancées par un graphisme qui les entraînent ailleurs, sur un terrain plus ferme, plus cadré.

Millar ment. La belle affaire ! Au moins le fait-il avec enthousiasme, pour son média favori, et avec des partenaires de haute volée - qui doivent apprécier l'illusion pour adhérer à ses projets.

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