samedi 26 février 2022

BLACK HAMMER : REBORN #9, de Jeff Lemire et Caitlin Yarsky


Black Hammer : Reborn entre dans son dernier quart et Jeff Lemire retrouve sa dessinatrice Caitlin Yarsky avec qui il avait débutée cette série. Mais le retour de l'artiste ne change pas grand-chose car  la qualité est intacte et la folie de l'histoire aussi. Encore une fois on a droit à un épisode plein de rebondissements, qui aboutit sur un cliffhanger ahurissant. La régalade n'est pas terminée.
 

Lucy Weber et Skulldigger se sont échappés de leurs cellules dans la prison de Spyral City 2 grâce au colonel Weird - qui s'est aussitôt volatilisé. Ensemble, ils retrouvent le Dr. Andromeda et le libèrent. Ils prennent la fuite, sous le feu nourri des geôliers, à bord du dirigeable de Skulldigger.


Le trio revient à l'observatoire d'Andromeda. Skulldigger veut détruire le portail interdimensionnel pour empêcher l'arrivée de l'Anti-Dieu mais le Sherlock Frankenstein de Spyral City 2 l'en dissuade car il lui signale que le vrai Andromeda est enchaîné dans la pièce.


Qui a usurpé l'identité d'Andromeda ? Le Barbalien de Spyral 2 ! Skulldigger et Sherlock Frankenstein le neutralisent rapidement. Andromeda est délivré et explique que le véritable méchant de l'histoire n'est pas Sherlock Frankenstein.


Joseph Weber, le père de Lucy, traverse le portail interdimensionnel dans l'observatoire. Dans son monde, après avoir repoussé l'Anti-Dieu, il a survécu mais perdu femme et enfant. Il souhaite à présent que Lucy le reconnaisse comme son père et devienne sa complice pour dominer cette dimension !

Lire Jeff Lemire, c'est, je l'ai souvent écrit, savourer le talent extraordinaire d'un conteur. Avec lui, tout semble permis tant que c'est divertissant. Mais ça ne s'arrête pas là car l'auteur canadien, on le sait, dans ses creator-owned en particulier, ajoute un commentaire à ses intrigues, comme s'il livrait au lecteur les clés méta-textuelles de son oeuvre. On est donc à la fois dans la salle et dans les coulisses.

Pourtant, et c'est là que la magie opère, rien n'est prévisible. A trois épisodes de son terme, il est impossible de savoir comment finira Black Hammer : Reborn. Le titre même de la série porte son projet : c'est la renaissance de Black Hammer et c'est à la fois familier et inédit, le scénariste manipule des éléments narratifs qu'on reconnaît et d'autres qui nous retournent complètement.

Ce neuvième épisode joue beaucoup sur ce ressort : il y a à plusieurs reprises des visages et des situations qu'on croit maîtriser, identifier. Et puis, en fait, non, rien n'est aussi simple. Sans qu'on l'ait vu venir, untel n'est pas celui qu'on croit, un autre réserve une surprise énorme, et encore un autre attend son heure car son retour est annoncé.

De manière éloquente, l'épisode démarre par une évasion, on suit Skulldigger et Lucy Weber qui s'échappe de la prison de Spyral City 2, et le lecteur comme les personnages espèrent sortir d'un cauchemar (cauchemar de la détention, de la fin du monde imminente). L'espoir est d'autant plus grand que les fugitifs retrouvent le Dr. Andromeda, dont Skulldigger a garanti qu'il était le seul capable d'empêcher le cataclysme. Le trio Lucy-Skulldigger-Andromeda s'envole dans le dirigeable du deuxième. Ouf ?

Bien entendu, ce n'est pas si simple. Si ça l'était, alors Skulldigger détruirait le portail interdimensionnel et empêcherait l'Anti-Dieu de revenir dans notre dimension. Mais voilà Sherlock Frankenstein qui surgit (celui de Spyral City 2) et l'en dissaude fermement. Pour convaincre le justicier, il lui montre un autre Dr. Andromeda enchaîné dans l'observatoire. C'est donc qu'il y a un usurpateur dans le groupe.

Jeff Lemire ose tout et c'est même à ça qu'on le reconnaît, si j'ose dire. Mais comme il a du talent, son audace passe crême. Le scénariste rend même le prévisible imprévisible et nous faisons connaissance d'un Evil Barbalien, rapidement neutralisé. Ce n'est pas encore lui le vrai méchant de l'histoire. D'ailleurs, quand on parle du loup...

L'oeuvre de Jeff Lemire est traversée par la figure du père et c'est donc logique que Joseph Weber, le premier Black Hammer, resurgisse. Sauf qu'il s'agit du Joe Weber d'une Terre parallèle, qui a survécu à la bataille contre l'Anti-Dieu mais a perdu sa femme et sa fille. Il projette donc de conquérir notre réalité grâce au retour de l'Anti-Dieu et de renouer avec le bonheur familial avec notre Lucy Weber. Pour cette dernière, renouer avec ce père qui n'est pas le sien pose un dilemme terrible car elle a perdu son mari et ses enfants. Mais cela mérite-t-il de sacrifier son monde ?

On peut dire, sans que cela lui soit reprochée, que la série retombe un peu sur ses pieds après les précédents épisodes complètement barrés et vertigineux. La conclusion est proche, il faut donc lever le pied sur le délire. Mais affirmer que la série s'assagit, c'est franchir un pas que je ne ferai pas, car, je le répéte, il est impossible de savoir comment cela va finir. Et même ce que va réserver le prochain épisode le mois prochain. La preuve que même quand Lemire freine un peu, il tient le lecteur en haleine, contrôle ce qu'il lui communique et le rend incapable de deviner ce qu'il a concocté.

Malachi Ward et Matthew Sheean partis, après un fill-in de grande classe, Black Hammer : Reborn retrouve sa dessinatrice initiale, Caitlin Yarsky. Elle revient pile au bon moment, quand l'action renoue avec ses basiques. Et surtout la série conserve une qualité esthétique tout à fait exceptionnelle.

Yarsky est très doué pour l'expressivité des personnages et comme le script ménage son lot de péripéties et d'émotions fortes aux héros, le résultat est formidable. Lorsqu'un personnage s'avère ne pas être celui qu'on croit, la surprise est totale car insoupçonnable. 

Contrairement à Ward et Sheean, Yarsky est sans doute plus faible sur les décors. Son trait précis et appliqué rend les environnements un peu froids, désincarnés. En même temps, les personnages évoluent dans des cadres impersonnels, comme la prison au début ou l'intérieur de l'observatoire d'Andromeda ensuite. Il n'y a pas dans ces intérieurs des éléments qui reflétent la personnalité des héros, ce sont des lieux de fonction, et seule les couleurs de Dave Stewart les "ambiancent". Il faut donc accepter cette contrainte pour comprendre la relative déception relative à cet aspect graphique.

Néanmoins, la force de Black Hammer : Reborn, c'est de nous entraîner dans une cascade émotionnelle, une spirale de rebondissements. Les fondamentaux sont intacts et le plaisir aussi. Impossible de ne pas vibrer, jubiler en tournant les pages. Quel pied !

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