mercredi 5 août 2020

STRANGE ADVENTURES #4, de Tom King, Mitch Gerads et Evan Shaner


Avec ce quatrième épisode de Strange Adventures, nous arrivons au premier tiers de l'histoire écrite par Tom King. Si celle-ci se déroule sur un rythme assez nonchalant, ce chapitre apporte une lumière plus crue sur les événements et notamment sur la notion d'ingratitude. Le scénariste et ses deux dessinateurs, Mitch Gerads et Evan Shaner, montrent ainsi très bien, même si c'est déplaisant, qu'Adam Strange est certes un homme de deux mondes mais que celui où il est né l'a laissé tombé.


Mr. Terrific atterrit sur Rann pour consulter les archives relatives à la guerre contre les Pykkt. Sardath n'est pas là pour l'accueillir mais lui a garanti un accès total aux documents. Promesse dont Michael Holt va vite découvrir le mensonge car les articles écrits par les Pyykt n'ont pas été traduits...


Adam Strange, alors qu'il menait l'assaut contre l'ennemi, avec les Hellotaat en renfort, disparaît brusquement, téléporté sur Terre par le rayon Zeta. Il se tourne d'abord vers Hal Jordan pour retourner sur place mais le Green Lantern a reçu l'ordre des Gardiens d'Oa de ne pas se mêler du conflit.


Adam sollicite ensuite l'aide de Superman et essuie un nouveau refus car l'homme d'acier attend une attaque imminente de Mongol et ne peut s'absenter. Sur Rann, Mr. Terrific est arrêté après avoir, malgré tout, lu les rapports en Pykkt, qu'il a lui-même traduits.


Conduit devant Sardath, Michael Holt exprime son mécontentement car il n'a eu entre les mains que la propagande de Rann. Il interroge donc le beau-père d'Adam sur sa petite-fille, Aleea, dont il est persuadé qu'elle est toujours vivante. Sardath expulse Mr. Terrific de la planète.


Adam revient sur Rann grâce au rayon Zeta, une semaine après avoir disparu. Les Hellotaat ont été massacrés par les Pyykt mais Alanna n'éprouve aucun remords. 

Si l'attitude d'Alanna Strange avait pu en défriser certains à la fin de l'épisode précédent, après avoir entraîné Adam dans une querelle judiciaire contre le Justice League, puis dans les médias et enfin piégé Batman, ce nouveau chapitre enfonce un peu le clou de l'épouse du héros de Strange Adventures.

Dans une interview donnée après la sortie de l'épisode 3, Tom King pointait ainsi la différence entre le couple Strange et les autres qu'il avait déjà écrits : Batman et Catwoman ont longtemps été adversaires et dans cette adversité leur amour s'est révélé et solidifié ; Mister Miracle et Big Barda sont des amants éternels ayant échappé ensemble à l'enfer d'Apokolips. Adam est un aventurier uni à une princesse, qui se comporte comme tel, c'est-à-dire comme une membre de l'élite de sa planète, prête à tout pour son royaume et son mari. 

Selon le scénariste, cela justifie que la romance entre Adam et Alanna soit plus complexe que les autres. Cela suffit-il à faire d'Alanna la méchante de l'histoire ? En vérité, c'est un peu plus compliqué que ça.

King commence d'abord par une scène qui nous explique dans quelles circonstances Adam Strange n'a pu participer à la charge menée contre les Pykkt avec les Hellotaat. Le rayon Zeta, responsable de ses allers et venues inopinées entre Rann et la Terre, l'a téléporté sur notre planète au tout début de l'assaut. Avec ou sans lui, de toute manière, il est certain que cette attaque aurait été un désastre quand on voit que les Hellotaat sont armés d'épées et de lances face à des Pykkt équipés d'armes lourdes à feu.

Sur Terre donc, Adam cherche à rentrer le plus vite possible, conscient qu'il a abandonné ses troupes dans une situation critique. Et là, King appuie où ça fait mal en pointant l'ingratitude des héros terriens et/ou de ce(ux) qu'ils représentent. Hal Jordan, en sa qualité de Green Lantern, la force de police galactique la plus puissante qui soit, est en apparence l'allié parfait. Sauf que les patrons du Green Lantern Corps, les Gardiens d'Oa, ont interdit à leurs soldats de se mêler de la guerre sur Rann pour des prétextes politico-diplomatiques (en gros, on devine que les Gardiens veulent que Pykkt et Ranniens règlent leurs affaires entre eux).

Superman n'est pas plus disposé à aider Adam à rentrer sur Rann. King est un peu plus tendre avec l'homme d'acier (sans doute parce qu'il a écrit une mini-série sur lui) et on peut estimer ses raisons : un méchant menace la Terre et lui seul serait capable de le stopper; N'empêche comme le lui fait remarquer Adam, Mongul n'est toujours pas là alors que les Pykkt ravagent Rann.

Sans support, Adam rentre sur Rann, quand le rayon Zeta le lui permet, et ne peut que constater les dégats. Les Hellotaat ont été décimés. Il culpabilise, pas Alanna (considérant que de toute façon c'étaient des barbares, peu dignes de confiance) qui repart avec son mari à l'attaque.

Evan Shaner, qui se charge des scènes avec Adam et de cette conclusion avec Alanna, représente le héros avec beaucoup de justesse. On ne peut que partager son désarroi, sa détresse, son accablement, son écoeurement même. Comme lui, on trouvera bien détestables Hal Jordan et Superman quand ils laissent tomber Adam. Et on comprendra pourquoi Adam en rentrant sur Rann semble à son tour tourner le dos à la Terre, sa planète natale, dont les héros ont ignoré son calvaire et celui de Rann.

Shaner a pris un plaisir manifeste à dessiner ces planches d'abord parce qu'il a pu renouer avec deux de ses personnages favoris, qu'il a déjà animés brièvement par le passé. Hal Jordan (lors d'un one-shot lié à la saga Darkseid War) puis Superman (dans la collection Adventures of Superman) représentent d'ailleurs opportunément la loi et la justice, l'un comme flic de l'espace, soumis à une hiérarchie, l'autre comme une sorte de protecteur élu de la Terre. Dans la scène avec Superman, Adam porte en outre un costume ressemblant à celui qu'il avait lors de la période New 52 ou dans les premiers épisodes de Superman période Rebirth écrits par Bendis, ce qui indique que Strange Adventures n'est pas un récit hors-continuité (contrairement à Mister Miracle). 

Les planches de Shaner regorgent de détails comme seul un artiste investi dans son travail peut en mettre. Lors de la scène avec Hal Jordan, celui-ci et Adam discutent dans un bar près de la base aérienne de la compagnie Ferris. Le barman a les traits de Tom King, et deux clients en arrière-plan ressemblent à Mitch Gerads et... Shaner lui-même (ils sont tous très ressemblants, aucun doute donc sur l'intention de l'artiste). Moins anecdotique : quand Adam retrouve Alanna à la fin de l'épisode, celle-ci arbore sur le visage des peintures de guerre, signalant son rôle actif sur le front mais aussi soulignant par-là même une sorte d'apparat royal, une distinction esthétique, un maquillage de circonstance. Cela rappelle le look de certains personnages éminents dans Star Wars, comme la princesse Amidala.

Le découpage d'un tel projet qui associe deux graphistes pour narrer visuellement le récit exige du scénariste mais aussi de ses deux partenaires une discipline parfaite. Pourtant, cette fois, le script fournit à Mitch Gerads, comme pour Shaner, des scènes plus longues et par conséquent des planches où ils ne sont pas obligés de se partager les cases et les bandes. Cette liberté profite aux deux mais également au lecteur qui a une lecture moins hachée.

Surtout, l'inversion du procédé en cours durant les trois premiers épisodes permet de profiter différemment des prestations des deux dessinateurs. Ainsi le partage des tâches qui voulait que Shaner avait à illustrer la partie la plus héroïque et lumineuse tandis que Gerads s'inscrivait dans un registre plus sombre et critique est moins évident ici.

En effet, pendant que Shaner avec Adam est sur Terre, Gerads avec Mr. Terrific débarque sur Rann, après la guerre. Là encore, on appréciera la représentation soignée des décors. Gerads montre une planète en reconstruction après un conflit terrible, comme quand la navette qui véhicule Michael Holt au bâtiment des archives survole des ruines d'une cité autrefois prospère. Tout s'opère par un savant contraste alors entre ce qui se dit entre les personnages et l'endroit où cela se dit.

Comme vont vite le remarquer Michael Holt et le lecteur avec lui, tout n'est pas ce qu'il paraît être sur Rann. Malgré la désolation après la guerre, on constate que les dégats semblent circonscrits puisque les archives sont intactes, la technologie encore en parfait état, le confort assuré pour les élites et les invités de marque (comme Mr. Terrific). Mais surtout cette ambiance patente d'hypocrisie se fait jour quand Michael Holt souhaite consulter les rapports des Pykkt sur le conflit.

On lui explique que les Pykkt sont des kamikazes, n'ayant laissé que peu de témoignages. Puis que ceux qu'ils ont quand même laissés n'ont pas été traduits, qu'ils sont intraduisibles même par les sommités en linguistique de Rann. Pas de chance : Mr. Terrific est le "troisième homme le plus intelligent de la Terre" (certainement après Bruce Wayne et Lex Luthor, mais j'ignore si ce classement a jamais été clairement établi par DC) et il a décrypté, pendant son voyage, le langage Pykkt au point qu'il peut le lire et le traduire gratuitement pour les Ranniens.

Gerads s'amuse visiblement beaucoup avec Mr. Terrific, même si, ça et là, (et d'ailleurs il l'a reconnu en interview) il souffre visiblement en le dessinant, sans vouloir tricher. En tout cas, il en fait une sorte de bloc imposant, économe de ses mots et de ses gestes, qui ne s'en laisse pas compter. Quand il a compulsé les rapports des Ranniens, il sait qu'on l'a trompé car ce n'est que de la propagande (la communication qu'il a à distance avec Sardath à son arrivée sonne alors comme un présage car le beau-père d'Adam lui en livre un portrait incroyablement flatteur).

Lorsque la police vient arrêter Michael Holt le lendemain de sa visite aux Archives Pyykt, Gerads illustre à merveille avec quelle assurance tranquille le héros désarme les flics tout en chantonnant un air entendu la veille, mais surtout en soulignant que Mr. Terrific déteste être mis en joue - évidemment, dans le contexte actuel aux Etats-Unis (mais pas que...), avec les violences policières contre les afro-américains, ce passage résonne puissamment.

Pourtant le meilleur reste à venir quand Mr. Terrific et Sardath sont enfin dans la même pièce et que le premier ne mâche pas ses mots devant le second sur ses cachotteries. King résume le "fair-play" qui orne les manches du blouson de Michael Holt dans une scène extraordinaire réjouissante. Plus de doute alors sur la duplicité de Sardath... Qui éclaire d'un coup celle de sa fille.

En définitive, il est bien possible que Adam soit un criminel de guerre, mais aussi (surtout ?) un pantin instrumentalisé par son beau-père et son épouse, et que son ressentiment envers Hal Jordan et Superman ait joué un grand rôle dans sa volonté de règler la guerre sans faire de quartier. Néanmoins, ce que semble surtout suggérer l'épisode, c'est surtout que Rann est pourri et qu'entre l'abandon de ses amis et la reconnaissance d'une planète, Adam Strange a peut-être commis des atrocités, non par goût mais par dépit, par déception, par désoeuvrement.

On n'est qu'au tiers de la saga, mais celle-ci est déjà très riche en nuances. La suite s'annonce alléchante.


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