lundi 3 août 2020

BATMAN, VOLUME 13 : CITY OF BANE (PART 2/2), de Tom King, John Romita Jr., Mikel Janin, et Jorge Fornes


Suite et fin de City of Bane, ce treizième volume de Batman par Tom King collecte les épisodes 80 à 85 de son run. Le scénariste avait prévu de boucler son passage sur le titre au bout de cent épisodes avant d'être subitement écarté par l'editor Bob Harras : ironie du sort, avec les douze chapitres de la future maxi-série Batman/Catwoman, King dépassera le nombre qu'il s'était fixé... Accompagné par John Romita, Jorge Fornes et surtout Mikel Janin, il donne en tout cas tout ce qu'il et réussit une belle sortie.


Batman et Catwoman sont de retour à Gotham et s'en prennent aux inspecteurs du GCPD du commissaire Hugo Strange : Pr. Pyg, Double-Face, Salomon Grundy, Blockbuster, le Châpelier Fou, Hush... Ces manoeuvres alertent le Flashpoint Batman qui détient Robin (Damian Wayne) en otage.


Mais ce dernier a réussi à appeler les membres de la Bat-famille au secours et le Flashpoint Batman reçoit une raclée de Red Robin, Batwoman, Batgirl, le Signal et Orphan. Bane est prévenu de la l'arrivée de Batman et Catwoman et se prépare à les recevoir à l'asile d'Arkham. Le Flashpoint Batman riposte brutalement contre la Bat-famille.


Catwoman découvre que Batman a un allié dans l'asile d'Arkham en la personne de Gueule d'argile. Ils peuvent, grâce à lui, atteindre Bane qui les attend de pied ferme. Batman piège son adversaire en lui faisant croire qu'ils vont se battre en duel singulier. Mais au moment où la victoire semble acquise aux héros, Thomas Wayne surgit et met un terme brutal au combat.


Batman revient à lui dans la salle à manger du manoir Wayne et découvre le cadavre d'Alfred Pennyworth. Dévasté, il pleure son plus proche ami puis se ressaisit. La pièce a ses sorties emmurées. Au comble du désespoir, Batman voit Catwoman resurgir et l'inviter à le suivre dans une pièce voisine où Thomas Wayne l'attend avec le Ventriloque et le Psycho-Pirate.


A rebours des faits, les origines de Thomas Wayne sont dévoilées depuis qu'il est sorti du puits de Naïn jusqu'à la mort de son propre fils sur sa Terre parallèle en passant par la destruction de celui-ci et son arrivée dans notre dimension grâce au Reverse-Flash (qui a voulu ainsi se venger de lui pour l'avoir tué sur son monde d'origine).


Enfin, Bruce et Thomas Wayne règlent leurs comptes...

Curieusement, dans les dernières interviews qu'il a données au terme de son run sur Batman, quand il était interrogé sur l'histoire qu'il avait voulu raconter pendant quatre-vingt-cinq épisodes, Tom King répondait invariablement : une histoire d'amour. Celle, en l'occurrence, entre Batman et Catwoman, sans cacher qu'elle lui avait été inspirée par celle de ses propres parents.

Effectivement, dans le dernier épisode, l'accent est mis sur le couple Bat-Cat (diminutifs qui ont agacé moult lecteurs... Il est vrai que la répétition de ces petits noms dans les dialogues a parfois été abusive). Et cela préfigure ouvertement ce que ce sera sans doute Batman/Catwoman, la maxi-série que King et Clay Mann produiront - même si aucune date de parution n'a encore été annoncée (Mann veut dessiner suffisamment d'épisodes avant que la publication commence et qu'il puisse assurer la totalité des douze chapitres).

De manière plus générale, le couple est mis en scène comme une entité dans ces épisodes, il ne s'agit plus d'un tandem de circonstances, mais bien de deux partenaires engagés dans une relation amoureuse et dans la reconquête de Gotham. Ils se battent ensemble et gagnent grâce à leur complicité. Cette complicité qui a fait défaut à Bane et au Flashpoint Batman.

Car, dans la totalité de l'arc narratif que constitue City of Bane, le centre de gravité s'est déplacé pour faire de Thomas Wayne le vrai méchant de l'histoire, au détriment de Bane, qui n'apparaît plus que de façon secondaire. C'est un peu dommage car on a le sentiment que King a perdu son intérêt pour Bane et modifié son intrigue au profit de ce rapport père-fils.

De fait, cela apparaît comme une erreur stratégique car dans la première moitié de son run, King avait écrit Bane comme un redoutable adversaire, à la fois sur le plan physique évidemment mais aussi intellectuel. Passé le cinquantième épisode, avec notamment l'arc (pourtant moyen) Tyrant Wing, on mesurait la terrifiante domination de Bane pour démolir Batman sur tous les plans.

Mais la bascule en faveur de Thomas Wayne s'est accompli lors des épisodes de l'arc The Fall and the Fallen, quand Batman, réellement mis au tapis par Bane, est donc entraîné dans le désert par le Flashpoint Batman. Bane disparaît alors de l'image et c'est toute la série qui se redessine. Est-ce qu'à cette époque Tom King savait qu'il serait débarqué de la série et a donc précipité ses mouvements ? Ou alors, en ayant eu la possibilité d'aller au bout de son plan de cent épisodes, la transition aurait-elle été plus subtile ? On peut en douter dans la mesure où l'intrigue de Batman/Catwoman ne semble pas (plus) exploiter ce qui était en jeu jusqu'au terme de City of Bane (quelques dessins de Clay Mann, diffusés au compte-gouttes sur Twitter par l'artiste et son scénariste, font plutôt état d'un retour en force du Joker et de l'apparition du méchant Phantasm, issu du cartoon Batman : The Adventures series).

Les deux premiers épisodes de l'album sont dessinés par John Romita Jr. (encré par Klaus Janson). C'est la première (et dernière) collaboration du vétéran avec King et le résultat laisse perplexe. Romita Jr. et Janson produisent des planches qui sont quand même d'une laideur assez triste, le trait est épais, les compositions sont plates, le découpage paresseux. Avec un JR Jr. en forme, c'est-à-dire motivé et surtout avec au moins vingt ans de moins, ç'eût été une toute autre chanson, mais là, c'est juste moche, indigne. Personnellement,je n'ai jamais été convaincu des bienfaits de son binôme avec Janson : le meilleur encreur de Romita Jr restera Al Williamson, mais ce Romita Jr.-là est bien loin et personne n'égalera plus Williamson (qui était en plus un fabuleux dessinateur-embellisseur, tout le contraire de Janson). Les fans de l'artiste accableront la colorisation, certes un peu appuyée, de Tomeu Morey, mais franchement ce reproche ne peut masquer les insuffisances du dessinateur.

Heureusement, Mikel Janin revient et avec lui, l'excellence. Il lui revient la part du lion et des moments-clés du récit. D'abord le duel Batman-Bane, d'une férocité incroyable (surtout quand Catwoman s'en mêle, toutes griffes dehors). King et Janin s'auto-citent de manière habile et renvoient le fan fidèle de leur run au deuxième arc avec le premier combat à Santa Prisca.

Pourtant, à cette baston intense, j'ai préféré l'épisode 83, un sommet du genre. Emmuré dans le salon du manoir Wayne, Batman découvre le corps sans vie d'Alfred Pennyworth. Janin réussit superbement à traduire toute la détresse, toute la douleur de Bruce Wayne face à cette tragédie, ce deuil dans la famille. C'est poignant, puissant, et l'artiste trouve toujours le bon dosage, le bon découpage, le bon angle, la bonne valeur de plan pour capter les émotions du personnage. C'est véritablement le tournant de cet fin d'arc, l'instant où le héros peut définitivement sombrer mais se relève et entame un ultime parcours vers la reconquête. Tout King est en somme résumé dans ces pages : ce n'est pas simple à lire, mais quelle maestria !

Le pénultième chapitre est un bel exercice de style, à la manière du Memento de Christopher Nolan, puisque raconté à l'envers. On découvre les origines du Flashpoint Batman, qui, pour une part, reviennent aussi sur des instants-charnière des aventures de Batman durant le run de King. C'est l'histoire de Thomas Wayne qui a perdu son fils et dont la femme Martha est devenue folle et émule du Joker, puis qui est devenu une version sinistre de Batman, transporté dans notre monde pour forcer son fils adulte de rester un justicier. C'est une figure de méchant fascinante, originale (celle d'un père qui veut épargner son fils en faisant le sale boulot de vigilante à sa place), mais vouée à l'échec (car Bruce est Batman par devoir, non par choix, et que les méthodes de Thomas sont trop radicales, son plan est trop délirant). Jorge Fornes illustre ce segment et je dois avouer que si j'ai été souvent critique envers lui, il s'en sort ici très bien, s'acquittant de la tâche avec rigueur.

Le dénouement surprend par ses parti-pris. King n'a visiblement pas voulu conclure de façon convenue. C'est une sorte de geste orgueilleux et plein de panache de la part d'un auteur qui a écrit Batman en privilégiant l'instropection. L'épisode est ainsi déconstruit, avec des allers-retours, suggérant ici, terminant là, et plus souvent encore en faisant un pas de côté. L'action a comme fil rouge une séquence dans un bar de Gotham où Bruce regarde à la télé un match de football américain aux côtés de Kite Man (en civil - et qui ne reconnaît évidemment pas l'alter ego de Batman). La partie est mal engagée pour une des deux équipes et King s'en sert comme d'une métaphore, simple mais habile, pour parler d'espoir, de fierté, de reconquête, d'estime de soi.

On peut reprocher à cette conclusion d'être anti-climatic, de manquer d'intensité, parce qu'elle n'offre pas un affrontement épique entre les deux Batman notamment. Mais King a voulu faire dépouillé. Il n'y a plus à la fin de cette aventure que quatre personnages dans une pièce et une évidence que l'un refuse d'admettre (ce Thomas Wayne n'est pas le vrai père de Bruce Wayne). Comme l'affirmait King, sa véritable ancre narrative, c'est Batman et Catwoman, leur histoire d'amour, et il leur consacre les plus belles scènes, vibrantes, délicates, pleines de clins d'oeil. Alors, oui, ce n'est pas un climax classique, mais quelque part, c'est mieux que ça. C'est une révèrence, élégante, et émouvante, un refus du tumulte et un éloge de la passion. Mikel Janin les dessine merveilleusement (suppléé sur deux pages par son ancien encreur Hugo Petrus, pour une scène d'ailleurs superflue).

Voilà, ça, c'est fait. Le Batman de Tom King n'est pas un long fleuve tranquille. Il a ses hauts (très hauts, très beaux) et ses bas (très bas), mais l'ensemble est passionnant, profond, envoûtant et atypique. Et ce n'est pas vraiment fini donc puisque Batman/Catwoman finira pas sortir (nul doute que le résultat sera à la hauteur de l'attente).

Aucun commentaire: