mardi 10 avril 2018

DAREDEVIL, VOLUME 4 : IDENTITY, de Charles Soule, Goran Sudzuka, Ron Garney et Marc Laming


Reprenons notre examen des épisodes de Daredevil écrits par Charles Soule avec ce quatrième recueil, comprenant les n° 15 à 20, dessinés par Goran Sudzuka (#15-16), Ron Garney (#17-18, 20) et Marc Laming. L'auteur entreprend de répondre (enfin) à des questions essentielles sans réponses depuis le début de sa prestation, ce qui en fait un tome important.


- #15-16 (dessinés par Goran Sudzuka.) - Bien qu'il prenne à sa charge les frais d'hospitalisation de Samuel Chung après la mutilation que lui a infligé Muse, Matt Murdock culpabilise à propos de son apprenti. Comment expier sa faute tout en continuant son combat contre les criminels ? Au moyen d'un stratagème périlleux : en faisant mettre la tête de Daredevil à prix, pour mieux appréhender le pire des tueurs de New York.
   

C'est ainsi, après quelques péripéties, qu'il pousse Bullseye à sortir du bois. Un énième duel entre Daredevil et son ennemi juré a lieu, qui se solde par la victoire du premier. De retour à l'hôpital, Matt apprend que la mère de Samuel, ex-maîtresse de Tenfingers, l'a fait sortir - sans préciser où elle l'emmenait. Murdock s'est, tout au long de ces derniers jours, ouvert en confession et en discussion ouverte à un prêtre, le Père Jordan, auquel il veut à présent expliquer comment il a réussi à faire oublier à tout le monde que Matt Murdock et Daredevil n'étaient qu'une seule et même personne.


- #17-20 (dessinés par Ron Garney et Marc Laming.) - Une fois devenu riche et célèbre après la parution de son autobiographie, Matt Murdock convainquit Kirsten McDuffie, dont il partageait la vie, de rentrer à New York. Mais ce retour aux sources ne l'apaisa pas : sa nouvelle situation n'allait pas calmer les adversaires de Daredevil - au contraire, ils pouvaient s'en servir pour le poursuivre contre des agressions arbitraires. Matt comprit alors que le seul remède à cela était de récupérer son identité secrète, mais il essuya le refus du Dr. Strange, du Surfeur d'Argent, d'Emma Frost, et repoussa l'offre de Daimon Hellstrom d'en parler à Mephisto.


Kirsten et Matt repartirent à San Francisco où deux des enfants de l'Homme Pourpre vinrent frapper à leur porte. Joe et Shallah étaient séparés de leurs trois frères et soeurs depuis que leur père s'était évadé de prison mais conduisirent Daredevil jusqu'à son repaire où Zebediah Kilgrave avait construit une machine alimentée par l'énergie de ses trois autres enfants et augmentant sa puissance. Impuissant, DD tomba sous son emprise.


Torturé mentalement par l'Homme Pourpre, Daredevil puisa dans ses ressources pour reprendre le contrôle de lui-même et vaincre son adversaire. Ce dernier ayant annoncé qu'il avait commandé à la population de se déchirer, DD repartit pour tenter d'éviter une catastrophe. Mais tandis que San Francisco était finalement calme, les enfants de Kilgrave s'installèrent dans la machine avec leur père pour rendre un service au justicier en effaçant de la mémoire de tous les gens qu'il était Matt Murdock.
  

L'opération fut un succès total : même Kirsten McDuffie ne se rappelait plus de cet élément. DD ne se démasqua que devant Foggy, désormais le seul à partager son secret. Entre temps, les enfants Kilgrave disparurent, laissant leur père ligoté et inconscient. De retour à New York, Matt apprit que sa situation avait un prix : il ne pourrait plus fréquenter Kirsten et Foggy ne voulait plus avoir affaire à lui.

On passera vite sur les deux premiers épisodes, bien que le plan du héros imaginé par Charles Soule pour tenter de se sentir moins coupable après la blessure terrible infligé à Blindspot par Muse (voir Vol. 3 : Dark Art) ait quelque chose de sympathiquement tarabiscoté dans sa volonté double de coincer aussi son plus célèbre ennemi. 

On ne s'y attardera pas car, dans ces chapitres, Soule, qui, par la suite, va éclaircir un mystère essentiel de son run (comment Murdock s'y est-il pris pour que plus personne ne sache qu'il est Daredevil ?), crée une nouvelle énigme. En effet, dans le premier Volume du run de Mark Waid, dans l'épisode 27 précisément, Bullseye est laissé en très piteux état (tétraplégique et aveugle) : or, le voilà à nouveau sur pied, en parfaite forme physique ! A l'époque où ont été publiés ces épisodes (courant 2017), Marvel a voulu développer le "DD-verse" en lançant des séries Kingpin, Bullseye et Elektra, qui connaîtront toutes des bides absolus, et peut-être le rétablissement miraculeux de Bullseye y était expliqué, mais comme je n'en ai lu aucune et qu'aucune mention n'est faite par Soule, tout cela procède d'un grand n'importe quoi de toute façon.

Non, le coeur et le véritable intérêt de ce tome 4, ce sont bien les épisodes suivants, des n° 17 à 20, avec enfin un éclaircissement sur le mystère de l'identité secrète récupérée par DD. Et, là, alors qu'on pouvait vraiment redouter le pire, Soule se montre vraiment malin en utilisant une solution imprévu, imprévisible et qui fonctionne plutôt bien.

Dans un premier temps, il revient sur la fin du run de Waid et ses conséquences : Matt Murdock a fait son coming-out depuis quelque temps, motivant son exil à San Francisco (puisqu'il a été radié de l'ordre des avocats à New York) jusqu'à désormais plaider au tribunal comme quand il intervient en qualité de Daredevil, sans masque ni costume en spandex rouge. Rédigeant avec Foggy Nelson et Kirsten McDuffie son autobiographie pour laquelle il reçoit un à-valoir important, il devient aussi riche que célèbre. Mais cette gloire brouille ses repères : en changeant de statut, de vie, il ne peut être qui il a toujours été, juriste le jour et défenseur de la veuve et l'orphelin la nuit.

Un retour à New York n'arrange rien. Désormais, il est comme un people dont la situation ne calme pas ses ennemis locaux - pire elle met en danger ses amis et tous les anonymes qui l'approchent. Le chasseur est devenu une proie, qui compromet tout son entourage (direct et indirect). Murdock saisit que pour son bien et celui des autres (ses proches et la communauté en général), il lui faut retrouver sa double identité et le secret qui l'accompagne. Il se tourne vers des personnalités assez puissantes pour permettre cela mais essuie des refus ou lui-même refuse des issues de secours (l'évocation de Mephisto est rapide et très malicieuse).

Recourir à l'Homme Pourpre et ses enfants est un procédé astucieux de la part de Soule : elle renvoie là encore à des épisodes de Waid (Vol. 2, #13-15) et la mise en scène est habile, évitant le grand spectacle au profit d'un coup de main auquel Daredevil n'a même pas pensé lui-même mais dont le résultat dépasse ses espérances - trop même car, sinon ça ne serait pas drôle, il y a un prix à payer pour ce passé retrouvé. Par ricochet, on apprend donc aussi pourquoi Foggy est brouillé avec Matt et pourquoi Matt n'est plus en couple avec Kirsten McDuffie.

La "correction" qu'a conçue Charles Soule a quelque chose d'infiniment plus séduisante que celle de l'arc One More Day dans Amazing Spider-Man par J. Michael Straczynski et (surtout) Joe Quesada, avec l'intervention de Mephisto, pour rendre à Peter Parker une certaine virginité en même temps que sa double vie sur fond de sacrifice de son mariage avec Mary-Jane Watson et de guérison providentielle de l'increvable Tante May. Ici, le scénariste a choisi de démarrer son run en plongeant le lecteur dans la perplexité car Daredevil était à nouveau un héros avec une identité secrète. C'est le même scénariste, qui, sans pression éditoriale, non pas met fin à ce statu quo, mais qui l'explique, avec des moyens malins, préférant une dose de fantastique à une intervention surnaturelle pour satisfaire une obsession idiote (Quesada ayant toujours déprécié l'idée que Peter Parker soit un homme marié, au prétexte que cela empêchait ses fans de s'identifier à lui).

Ces quatre épisodes permettent aussi de retrouver au dessin Ron Garney. Son sens de la narration, très dynamique, ses parti-pris stylistiques (qui s'adoucissent un peu au fil de ces épisodes, tout comme la colorisation de Matt Milla, moins radicale), sont tout de même plus puissants que ceux de Goran Sudzuka dans les deux premiers chapitres du recueil. Et quand Marc Laming vient jouer les intérimaires le temps du n°19, on mesure encore plus la supériorité technique de Garney, dont le trait souple et nerveux, l'art du clair-obscur, le découpage généreux, tranche avec la raideur de son remplaçant occasionnel.

Plus accompli narrativement que graphiquement, ce Volume 4 des aventures de Daredevil constitue un tournant dans la série telle que l'écrit Charles Soule. L'auteur peut alors s'engager dans un arc très ambitieux pour le cinquième tome, riche de huit épisodes, les derniers avant la renumérotation historique du titre établie à l'Automne dernier avec "Marvel Legacy".

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