mercredi 29 novembre 2017

CHRONONAUTS, de Mark Millar et Sean Murphy


J'avais déjà lu Chrononauts il y a quelques mois mais sans penser à prendre des notes pour en tirer un résumer ni en rédiger une critique. Comme je visite le "Millarworld" en ce moment, je me suis donc replongé dans la collaboration entre Mark Millar et Sean Murphy (qui restera certainement unique puisque le dessinateur a récemment annoncé qu'après son prochain projet avec Scott Snyder, il ne se consacrera plus qu'à des BD qu'il écrira). Plaisir confirmé.


Invité dans le Sud-Est de la Turquie, le scientifique Corbin Quinn visite la découverte d'une équipe d'archéologues sur place : dans une caverne construite il y a plus de 6 000 ans, plus ancienne que le site de Stonehenge, on a trouvé un avion à réaction datant des années 1970. De retour au Texas, Quinn en discute avec son ami et confrère Danny Reilly, convaincu que des découvertes similaires ne sont pas des canulars mais des objets déplacés dans le temps. Or, la "chrono-physique" est le domaine de Quinn qui a convaincu le gouvernement de construire d'abord un satellite pour enregistrer des images dans le passé. 


Ainsi obtient-il des prises de vue provenant de la bataille de Gettysburg en 1863 : la nouvelle fait la "une" des médias  et préfigure la confection de combinaisons permettant à l'homme de voyager dans le temps. 18 mois plus tard, depuis une base du Nevada, Quinn et Reilly testent leur équipement. Mais au moment de franchir le portail temporel, Quinn est aspiré dans la mauvaise direction et, au lieu d'être transporté en 1942, il remonte jusqu'en 1504 à Samarkand. Reilly convainc alors le personnel technique et la sécurité d'aller sauver son ami.


Grâce à la caméra intégrée à sa combinaison, Reilly diffuse des images de son arrivée en 1504 à Samarkand où il est convoyé par des hommes équipés d'armes d'autres époques jusqu'au roi de la ville : Corbin Quinn ! Bien qu'il ne soit parti que depuis 40 minutes, il est en fait là depuis quatre ans, période qu'il a mise à profit pour améliorer son matériel exploratoire afin de se déplacer à travers les âges tout seul. 

Il embarque pour une virée de démonstration Reilly à Paris en 1961, puis en 3 000 avant J.C. en Egypte, en 1220 au Japon, en 1929 à New York : partout il a gagné les titres de pharaon, seigneur, hommes d'affaires, politicien, frayant même avec la petite amie du gangster de "Lucky" Luciano. Mais Reilly le réprimande d'utiliser ces transports temporels pour combler ses plaisirs personnels et non pour le bénéfice de la recherche. Quinn lui répond qu'il a tout perdu en 2015 : son père alcoolique, sa femme Rachel. Cependant, dans la base du Nevada, Mannix le chef de la sécurité rassemble un commando pour appréhender les deux compères qui continuent de se balader (durant la préhistoire il y a 65 millions d'années puis en Ecosse en 1314 jusqu'à Bethléem où ils assistent à la naissance de Jésus !). A New York, en 1929, la fiancée de "Lucky" Luciano soupçonne Quinn de la tromper et s'apprête à le livrer à la pègre...


Quand Quinn retourne à New York en 1929, il échappe miraculeusement à son exécution grâce à l'intervention du commando de Mannix mais s'enfuit avec Reilly. Une folle course-poursuite s'engage entre les deux scientifiques et les hommes de Mannix, passant par Miami en 1969 lors de la finale du Superbowl, Londres en 1895, Rome en 203 après J.C., Koursk en 1943, Dallas en 1963 (où ils déjouent l'assassinat de JFK !), en Chine en 212 ap. J.C., le Grand Canyon en 1452, puis de retour à Samarkand en 1504.


Quinn a compris qu'on les traquait grâce à la batterie de leur combinaison et ordonne à son général, Savar, de s'en débarrasser mais ce dernier en enfile une et menace de mort les deux scientifiques s'ils ne lui expliquent comment l'équipement fonctionne...


Mannix écrasé par un dinosaure avec son commando il y a 65 millions d'années, Quinn et Reilly sont désormais livrés à eux-mêmes. Comme le premier "chrononaute" refuse d'expliquer à Savar le fonctionnement de sa combinaison, il est expulsé de Samarkand et livré au désert tandis que Reilly est conduit en salle de torture. Mais Quinn retrouve une combinaison de rechange qu'il avait caché dans le désert précédemment et il en profite alors pour réunir une armée avec des guerriers issus de Norvège en 812 ap. J.C., à Sparte en 431 av. J.C., en France en 1916, à Rome en 225 ap. J.C., en Chine en 202 av. J.C..


Tous ensemble ils attaquent Samarkand et libèrent Reilly en tuant Savar et ses sbires. Danny convainc alors Corbin de réparer les dégâts qu'il a infligés au continuum espace-temps en corrigeant au passage les erreurs commises dans son propre passé. Ainsi revient-il en 2015, attendu par Rachel et son père tandis que Reilly calcule que leurs aventures n'ont en vérité duré pas plus de huit minutes.

De toutes les productions estampillées "Millarworld", publiées par Image Comics, Chrononauts est sûrement la plus délirante et la plus spectaculaire tout en étant le plus dense : en seulement quatre épisodes, on traverse une multitude d'époques, de lieux, au gré des péripéties de Corbin Quinn et Danny Reilly, en cessant rapidement de réfléchir à l'ampleur des changements qu'infligent les deux aventuriers sur le continuum temporel.

L'intention de Mark Millar a clairement été d'en mettre plein la vue au lecteur tout en le divertissant de manière légère et trépidante, sans souci de réalisme. En convainquant le prodige Sean Murphy (révélé par Joe l'aventure intérieure écrit par Grant Morrison puis son propre récit complet Punk Rock Jesus et ses collaborations avec Scott Snyder, pour The Wake, et récemment Tokyo Ghost avec Rick Remender), le scénariste a une fois de plus eu la chance d'accrocher un artiste fantastique à son tableau de chasse mais surtout le dessinateur idéal pour supporter un récit aussi exigeant visuellement.

La référence de Millar pour Chrononauts est les "buddy movies" des années 1980 où deux personnages dissemblables, aussi bien physiquement que psychologiquement, s'allient pour une mission qu'ils sont les seuls à pouvoir accomplir et qui, dans les épreuves qu'ils rencontrent, admettent leur complémentarité. On peut noter que Murphy avait designé les deux héros de manière très différente au départ (voir ci-dessous), attribuant l'aspect de Reilly à Quinn et s'inspirant pour Reilly d'un autre modèle. Si j'ignore la raison de ces modifications, on peut néanmoins penser que donner à Corbin un look de baroudeur un peu plus âgé visiblement que celui de Danny correspond mieux au passé chaotique du personnage.


Malgré ces déplacements géographiques et historiques très amusants, le récit bénéficie d'un rythme absolument affolant, qui ne laisse aucun répit au lecteur, aussi ébahi que Reilly au début (et plus encore par la suite jusqu'à la fin). La morale en jeu est qu'on peut facilement être grisé par le pouvoir acquis (par la science ici) et le détourner à des fins personnels : à cet égard, la dérive de Quinn est logique puisqu'il a perdu tout ce qu'il aimait et (peut-être en l'ayant prémédité) ne veut plus rentrer en 2015 où il est malheureux, ayant sacrifié son couple et sa relation avec son père alcoolique pour son travail et la gloire.

De l'autre côté, Reilly apparaît d'abord comme un frimeur inconséquent avant de se muer en guide moral pour son ami dont il déplore les excès et qu'il va amener à le sauver, puis à se sauver de lui-même lorsqu'il s'agira de ranger tout ce qu'il a déplacé à travers les âges. On perçoit là une dimension sentimentaliste affichée et assumée par Millar, contredisant le cynisme provocateur qu'on lui a souvent associé.

Les pages de Murphy ne se contentent pas de représenter les parties les plus grandiloquentes avec un luxe de détails et un sens du mouvement extraordinaire, grâce à des plans composés pour optimiser l'action, les cascades, les décors : il excelle aussi dans les moments plus calmes ou comiques grâce à son trait vif, où chaque élément est disposé dans une ambiance que la colorisation de Matt Hollingsworth, grâce à une palette soulignant les teintes chaudes, souligne.

Il est difficile de résister à une balade pareille : elle procure une telle dose de fun et elle est si bien illustrée qu'on la lit et relit avec un plaisir intact.

1 commentaire:

Zaïtchick a dit…

Une chronique intéressante. Merci.