mardi 17 octobre 2017

MISTER MIRACLE #3, de Tom King et Mitch Gerads


Nous arrivons au quart de cette maxi-série, une étape qui doit permettre au lecteur de savoir s'il est vraiment accroché, disposé à suivre l'histoire jusqu'à son terme, et de spéculer sur son sens (à défaut de sa fin). C'est aussi l'électrisante sensation d'ouvrir un nouvel épisode avec l'envie de savoir s'il tiendra les promesses des deux précédents. Vérifions et analysons tout cela.


Visiblement perturbé par les révélations que lui a faites Mamie Bonheur (Granny Goodness en v.o., si vous préférez) avant sa mort, Scott Free alias Mister Miracle a du mal à retrouver le sommeil depuis qu'il a regagné la Terre avec Barda. Le sentiment qu'Orion, nouveau Haut-Père de New Genesis, lui dissimule quelque chose sur la guerre qu'il mène contre Apokolips et Darkseid le taraude. Et cela ne va pas s'arranger avec une visite inattendue à son domicile en pleine nuit : Bug the forager, un des soldats de l'armée levée par son camp, lui révèle que la reine de son peuple a voulu négocier la stratégie avec Orion et qu'en réponse celui-ci l'a fait exécuter pour trahison.


Désormais, les Bugs ne veulent plus que suivre Mister Miracle. Mais, avant que Scott ait pu digérer ces nouvelles et donner une réponse à cette requête, Lightray apparaît et désintègre Bug ! Sidéré, il demande si ce qu'a dit Bug était vrai mais Lightray dément en ricanant et repart aussitôt.


Le trouble de Scott augmente encore d'un cran quand il apprend après avoir accompli un nouveau numéro de prestidigitation retransmis à la télé qu'Orion a contacté Barda pour leur demander de revenir sur New Genesis. Il compte donner l'assaut contre Darkseid qu'il estime affaibli par la mort de Mamie Bonheur.


Avant cela, Scott doit honorer une nouvelle prestation médiatique, mais, en coulisses, il s'interroge à nouveau sur sa capacité à distinguer le vrai du faux. Les pilules prescrites par le Dr. Bedlam, après sa tentative de suicide, sont-elles responsables de son malaise ? Ou, pire, est-ce un effet de l'équation d'anti-vie que possède désormais Darkseid et qui a justement pour effet d'altérer la réalité ?


Sur New Genesis, Scott veut s'entretenir avec Orion au sujet de l'assaut qu'il veut déclencher et du sacrifice des Bugs, mais son demi-frère le roue à nouveau de coups. Et, pour imposer son autorité et la justesse de ses décisions, lui assure que, contrairement à Mister Miracle, lui a vu le visage de Dieu, ce qui l'a rendu clairvoyant. Groggy, Scott Free n'a pas fini de s'interroger sur la possible manipulation dont il est le jouet...


Comme je le disais en introduction, une série, quand elle franchit un premier cap, autorise le lecteur à se livrer au petit jeu des spéculations sur sa signification globale et au repérage d'indices sur sa suite (voire sa fin).

Tom King ne livre pas grand-chose sur ses intentions, à ce stade il me paraît impossible de deviner comment tout cela va se terminer, ni comment. Mais, en même temps, réussir à préserver le mystère de l'oeuvre équivaut à garder le secret de ses tours pour un artiste de l'évasion comme l'est justement Mister Miracle, ses trucs de prestidigitateur.

La seule chose certaine, à mon humble avis, est que Mister Miracle, comme maxi-série, est d'abord une réflexion sur le thème de la perception. Scott Free est de plus en plus travaillé par des interrogations sur son état mental, sa capacité à surmonter sa dépression, à assumer ses fonctions (son métier d'escapist et son rang de général d'armée, son statut de mari, sa fraternité avec Orion, l'éventualité d'être une sorte de sauveur - comme le lui a suggéré Mamie Bonheur...). Lorsqu'on est dans une telle situation, tout incite au doute : soi-même et son entourage, ce qui se passe autour de soi.

Dans cet épisode, Scott se demande si ce doute est alimenté par les pilules prescrites par le Dr. Bedlam (historiquement lié aux forces de Darkseid) ou, de manière plus profonde et générale, par l'équation d'anti-vie de Darkseid, qui peut altérer la réalité elle-même (et donc suggérer à quiconque qu'il ne vit pas ce qu'il croit vivre). Visuellement, cela se traduit, grâce au magistral concours de Mitch Gerads, par des images brouillées, semblables à celles visibles sur un poste de télévision mal réglé ou sujet à des parasites, des interférences. Soudain, les lignes se déforment, les couleurs se saturent, les transitions déraillent : l'effet introduit un malaise puissant, très immersif car on ressent alors les doutes de Scott Free avec autant de force.

Ce qui semble également certain, c'est que la guerre menée par Orion ne l'est pas dans les règles. L'intervention de Bug the forager est particulièrement éloquente à cet égard : il se rend chez Scott Free en employant un moyen de transport (une boîte-mère qui grâce à un tube "boom" permet d'aller de New Genesis sur terre et retour) facilement détectable par les sbires d'Orion comme de Darkseid. Rapidement donc, il l'informe du sacrifice de son peuple à cause de la stratégie agressive, sans scrupules, d'Orion et supplie Mister Miracle de prendre le commandement des opérations, convaincu qu'il remportera la victoire en perdant moins de soldats. Mais Lightray, désormais bras-droit d'Orion, surgit et tue froidement Bug. Cette exécution sidère Scott sans lui fournir de lumière sur Orion, la guerre, son état mental. La confusion encore, toujours.

Cela débouche sur l'autre thème de la série : l'effacement. On nie depuis le début de l'aventure à Scott Free (et par conséquent à Barda, son épouse, quand bien même celle-ci ne se pose pas de questions sur la légitimité d'une action contre Darkseid, de la nécessité d'y participer et des méthodes pour le vaincre) le droit de rester en dehors de la guerre. Mais on refuse aussi de considérer la dépression sévère dont il souffre à l'évidence (il a tenté de se suicider, même s'il prétend qu'il s'agissait d'un accident survenu en s'entraînant pour un numéro d'évasion, et il a cru qu'Oberon était toujours vivant, alors que ce dernier est mort d'un cancer). Les civils qui l'abordent après qu'il se soit produit à la télé lui demandent un selfie non pas de lui-même, Scott Free, mais de son alter ego, Mister Miracle (la variant cover signée Mitch Gerads résume d'ailleurs cette situation en montrant Scott mitraillé par des appareils photos sur l'écran de contrôle desquels seul le visage masqué de Miracle apparaît). Enfin, Orion le remet très durement à sa place quand il se présente à lui pour discuter des propos de Bug, de sa tactique militaire.

Ce personnage est malmené sévèrement alors qu'il tient déjà à peine debout. D'un côté, sa fragilité le rend manipulable (par ses pairs - Orion compte là-dessus pour qu'il lui obéisse en l'envoyant détruire des Paradémons - et ses ennemis - l'interview dérangeante de Glorious Godfrey, la présentation de Funky Flashman, les révélations sujettes à caution de Mamie Bonheur, la manipulation globale éventuelle de Darkseid grâce à l'équation d'anti-vie comme celle plus ciblée du Dr. Bedlam avec ses pilules). En l'oppressant, en l'opprimant ainsi, Tom King ne fait pas que piéger le héros dans les cordes, il y accule le lecteur avec lui, et cherche visiblement à provoquer leur sursaut, leur réaction, leur révolte.

C'est pour cela que cet épisode, au premier quart de la série, est important : quand bien même ignore-t-on encore beaucoup de choses, on en sait au moins une - il y a quelque chose de pourri au royaume de New Genesis, et le doute qui ronge Mister Miracle est à la fois sa faiblesse et sa force, car il le diminue mais l'invite aussi à un rebond urgent. C'est sans doute moins à la mort qu'au mensonge que notre escapist devra échapper pour résoudre les secrets (sur ses origines, son rang, son rôle, les agissements des siens et de ses ennemis) qu'il a devinés. 

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