mercredi 13 juillet 2016

Critique 950 : CHARADE, de Stanley Donen


CHARADE est un film réalisé par Stanley Donen, sorti en salles en 1963.
Le scénario est écrit par Peter Stone et Marc Behm. La photographie est signée Charles Lang Jr.. La musique est composée par Henry Mancini.
Dans les rôles principaux, on trouve : Audrey Hepburn (Regina "Reggie" Lampert), Cary Grant (Peter Joshua), Walter Matthau (Hamilton Bartholomew), James Coburn (Tex Panthollow), George Kennedy (Herman Scoby), Ned Glass (Leopold Gideon), Jacques Marin (inspecteur Edouard Grandpierre), Thomas Chemsky (Jean-Louis).
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Regina "Reggie" Lampert rentre de ses vacances à la montagne et apprend le décès de son mari, Charles, après avoir été jeté d'un train. Elle découvre aussi, sidérée, qu'il avait vendu aux enchères tout le mobilier de leur appartement parisien.
Hamilton Bartholomew et Regina Lampert
(Walter Matthau et Audrey Hepburn)

Désemparée, elle n'est toutefois pas au bout de ses surprises : Hamilton Bartholomew, administrateur de la C.I.A., la contacte pour l'informer que Charles avait volé 250 000 $ à la résistance française en 1944 avec trois complices qui veulent récupérer le magot, convaincus que Reggie est en sa possession désormais.
 Peter Joshua et Reggie Lampert
(Cary Grant et Audrey Hepburn)

La jeune et jolie veuve, plus interloquée qu'inconsolable après ces révélations sur son époux qu'elle connaissait si mal, peut heureusement compter sur le soutien de Peter Joshua, un homme qu'elle a rencontré à la montagne et à qui elle avait donné rendez-vous à Paris.
Néanmoins, elle ignore qu'il est un menteur en relation avec les trois complices de feu Charles Lampert - Herman Scoby, Tex Panthollow et Leopold Gideon - à qui il demande de cesser d'effrayer Reggie, persuadé qu'il arrivera à savoir où elle a caché le butin qu'ils convoitent tous. 
 Herman Scoby, Jean-Louis, Tex Panthollow et Leopold Gideon
(George Kennedy, Thomas Chemsky, James Coburn et 
Ned Glass)

Mais les trois canailles ne baissent pas les armes. Des tensions les divisent même assez vite après que Peter ait suggéré que le premier qui mettra la main sur l'argent ne le partagera pas avec les autres. Montés les uns contre les autres, ils s'entretuent, ce qui met la police sur les dents - en particulier le pourtant débonnaire inspecteur Grandpierre.
Eprouvée autant qu'intriguée par la tournure des événements, Reggie démasque Peter qui la mène en bateau en lui racontant qu'il est un des amis de Charles Lampert, puis le frère d'un de ses camarades de guerre, puis un voleur animé par l'appât du gain.
La jeune femme pardonne pourtant tous ses mensonges à ce séduisant aigrefin, seul à la protéger contre les autres et avec lequel elle inspecte une dernière fois les affaires de son mari, susceptibles de les diriger vers les 250 000 $. 
Une intrigue timbrée...

Ce magot sera finalement récupéré sous une forme inattendue et après un ultime règlement de comptes. Quant à Peter Joshua, il réserve encore un tour à Reggie...

Charade est le plus élégant et réussi des hommages au maître du suspense, Alfred Hitchcock, dont les innombrables imitateurs n'ont souvent retenu que les effets de style les plus voyants sans comprendre que ses productions reposaient sur des métaphores fantaisistes ou dramatiques de ses obsessions narratives ou intimes.

La seule présence au générique de Cary Grant suffit à établir un lien entre le film de Stanley Donen, alors au tournant de sa carrière de réalisateur, abandonnant les comédies musicales qui firent sa gloire, de Chantons sous la pluie, co-signé avec Gene Kelly, à Drôle de Frimousse, avec Fred Astaire et déjà Audrey Hepburn. Mais c'est encore plus évident quand on examine son rôle, si semblable aux partitions que lui offraient Hitch' : celui d'un homme séduisant, désinvolte et ambigu, que les faits ne cessent d'accabler et d'innocenter.

Donen et ses deux scénaristes - dont le romancier Marc Behm - se moquent cependant de la mécanique pure du suspense : l'argent convoité est un "Mac Guffin", c'est-à-dire un prétexte narratif pour pimenter les multiples péripéties traversées par les personnages. Le procédé permet de provoquer courses-poursuites et jeux de séduction jusqu'à la résolution farfelue mais efficace de l'énigme - bien malin celui qui devinera avant la fin ce que sont devenus les 250 000 $ et qui manipule qui dans cette affaire tortueuse.

Le film se déroule à Paris, décor familier du cinéaste (Drôle de frimousse s'y passait déjà, six ans auparavant) qui filme la capitale française avec dérision (Cary Grant qui, découvrant la cathédrale de Notre-Dame-de-Paris se demande qui a posé ça là). Il s'abandonne à la représentation des clichés comme il le fait avec les codes de la comédie policière : promenades romantiques sur les quais de la Seine, balades au clair de lune en bateau-mouche, cavales dans le métro, bagarre sur les toits des Galeries Lafayette - autant de cartes postales savoureuses, superbement photographiées.

Alternant en permanence tension dramatique et passages légers, le spectateur est captivé et diverti car il ne sait jamais ce qui, de la comédie ou du polar, ce qui va l'emporter, à l'image de cette séquence où Reggie et Peter vont dans un club et participent à un jeu consistant à faire passer une orange d'invité en invité sans se servir de ses mains : tout démarre dans les rires puis bascule soudainement quand un des malfrats vient menacer la jeune femme qui se réfugie dans une cabine téléphonique au sous-sol où elle est successivement rejointe par un autre de ses ennemis, la tourmentant sadiquement avec des allumettes, puis par Peter qui la réconforte une nouvelle fois.

Portés par des dialogues pleins d'esprit, au service parfois de situations loufoques (comme quand Grant prend sa douche tout habillé), les acteurs sont à la fête, et leur amusement est communicatif : Audrey Hepburn, offrant un véritable défilé Givenchy, est magnifique dans ce rôle de veuve pas très éplorée, qui s'inscrit dans la dimension plus mature de ses rôles des années 60 (elle n'est plus cette jeune fille aux yeux de biche mais une femme refusant d'être victimisée). Le couple qu'elle forme avec Cary Grant, dont l'interprétation savoureuse de filou irrésistible, prouve la complicité exceptionnelle entre eux. On ne peut que déplorer qu'ils n'aient pas tourné à nouveau ensemble, sachant justement que Hitchcock voulut les réunir auparavant dans un projet qui ne vit jamais le jour (No bail for the judge - Hepburn y renonça après une fausse couche consécutive à une chute de cheval durant Le Vent de la plaine de John Huston, en 1959, et à cause d'une scène de viol qui la dérangeait).

Les seconds rôles sont également fameux; en particulier Walter Matthau (impeccable en imposteur bonhomme), James Coburn (glaçant en "cowboy" aux allumettes) et George Kennedy (terrible avec son crochet).

Pour accompagner tout ça, vous avez en plus droit à une magnifique musique de Henry Mancini et un sublime générique conçu par Maurice Binder (qui signa ceux de nombreux "James Bond").

Ce trésor, sommet de chic, fera l'objet d'un pitoyable remake en 2002 (La vérité sur Charlie, de Jonathan Demme, avec Thandie Newton et Mark Wahlberg), dont le seul mérite est de prouver le brio de la version initiale, fruit des talents réunis de Donen, Grant et Hepburn.  

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