mercredi 29 juin 2016

Critique 934 : TROUILLE, de Marc Behm


TROUILLE (en v.o. : Afraid to death) est un roman écrit par Marc Behm, traduit en français par Nathalie Godard, publié en 1993 par les Editions Rivages (collection "Noir").

Depuis qu'à l'âge de onze ans il a littéralement vu la Mort à l'oeuvre suite au décès de son voisin, Mr Morgan, Joe Egan vit dans la peur qu'elle vienne le prendre. En parallèle, à l'adolescence, il s'initie à divers jeux, devenant membre honoraire d'un club de bridge, apprenant le poker avec son père, maîtrisant la canasta, le gin rummy, la belote.
Sa mère meurt dans un accident de voiture quand il a treize ans. Son père prend une amante avec laquelle il partira vivre à Londres. Lui-même s'en va à Raleigh, en Caroline du Nord, à 29 ans, sachant que si la Mort est toujours à ses trousses, il sent sa présence avant de la voir.
Joe rencontre Ada et l'épouse, mais il la quitte subitement après que, lors d'une réception donnée par leur patron, un invité a tué l'amant de sa femme. Ce n'est que le début d'une longue fuite à travers le pays, périple au cours duquel il s'efforce de passer inaperçu, sombrant dans la clochardisation, puis amassant assez d'argent en participant à des parties de poker.
C'est ainsi que Joe croise plusieurs personnages, pour la plupart féminins, qui l'aideront, l'abriteront, mais échoueront à le retenir longtemps : Maxie Hearn, pulpeuse rousse et joueuse investissant ses gains dans l'immobilier ; Nellie Jarman, connaissance de son adolescence devenue artiste et bisexuelle ; Iraq Weber, superbe médium noire. Mais aussi Milch, un travesti flambeur avec lequel il s'oppose souvent, ou Roscoe, un nain qui permet ou non de s'attabler à une partie de cartes.
Où qu'il aille pourtant, l'Ange de la Mort, incarné en une magnifique blonde aux yeux violets, retrouve Joe. Mais veut-elle vraiment le tuer ?
 Marc Behm

Quand il est mort il y a sept ans à l'âge avancé de 82 ans, Marc Behm laissait derrière lui une oeuvre aussi fournie que variée et exubérante, inscrite dans le registre de la série noire même si, en vérité, elle ne s'y limitait pas. Le polar n'était qu'une forme pour cet écrivain prolixe qui s'amusait à en briser les codes, à s'amuser avec. 

Son roman le plus célèbre reste sans doute Mortelle randonnée, publié en 1980, et adapté au cinéma en 1983 par Michel et Jacques Audiard pour le réalisateur Claude Miller et les acteurs Michel Serrault et Isabelle Adjani : une réussite exemplaire mais qui soulignait le caractère atypique du style de Behm dans cette detective story qui était surtout une réflexion troublante et poignante sur le deuil d'un père.

Ensuite, un autre de ses textes faillit aboutir sur le grand écran quand Jean-Jacques Beineix entreprit de filmer La Vierge de glace, un délirant braquage imaginé par de jeunes vampires, mais qui ne vit (sans jeu de mots) jamais le jour, faute de financement (le cinéaste en tira une bande dessinée, très médiocre).

Ces difficultés à transposer sous d'autres formats les écrits de Marc Behm témoignent bien de la singularité de ses projets et Trouille n'échappe pas à la règle, même si les scénariste Jean-Hughes Oppel et le dessinateur Joe Giusto Pinelli en ont fait eux aussi une BD (co-publié par Rivages et Casterman - mais je ne l'ai pas lue).

Davantage qu'une narration classique, Afraid to death est plutôt une succession de scènes, une cavale échevelée et angoissante, la fuite en avant de Joe Egan, persuadé d'avoir vu la Mort sous l'apparence d'une belle blonde glamour qui, depuis son enfance, le traque comme si elle voulait se débarrasser d'un témoin gênant. A moins que tout cela ne soit qu'un fantasme cauchemardesque de la part d'un homme paniqué à l'idée de s'engager, incapable de se fixer - car l'immobilité est semblable à la mort elle-même.

Cette sensation de mobilité est très bien traduite par Behm dont l'écriture est volontiers hachée, composée de phrases courtes, presque télégraphiques. Le lecteur peut éprouver la tension permanente du héros, les doutes harassants qui l'assaillent, l'angoisse qui l'étreint. On visualise parfaitement Joe Egan courant en jetant des regards inquiets en arrière pour s'assurer qu'il sème cet Ange de la Mort ou tous ceux qui pourraient être ses complices terrestres. Le résultat est intense, très efficace.

Mais cela ne compense pas la pauvreté psychologique des personnages, y compris celle du héros, réduit à un fugitif sans cesse sur le qui-vive, dans un état d' "intranquillité" répétitif. Même si le livre n'est pas long et se dévore avec ces 180 pages, un tel sujet n'en méritait pas tant et aurait même gagné à être condensé en une nouvelle, dont la forme lui aurait assuré une force encore supérieure. Beaucoup de seconds rôles sont caractérisés de manière si expéditive qu'ils donnent au récit l'allure d'une successions de saynètes sans relief : Joe Egan séduit et couche avec toutes les femmes qu'ils croisent, toutes ces femmes sont de superbes créatures, leurs étreintes sont torrides. Les quelques hommes qui s'intercalent dans l'histoire sont des freaks, des êtres bizarres, souvent grotesques : le nain Roscoe, le travelo Milch.

Cependant, la raison pour laquelle l'Ange de la Mort tourmente ainsi Joe Egan demeure jusqu'au bout énigmatique : sur ce point, Behm me semble avoir fait le bon choix, même s'il est frustrant et que le dénouement est aussi fulgurant qu'insondable. De cette manière, tout reste ouvert : peut-être que le héros n'est qu'un fou sortant de son trip morbide lorsqu'il n'a plus nulle part où se cacher, peut-être a-t-il été authentiquement poursuivi par une blonde fatale qui s'est joué de lui et l'a épargnée en jugeant qu'il était plus éreinté que mort et délivré...

Trouille n'est pas suffisamment dérangeant pour être un grand roman noir, mais il est indéniable que Marc Behm avait un art du pitch accrocheur et la manière pour en tirer un texte redoutablement prenant. 
*
Allez, malgré une légère déception, un fan-cast pour la route :
 Colin Farrell : Joe Egan
 Ada : Michelle Monaghan
 Christina Hendricks : Maxie Hearn
 Kate Hudson : Nellie Jarman
 Rihanna : Iraq Weber
 Woody Harrelson : Milch
 Peter Dinklage : Roscoe
Karlie Kloss : "l'Ange de la Mort"

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