lundi 27 juin 2016

Critique 932 : LA DELICATESSE, de David et Stéphane Foenkinos / RENOIR, de Gilles Bourdos


LA DELICATESSE est un film co-réalisé par David et Stéphane Foenkinos, sorti en salles en 2011.
Le scénario est écrit par David Foenkinos, d'après son roman éponyme. La photographie est signée Rémy Chevrin. La musique est composée par Emilie Simon.
Dans les rôles principaux, on trouve : Audrey Tautou (Nathalie), François Damiens (Markus), Bruno Todeschini (Charles), Pio Marmaï (François).
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 Nathalie et François
(Audrey Tautou et Pio Marmaï)

Nathalie et François filent le parfait amour. Jusqu'à ce jour où le jeune homme sort faire son jogging et est victime d'un accident mortel. Nathalie est dévastée et, malgré le soutien de ses parents, de sa grand-mère, et de sa meilleure amie, ne parvient à échapper au chagrin qu'en se replongeant dans son travail (elle est cadre dans une entreprise de mobilier de maison importé de Suède).
La grossesse puis la maternité de sa meilleure amie indiquent pourtant qu'elle reprend progressivement goût à la vie, sans songer à la refaire.
 Markus
(François Damiens)

Mais, un jour, alors que Markus, un des employés sous sa responsabilité, entre dans son bureau, Nathalie l'embrasse fougueusement. Puis, comme si de rien n'était, elle le laisse repartir, sans avoir pris ni le temps d'examiner le dossier sur lequel il était venu la consulter ni s'expliquer sur ce qui vient de se passer.
 Nathalie

Aussi troublé qu'elle, Markus, le lendemain, retourne dans le bureau de Nathalie et l'embrasse à son tour. Prétendant n'avoir aucun souvenir de leur premier baiser, elle refroidit ses ardeurs.
Pourtant, les jours suivants, l'un comme l'autre y repensent. Markus est amoureux mais a peur de souffrir en s'attachant à une femme qui ne partage pas ses sentiments. Nathalie a l'impression de trahir le souvenir de François en aimant un nouvel homme - elle repousse par ailleurs les avances de son patron, Charles, qui a toujours été épris d'elle (peut-être plus encore depuis qu'elle est veuve). 
Nathalie accepte néanmoins de revoir Markus. Il se montre très prévenant avec elle, même si la meilleure amie de la jeune femme se montre sidérée, tout comme Charles, qu'elle puisse être proche d'un homme si différent de François, sans charme apparent. Markus est même menacé d'être muté mais promu en Suède, ce qui provoque l'ire de Nathalie contre Charles - qui renonce à ce projet.
 Markus et Nathalie

Au fur et à mesure, Nathalie est conquise par les attentions si délicates de Markus qui, ému, croit en sa chance. Leur couple pourra-t-il se réaliser ?
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RENOIR est un film réalisé par Gilles Bourdos, sorti en salles en 2013.
Le scénario est écrit par Gilles Bourdos, Jérôme Tonnerre et Michel Spinosa. La photographie est signée Mark Lee Ping-Bin. La musique est composée par Alexandre Desplat.
Dans les rôles principaux, on trouve : Michel Bouquet (Auguste Renoir), Christa Théret (Andrée Heuschling), Vincent Rottiers (Jean Renoir), Thomas Doret (Claude "Coco" Renoir), Romane Bohringer (Gabrielle).
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 Auguste Renoir et Andrée Heuschling
(Michel Bouquet et Christa Théret)

Côte d'Azur, 1915. Le peintre Auguste Renoir, âgé de 74 ans, est au soir de sa vie et au sommet de sa carrière artistique. Alors que la première guerre mondiale déchire l'Europe, il vit à l'écart du tumulte dans son vaste domaine provençal avec ses servantes et son plus jeune fils, Claude dit "Coco", déscolarisé et farouche.
Andrée Heuschling, une jeune femme à la fois danseuse et actrice de cabaret, se présente chez l'artiste pour devenir son modèle, recommandée peu avant son décès par la femme du peintre. Le tempérament et la beauté de la candidate séduisent Renoir qui l'engage pour des séances de pose. Coco la jalouse, prétendant qu'elle finira, comme d'autres avant elles, dans le lit puis au service de son père.  
 Auguste et Jean Renoir
(Michel Bouquet et Vincent Rottiers)

Le quotidien de la maison est bouleversé par le retour du front de Jean, le fils cadet d'Auguste, après qu'il a été blessé à la jambe. Son père lui demande, une fois rétabli, de ne pas retourner au combat, mais pour Jean, il ne s'agit moins de vaincre l'ennemi allemand que de ne pas laisser tomber ses copains, restés dans les tranchées.
Les convictions du jeune homme sont toutefois mises à l'épreuve par sa rencontre avec Andrée : elle lui plaît et c'est réciproque, mais surtout elle l'invite à devenir quelqu'un, à se forger un destin, à s'accomplir - ce qu'il ne pourra accomplir s'il meurt au champ d'honneur.
Auguste Renoir et Andrée Heuschling

Andrée et Jean sont aussi les témoins des tourments physiques d'Auguste qui, à son âge avancé, et après des années de pratique, est victime de terribles douleurs rhumatismales. Pourtant les peintures qu'il continue à réaliser restent de toute beauté : l'exercice de son art semble le maintenir en vie et il tente de faire comprendre à Jean que la sensualité est la seule chose qui compte en ce monde.
Pourtant, Jean fera le choix de repartir à la guerre, comme aviateur. Andrée refusera un temps de revenir poser pour Auguste, affligé comme elle par le départ de son fils...

Rien ne semble lier une jolie comédie romantique et ce biopic décalée sur un des plus grands peintres français si ce n'est que le titre du premier film des frères Foenkinos définit mieux que tout le style de Renoir. Ce n'est pas le seul point commun qu'on peut établir entre les deux longs métrages.

Car Gilles Bourdos comme La délicatesse sont de superbes écrins pour leurs acteurs - leurs actrices surtout. François Truffaut affirmait que le cinéma était l'art de faire faire de belles choses aux belles femmes et ici et là, Audrey Tautou puis Christa Théret sont servis, filmées comme deux stars, étoiles brillant de tout leur éclat sur deux histoires où le deuil et la renaissance sont au centre de leurs films.

Adapté de son best-seller, La délicatesse est le premier opus du romancier David Foenkinos, épaulé par son frère Stéphane : l'argument est simple et le traitement cinématographique a l'heureuse idée de ne pas en rajouter. Cette romance improbable entre une jeune veuve et un homme dont la séduction tient moins à son physique qu'à la tendresse avec laquelle il l'aime et sa propre appréhension à l'idée de souffrir s'il n'est pas aimé en retour n'est pas exempte de maladresses - les seconds rôles y sont peu développés, parfois même sacrifiés, ce qui rend certaines scènes inabouties (trop peu d'importance accordée aux parents de Nathalie, le malaise perceptible mais inexploitée de sa meilleure amie quand elle découvre Markus, l'attitude pathétique de Charles).

Pourtant, parce qu'il a le bon goût de ne pas être trop long (à peine 100'), ni trop bavard (échappant à toute formulation psychologique balourde), avec une héroïne dépassée constamment par ce qui lui arrive et son improbable mais irrésistible et touchant soupirant, le film séduit sans effort. Tautou est remarquable certes, elle bénéficie d'une partition très subtile et nuancée, mais elle ne serait pas aussi excellente sans son extraordinaire partenaire, le génial François Damiens, qui s'empare d'un rôle ingrat avec une humilité rare. Les frères Foenkinos ont su, avec ces deux acteurs, créer un authentique couple, étonnamment crédible et émouvant, dont la complémentarité est scellée dans une superbe scène finale, un petit miracle de mise en scène, d'écriture et d'interprétation.

Renoir n'est pas un biopic classique, retraçant toute la vie de l'illustre peintre Auguste ni celle de son non moins fameux fils cadet et cinéaste Jean, avec les performances d'acteurs convenues à la clé dans ce genre d'exercice. Gilles Bourdos, avec ses deux co-scénaristes chevronnés (Jérôme Tonnerre et Michel Spinosa), a eu l'intelligence d'opter pour une approche différente : saisir les retrouvailles des deux hommes durant quelques jours de l'été 1915 en présence de celle qui fut la muse du père et du fils.

En décalant habilement le coeur de son récit pour faire d'Andrée Heuschling la figure centrale, le cinéaste permet aux deux plus célèbres Renoir d'être incarnés de manière très vivante. Comme dans le film des Foenkinos, il s'agit de représenter une transition : celle d'un père et d'un fils, mais aussi de deux époques, et ces mouvements sont accompagnés par cette présence féminine.

Le rythme est volontiers lent, contemplatif, mais l'image est somptueuse, grâce à la photographie de Mark Lee Ping-Bin qui saisit la lumière provençale tel que devait la voir Auguste Renoir. Pourtant le film ne se contente pas d'être joliment illustratif et s'articule autour de scènes ressemblant à des rituels : le convoi du peintre à son atelier transporté par ses bonnes, les séances de pose, ou les nuits terribles où l'artiste est en proie à de terribles crises de rhumatisme.

Le casting est exceptionnel : il y a bien entendu l'immense Michel Bouquet dont le jeu si maîtrisé n'a pas besoin de grands effets pour évoquer Auguste Renoir, pour qui "la chair est tout. Si on ne comprend pas cela, on n'a rien compris du tout". Face à lui, abandonnant l'emploi du jeune écorché vif auquel il est souvent cantonné (et dans lequel il se complaît sans doute trop), Vincent Rottiers, même s'il ne ressemble pas physiquement à Jean Renoir, impose une belle présence avec sobriété et intensité.

Mais celle qui illumine tout le film est Christa Théret : la gamine révélée par Lol a bien grandi et sa beauté, d'un érotisme solaire, associée à une interprétation vibrante est inoubliable. D'autres cinéastes sauront-ils, aussi bien que Bourdos, exploiter ce talent comme il le mérite ? Il faut le souhaiter.

Malgré leurs différences, La délicatesse et Renoir montrent bien à quel point le cinéma ressemble parfois à un curieux réseau aux liaisons inattendues, dont les femmes seraient les mystérieux et fascinants guides. 

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