jeudi 19 novembre 2015

Critique 756 : MAX FRIDMAN, TOME 2 - LA PORTE D'ORIENT, de Vittorio Giardino


MAX FRIDMAN : LA PORTE D'ORIENT est le deuxième tome de la série, écrit et dessiné par Vittorio Giardino, publié en 1986 par les Editions Glénat.
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C'est la fin de l'été 1938 à Istanbul. L'ingénieur russe David Stern fuit la répression stalinienne menée par les espiosn du N.K.V.D., et cherche à se mettre en sécurité auprès d'un certain Besucov.
C'est dans ce contexte que débarque en Turquie Max Fridman dans le cadre de son activité de négociant en tabac, mais sa réputation le précède et les russes le croient ici en mission pour les services du contre-espionnage français pour récupérer Stern. Sur le bateau qui l'a mené ici, il a rencontré la belle Martha Witnitz, qui, comme il l'apprendra plus tard, est l'épouse de l'ingénieur en cavale, et qui devient à son tour une cible.
Max reçoit l'aide de son ami Guy Varand tout en recevant les conseils du mystérieux Slatek, qui l'incitent à s'en méfier. Stern attend chez Besucov de retrouver sa femme pour partir d'Istanbul. Fridman, excédé d'être dans la ligne de feu des espions, et craignant pour Martha dont il est devenu l'amant, s'emploie à retrouver lui aussi Stern et donc Besucov - qui n'est autre que Zadig, déjà rencontré en Hongrie quelques mois auparavant (voir tome 1, Rhapsodie hongroise).
Varand offre, au nom de la France, la possibilité de quitter Istanbul avec Martha, qui promet à Max de le revoir plus tard après qu'elle ait quitté son mari. Mais les retrouvailles des deux amants seront contrariées par la trahison des français alors que Hitler a envahi entretemps la Tchécoslovaquie...

Quatre ans après un premier tome de haute volée, Vittorio Giardino livre donc une nouvelle aventure de Max Fridman, à la pagination moindre (60 pages tout de même) mais toujours aussi passionnante et encore plus aboutie graphiquement.

Cette fois, le héros de l'auteur italien est mêlé à un sombre affaire sans être en service commandé, ce qui distingue ce récit du précédent. On peut lire cette histoire sans connaître l'épisode précédent, même si, dans la dernière partie, l'identité de Besucov est une référence à un des seconds rôles de Rhapsodie hongroise.

Giardino tire à merveille parti du cadre exotique qu'offre Istanbul tout en en faisant comme Budapest auparavant un nid d'espions que Max Fridman passe en fin de compte plus de temps à subir les attaques et à les fuir qu'à les affronter directement. Pourtant, la narration est si efficace que l'action ne manque pas et que le rythme est effréné. Jamais on n'est perdu dans les ruelles de la cité stambouliote ni dans les faits et gestes de ces barbouzes dont les hiérarques et leurs ordres varient comme les tactiques de joueurs d'échecs. Il y est constamment question d'alliances en vue de préparer la guerre qui s'annonce contre Hitler.

La figure de Stern suggère la tragédie, que modère à peine la romance qui se noue entre Max Fridman et Martha Witnitz : en vérité, Giardino insiste bien sur le fait que les protagonistes sont tous des pions dans une partie qui les dépasse (Fridman pris dans une affaire alors qu'il n'est pas en mission, Stern évitant les nazis, Martha s'abandonnant dans les bras de Max car elle sait ne plus aimer son mari - même si elle veut le sauver avant de le quitter - , Guy protégeant Max tout en appliquant les consignes des services français). Dans cette distribution, seul Zadig/Besucov semble encore maître de son destin, silhouette trouble aux identités floues comme ses convictions.

Graphiquement, l'album a mieux vieilli que son prédécesseur, avec une colorisation plus soignée qui met en valeur le mélange des ambiances somptueusement traduites par l'artiste. La fuite éperdue de Stern donne lieu à des scènes intenses, exprimant la détresse et la résignation. En parallèle, les séquences avec Max et Martha dégagent un érotisme à la fois élégant et prégnant.

Giardino conserve son style raffiné, avec des décors détaillés et des personnages à l'allure distinguée et aux physionomies variées, avec ce trait épuré et net. Martha Witnitz est une de ces créatures ensorcelantes comme sait si bien les dessiner l'italien, dont la beauté pleine de classe et de sensualité irradie une intrigue palpitante dont la conclusion est amère.

Le découpage témoigne de la densité narrative de cet album, avec une moyenne de huit-neuf plans par page, dont la qualité de finition et la fluidité des enchaînements "nourrit" la lecture.

Digne d'un suspense "hitchcockien", La Porte d'Orient traversée par Max Fridman est un superbe opus d'une série où l'Histoire est contée comme une aventure haletante.  

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