mercredi 18 novembre 2015

Critique 755 : MAX FRIDMAN, TOME 1 - RHAPSODIE HONGROISE, de Vittorio Giardino


MAX FRIDMAN : RHAPSODIE HONGROISE est le premier tome de la série, écrit et dessiné par Vittorio Giardino, publié en 1982 par les Editions Glénat.
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Max Fridman, quadragénaire juif, est un ancien agent du contre-espionnage français qui s'est installé en Suisse avec sa femme, Ada, et leur fille, Esther.
Ledoux, un de ses supérieurs, prend contact avec lui pour une mission périlleuse en Hongrie que Fridman accepte à contrecoeur mais forcé car il est soumis à la menace d'un extradition et d'un procès par la France qui couvre ses activités officielles de marchand de tabac.
Il arrive donc à Budapest en Février 1938 avec pour objectif d'apprendre qui abat les membres du réseau Rhapsodie et pour quelles raisons. Ethel Möget, une jeune femme, amante de Bonnefoi, agent français sur place, est la seule survivante de ces tueries.
Fridman la protège et devient ainsi à son tour la cible des nazis qui veulent remonter jusqu'à un certain Zadig au courant des plans du réseau : il est question d'une importante livraison d'armes à l'armée de Franco...

Après avoir été révélé par Les Enquêtes de Sam Pezzo (dont la série s'achèvera l'année suivant celle du lancement des Aventures de Max Fridman, en 1983), Vittorio Giardino débutait donc un projet très ambitieux en suivant les missions d'un élégant ancien agent des services de renseignements français juste avant (puis durant) la seconde guerre mondiale. L'auteur italien lui consacrera cinq albums, le dernier publié en 1999, tout en menant d'autres projets entretemps, mais ses efforts le consacreront comme un des maîtres du 9ème Art européen et même mondial en lui valant la plus haute des distinctions, le Yellow Kid award (l'équivalent d'un Prix Nobel de la bande dessinée).

Le volume de ce tome 1 impressionne d'emblée avec ses 90 pages ! Et pourtant, la première des qualités de cet ouvrage est qu'on le lit avec la même fluidité qu'un opus classique de 48 pages : ce tour de force passe par une narration extrêmement maîtrisée pour développer une intrigue pourtant tortueuse aux protagonistes ambigus.

Max Fridman est un héros atypique : son allure élégante, ses manières prévenantes, dissimulent à peine un homme meurtri par l'absence de son épouse et sa situation de père célibataire, mais aussi ses origines juives qui l'ont motivé à s'installer dans la quiétude de la campagne genevoise avec sa fille. Les références à son passé d'espion sont discrètes, tout juste devine-t-on en le découvrant qu'il s'est retiré du service dont la hiérarchie le rappelle pour une mission risquée qu'il est obligé d'accepter sous peine d'être extradé. 

Requis parce qu'il n'est pas "grillé" mais aussi parce qu'il n'a pas le choix, c'est un personnage pour lequel on éprouve une sympathie immédiate et dont on va pouvoir admirer l'efficacité. Ce n'est pas un agent spectaculaire, il se balade sans armes, les détonations le font trembler, mais son intelligence tactique ne fait aucun doute et lorsqu'il comprend qu'il ne peut plus se fier à personne, sa détermination à terminer sa mission force le respect.

Giardino prend un évident plaisir à faire évoluer son héros dans une Budapest infesté d'espions, d'agents doubles, de magouilleurs : le trouble de l'immédiat avant-guerre est admirablement suggéré, jusqu'à la toute dernière image de la dernière page montrant l'entrée des troupes allemandes en Autriche. Cette aventure décrit parfaitement la poudrière qui menaçait l'Europe où il est moins question d'éviter la guerre que de s'y préparer en testant adversaires et alliés potentiels.

Le scénario, riche mais mené sur un rythme soutenu, se permet même quelques notes d'érotisme et une partie romantique, moins d'ailleurs pour émoustiller le lecteur que pour montrer les ultimes plaisirs permis aux héros avant le chaos.

Visuellement, Giardino produit de magnifiques planches d'un trait qui s'inscrit dans la "ligne claire" mais avec un style réaliste. Les décors sont très évocateurs, avec une abondance de détails et un soin apporté au jeux d'ombres et de lumières bluffants.

De même chaque personnage, dans une distribution foisonnante, bénéficie d'une expressivité et d'une physionomie très élaborées : Max Fridman est une figure instantanément mémorable avec son imperméable beige, son borsalino marron, sa pipe, sa barbe bien taillée, tandis que Ethel Möget est représentée de manière crédible en jeune femme aux abois dont le charme se révèle lors d'une sortie pour une soirée costumée. Les seconds rôles, de la séduisante Cléa au fêtard Von Kluberg en passant par le caméléon Zadig, bénéficient des mêmes attentions.

On ne peut déplorer que deux choses : d'abord, le fait que la colorisation ait très mal vieillie, et surtout que le lettrage de la traduction soit d'une telle médiocrité, indigne pour une BD d'une telle tenue et de la part d'un éditeur comme Glénat (même si la série elle-même a connu plusieurs rééditions).

Chaque aventure de Max Fridman étant lisible comme un récit auto-contenu, c'est une oeuvre facilement accessible mais qui s'adresse à un lectorat exigeant. Néanmoins, l'effort en vaut la peine car le résultat est et reste impressionnant.

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