BAUDELAIRE est un récit complet écrit par Noël Tuot et dessiné par Daniel Casanave, publié en 2008 par les Editions Les Rêveurs.
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Le poète Charles Baudelaire apprend la mort de Victor Hugo pour qui il avait une sincère admiration. Malgré cela, il refuse d'emblée de se rendre à son enterrement, sans vouloir se justifier. Dans la nuit, il erre, et rencontre Attila, le terrible chef des Huns, qui menace de le décapiter s'il ne va pas aux funérailles du grand homme. Mais rien n'y fait.
Voilà Baudelaire au Paradis où il rencontre Saint-Pierre qui le sermonne également pour qu'il assiste aux obsèques de l'écrivain. Le poète n'en démord pas et préfère aller en enfer si telle est sa punition - d'ailleurs il n'apprécie guère le cadre qu'offre l'eden.
Baudelaire atterrit donc en enfer où il ne tarde pas à faire la connaissance du suppléant du diable, dans un décor qui n'a encore rien à voir avec l'idée qu'il se faisait de l'endroit. Jean-Paul Sartre passe par là et disserte sur le péché avec le poète, que ça ne fait pas autant rigoler qu'il l'espérait.
Finalement, Baudelaire accepte d'aller à l'enterrement d'Hugo, mais celui-ci sort de son cercueil pour s'entretenir une dernière fois avec son ami à propos de la quête du poème parfait. Il lui faudrait se rendre sur l'île du Zèbre pour le trouver. Mais ce ne sera pas une partie de plaisir...
Comme disait Louis Jouvet : "ma vie n'est pas une existence", ce qu'on peut interpréter de bien des façons, y compris en inversant les termes de l'aphorisme - "mon existence n'est pas une vie", soit un équivalent de "vivre n'est pas simple". Et, après avoir lu Baudelaire de Tuot et Casanave, mourir non plus.
Cette curieuse bande dessinée, qui se distingue déjà par son format à l'italienne, est une fantaisie burlesque, qui s'amuse avec l'histoire de ses héros : en effet, Charles Baudelaire trépassa bien avant (en 1867, à 46 ans) Victor Hugo (mort à 83 ans en 1885) et donc n'eût pas à se préoccuper d'aller ou non à ses funérailles.
Mais la vraisemblance est le cadet des soucis de l'auteur, qui adapte là un texte écrit pour le théâtre, et se livre d'abord à une réflexion sur son propre travail d'écrivain. C'est par ce biais qu'il questionne le rapport qu'a un littérateur avec ses homologues, en particulier ceux qu'il admirent, et pourquoi il les admirent. Le Baudelaire de Tuot est obsédé par le poème parfait qu'il n'a pas encore rédigé mais aussi dans l'ombre du géant des lettres et de la poésie qu'incarne Hugo à ses yeux, ce confrère qui finira pas lui expliquer que, lui non plus, n'a pas su écrire le poème parfait. Néanmoins, ce n'est pas une raison pour renoncer car on ne cherche pas les rimes parfaites d'un tel texte, on doit les trouver.
Avant cette leçon, Baudelaire passe par plusieurs étapes figurant un parcours initiatique, qui doivent le révéler à lui-même : il se dispute avec sa compagne, Jeanne, première à insister pour qu'il aille aux obsèques d'Hugo ; puis croise Attila, qui menace de le tuer s'il n'y va pas et avec lequel il engage un duel aussi bien physique qu'oratoire ; et le voilà tour à tour au Paradis - où il fait face à Saint-Pierre- et en Enfer - où Jean-Paul Sartre qui lui fait une démonstration de ce que serait le péché - ; avant de revenir sur terre. Son voyage n'est pas terminé et le mènera jusqu'à une île fictive et encore plus surréaliste : il en tire une morale absurde mais inspirée - "les poètes n'ont pas de corps... Seulement des migraines". Quand il revient à son point de départ, auprès de Jeanne, il découvre de manière aussi imprévisible ce qu'est le poème parfait, à la fois heureux, soulagé et paniqué.
Tuot procéde davantage par séquences que par scènes, son récit comporte des épisodes qui correspondent à des endroits et des personnages qui incarnent plus des symboles que des lieux définis et des individus crédibles. Le message qui en découle est à l'appréciation du lecteur qui peut voir, selon son humeur, dans cette collection de trips du grand n'importe quoi, avec ce mérite de ne pas être trop révérencieux avec des icônes de la culture française comme Baudelaire, Hugo, Sartre ou de la religion comme Saint-Pierre, Sainte Félicité ou le suppléant du Diable, ou une balade loufoque, fonctionnant sur le principe du "marabout-bout de ficelle". Il est en tout cas impossible de lire cet album et de le refermer sans avoir eu le sentiment d'assister à une expérience narrative étonnante.
Visuellement, Daniel Casanave, qui avait déjà illustré deux autres "biographies" déjantées sur Flaubert et Verlaine, s'inscrit dans l'école stylistique de Manu Larcenet (dont le frère Patrice a réalisé les couleurs de ce Baudelaire).
Les personnages y sont représentés avec des traits nerveux, aux expressions prononcées et figurées simplement (gros nez, yeux exorbités - parfois jusqu'à devenir de grosses billes blanches - allures filiformes ou grossièrement massives) dans des décors évocateurs, abondamment hachurés, et des ambiances intenses.
Ainsi, le Paradis ressemble-t-il à une campagne au ciel gris et pluvieux tandis que l'Enfer est un paysage montagneux et enneigé. L'île du Zèbre est au contraire une contrée d'abord exotique à la végétation fournie puis une lande désertique, hostile. Et Paris est plongée dans une nuit constante, avec des immeubles aux perspectives improbables.
Le découpage, avec ce format à l'italienne, se réduit à des strips sommaires (de deux à trois cases), des pleines pages, et même une double-page à la fin, qui assurent une lecture très rythmée, soulignant les situations étranges et les atmosphères décalées.
L'album se conclut avec un cahier de croquis, présentant des études pour les personnages (y compris certains n'apparaissant pas dans l'histoire, comme George Sand) et des décors ou des costumes, le tout agrémenté de notations qui se veulent poético-comiques mais qui sont surtout superflues.
C'est une bd bien bizarre, qui laisse songeur, à la fois un peu frustré, décontenancé et distrait - ce qui convient finalement bien à un livre sur l'insaisissable vérité de la poésie .
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