jeudi 30 juillet 2009

Critique 81 : CHECKMATE, vol.1-2 : A KING'S GAME-PAWN BREAKS, de Greg Rucka, Jesus Saiz et Cliff Richards

Checkmate est une série publiée par DC Comics. Elle met en scène les agissements d'un agence de contre-espionnage où travaillent conjointement des humains et des super-héros.
Cet organisme est apparu pour la première fois dans Action Comics 598 puis a eu droit à son propre titre ensuite, constituant un premier Volume. A la suite des évènements décrits dans la mini-série The OMAC Project et la saga Infinite Crisis, Checkmate a été reconfigurée comme une agence affiliée aux Nations-Unies et relancée pour un second Volume (comptant 31 épisodes, la série a été stoppée, faute de ventes suffisantes).
- A Game of Kings (# 1-4, Volume 2) : le Conseil de Sécurité des Nations-Unies charge Checkmate d'enquêter sur un attentat commis par les terroristes de l'organisation Kobra qui a fait 50 victimes. La France est-elle impliquée pour avoir fourni des armes à Kobra ? Contre toute attente, ce pays ne s'oppose pas à l'enquête, mais la Chine, oui. Les agents de Checkmate infiltrent un arsenal chinois et découvrent des méta-humains, les Great Ten . Le Roi Blanc de Checkmate (dont l'organigramme est inspiré des pièces d'un échiquier) Alan Scott intervient, démasque l'espion de Kobra au sein de l'agence et convainc la Chine de renoncer à son droit de veto concernant cette enquête. Les Etats-Unis, désapprouvant l'action d'Alan Scott et l'embarras qu'elle a causée à la Chine, obtient son renvoi au sein de l'organisation.- Selection (# 5, Vol. 2) : la Reine Noire Sasha Bordeaux teste des agents aspirant à intégrer Checkmate pour engager son nouveau Cavalier (le précédent étant mort en mission). Alan Scott, quant à lui, désigne son partenaire de la JSA, Mister Terrific , comme son successeur.- Rogue Squad (# 6-7, Vol. 2 - Ecrits par Greg Rucka, Nunzio de Filippis et Christina Weir) : une nouvelle Suicide Squad se rend au Myanmar pour dénicher une nouvelle source énergétique en la personne d'un jeune méta-humain, après que le Conseil de Sécurité ait mis en garde Amanda Waller (leur commanditaire) sur ses méthodes d'action. Malgré de lourdes pertes et la présence d'un traître dans ses rangs, l'équipe libère leur cible et reçoivent l'aide d'anciens membres comme Bronze Tiger et Rick Flagg, envoyés sur place par Waller. Cette opération, peu discrète, conduit naturellement les cadres de Checkmate à suspecter leur Reine Blanche (Waller) d'être derrière tout ça.
L'album Pawn breaks rassemble les épisodes 8 à 12, formant deux story-arcs.

- Pawn 502 (# 8-10, Vol. 2) : le Département aux Affaires Méta-huamines arrête une cellule terroriste sur le point de s'allier à l'organisation Kobra, sans se douter que l'un d'eux est un espion de Checkmate. L'agence sollicite l'aide du Shadowpact, une équipe de héros aux pouvoirs magiques, pour exfiltrer leur homme et lui éviter d'être soumis à l'envoûtement mystique des adeptes de Kobra.- Corvalho (# 11-12, Vol. 2 - Ecrits par Rucka, De Filippis et Weir) : Waller utilise à nouveau la Suicide Squad pour truquer une élection à Santa Prisca. Mais l'un des membres de l'équipe, le Colonel Computron, offre à Checkmate la preuve de la falsification de l'élection si l'agence accepte de le protéger du criminel Bane. Tandis que Tommy Jagger neutralise Bane et le laisse fuir (bien que le malfrat ait tué son père, le Judomaster), Fire tue Computron sur ordre de Waller. Les cadres de Checkmate apprennent que Waller a forcé Fire à commettre cet assassinat car elle savait que le père de cette dernière, Ramon Corvalho, avait participé à des crimes de guerre dans le passé, et persuadent la jeune femme de témoigner contre la Reine Blanche devant une cour martiale. Le Roi Noir, le Colonel Taleb Beni Khalid, confronte Waller mais découvre, à son grand dam, qu'elle est couverte en ce qui concerne la direction de ses opérations sur le terrain.
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Ces deux TPB sont passionnants et confirment que Greg Rucka est un des scénaristes les plus originaux de DC. Sous sa plume, Checkmate est une série atypique inspirée par le slogan des Watchmen d'Alan Moore et Dave Gibbons ("Who watches the watchmen ?") et mélangée à un pur récit d'espionnage, empruntant aussi bien aux James Bond d'Ian Fleming qu'aux romans de John Le Carré.
Cette agence est représentée comme un organisme dépendant des Nations-Unies mais au sein de laquelle certains de ses éminents cadres oeuvrent pour des intérêts troubles. La méfiance règne entre humains et méta-humains, qui se surveillent les uns les autres. Pas de grandes stars au générique : les fans de la JSA reconnaîtront Alan Scott et Mr Terrific, ceux qui ont suivi 52 retrouveront Amanda Waller. Cette dernière est le personnage le plus emblématique de la série, ambiguë à souhait, imposante physiquement autant que psychologiquement, elle emploie des criminels pour faire le sale boulot (la Suicide Squad), à l'insu de ses confrères.
Douée pour animer des héroïnes d'une rare densité, Rucka s'est également emparé de la super-héroïne Fire, ancienne membre de la JLA, dont le lourd passé familial est le tâlon d'Achille, et de Sasha Bordeaux, qui porte encore sur elle les stigmates de sa collaboration avec Maxwell Lord (le maléfique Deus Ex Machina de The OMAC Project), ex-maîtresse de Batman, femme d'action tiraillée entre la raison d'Etat et l'honneur.
Les intrigues mises en place sont complexes et développées de telle manière que leur résolution est loin du manichéisme des récits super-héroïques traditionnels : la géo-politique y joue un rôle déterminant, comme en témoigne la manière dont est décrite la Chine, qui dissimule la création de ses propres super-soldats. D'autre part, la question du terrorisme est abordée sans schématisme comme lorsque sont exposés le fonctionnement et les actions du groupe Kobra.
Rucka joue avec des thèmes lourds, sans les simplifier mais tout en gardant en tête qu'il doit livrer un récit plaisant, palpitant, aux lecteurs. Lorsque le père de Fire apparaît, c'est, avec lui, les crimes de guerre, mais aussi le problème des régimes totalitaires qui refont surface : voilà qui n'est pas courant dans les comics de ce genre et qui distingue cette production du tout-venant. Est-ce la gravité de ces éléments qui a effrayé le lectorat américain et eu raison de la série ? En tout cas, on ne peut que saluer le courage, l'audace - et le brio avec lequel le scénariste injecte ce genre d'ingrédients dans une série de ce type !
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Aux scripts tendus et divertissants à la fois, répond un graphisme soigné : Jesus Saiz s'y taille la part du lion en réalisant 7 épisodes sur 12, secondé par Cliff Richards (comme sur The OMAC Project) et Steve Scott. Le style change là aussi de ce qu'on a l'habitude de voir, dans la mesure où il y a peu de personnages costumés, que les décors sont réalistes, les ambiances entre chien et loup et l'action intermittente. Mais cela colle parfaitement au sujet.
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Laissez-vous tenter par cette BD atypique, profonde et palpitante : une bonne dose de thriller dans le monde des super-héros, ça ne se refuse pas quand c'est si bien exécuté !

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