dimanche 12 juillet 2009

Critique 72 : ASTRO CITY 2 - CONFESSION, de Kurt Busiek, Brent Anderson et Alex Ross


Kurt Busiek's Astro City : Confession est le deuxième recueil de cette série, regroupant les épisodes 4 à 9 du Volume 2 plus le "one-shot", The nearness of you, réalisé pour le magazine Wizard. Ces histoires sont toujours écrites par Kurt Busiek, dessinées par Brent Anderson (cette fois secondé par l'encreur Will Blyberg) et avec des couvertures et designs signés Alex Ross. Cette production a été publiée par DC Comics, au sein du label Wildstorm, dans la collection Homage Comics.
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Comme je l'ai expliqué dans ma critique du premier tome (Life in the big city), Astro City n'est pas, comme un premier regard le laisserait supposé, un comic-book de plus sur les super-héros. Bien sûr, il compte parmi ses protagonistes nombre de valeureux justiciers et de sinistres vilains, pour la plupart inspirés d'archétypes déjà établis par DC et Marvel depuis des décennies.
Mais ce qu'il y a de spécial avec cette série, c'est qu'il s'agit moins de décrire encore une fois les affrontements entre bons et méchants aux pouvoirs extraordinaires dans une ville imaginaire que d'analyser ces personnages et leur environnement, le plus souvent à hauteur d'homme, selon le point de vue des civils, et ainsi raconter l'histoire de cette cité peuplée de gens comme vous et moi cohabitant avec des surhommes.
Que Busiek et ses partenaires observent les plus grands héros de cette ville ou juste les gens de la rue est le prétexte à montrer et raconter leurs vies à tous. Si ces justiciers ou ces malfrats sont inspirés des icônes du genre, c'est pour que le lecteur soit en terrain connu. Mais c'est aussi pour permettre aux auteurs d'en proposer des versions à la fois synthétisées et originales, d'en tirer une réflexion aiguisée sur les clichés de ce type de littérature et comment les contourner pour en renouveler le fond et la forme.
Cette familiarité établie permet à Busiek de passer rapidement d'une histoire à une autre, d'un personnage à un autre, pour composer un univers à la fois référencé et singulier, comme le démontrait Life in the big city, en n'ayant pas à passer trop de temps à expliquer les concepts et la dynamique inhérents aux comics de super-héros.
Les recueils d'Astro City bâtissent ainsi une longue et riche chronologie des comics super-héroïque et mettent sous le feu des projecteurs différents personnages à chaque récit : c'est une vision constamment inédite du genre.
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Pour ce nouveau volume, le scénariste a choisi de développer un story-arc complet plutôt qu'une succession de chapitres indépendants : l'occasion de se pencher sur un des héros les plus énigmatiques de la cité, tout en partant d'une situation établie dans le précédent recueil.

Astro City: Confession raconte l'histoire de Brian Kinney, un jeune provincial, et son ambition de devenir un des héros d'Astro City. Il débute en bas de l'échelle en décrochant une place de serveur dans un bar où se retrouvent quelques super-héros. Le patron de l'endroit le recommande pour un établissement plus respectacle, un club privé, ce qui va lui offrir l'opportunité de se faire remarquer comme il le désirait.
Un vilain, Glue Gun, débarque effectivement au coeur d'une des soirées dans cet endroit chic, où est réunie la fine fleur des justiciers de la ville, avec l'intention de se venger d'eux. Mais Brian réussit à désarmer et neutraliser l'importun, ce qui lui vaut les félicitations des invités - mais aussi la jalousie des autres serveurs.
Alors qu'il est sur le point d'être rossé par ces envieux dans une ruelle, le mystérieux et ombrageux The Confessor apparaît et les disperse. Il propose son aide à Brian et en fait son partenaire, surnommé Altar Boy. Ensemble, ils vont alors combattre le crime organisé dans les bas-fonds d'Astro City, opérant à la nuit tombée.
A partir de là, le récit suit plusieurs trajectoires. Nous continuons à suivre la formation de Kinney mais aussi ses investigations secrètes pour découvrir les origines du Confessor. En parallèle, une dramatique affaire secoue la ville : un serial killer supprime plusieurs civils en les mutilant dans le quartier de Shadow Hill, où la magie et les superstitions sont la règle. Cette vague de crimes atroces fournit la matière à une troisième piste narrative où sont exposées les tensions croissantes entre la population ordinaire et ses héros, incapables d'arrêter l'assassin.
Le maire de la ville impose à chacun des super-héros de se faire enregistrer mais beaucoup refusent et deviennent donc, de fait, des hors-la-loi. Crackerjack profite même de la confusion pour attaquer des commerçants et les voler - mais Altar Boy devine que quelqu'un usurpe l'identité du justicier...
Pour Brian et the Confessor, il s'agit alors de révèler quel lien unit tous ces évènements, à qui profite le crime et les accusations contre les justiciers. La réponse se trouve (peut-être) du côté de cet espion extra-terrestre métamorphe (vu dans l'histoire Reconnaissance, de Life in the big city)...
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Comme vous l'aurez probablement deviné, the Confessor s'inspire ouvertement d'une des figures les plus populaires de DC, Batman, tandis que Brian Kinney/Altar Boy ressemble beaucoup à son non moins célèbre "sidekick", Robin.
De fait, Confession est un magnifique hommage à l'homme-chauve-souris auquel il emprunte bien des éléments historiques. Le plus évident tient dans le champ d'action du Confessor, redresseur de torts opérant dans les bas quartiers d'Astro City à la manière d'un détective.
Mais en choisissant Brian Kinney comme narrateur principal de son récit, Busiek prend une certaine distance avec l'icône dont il s'est inspiré et veut surtout traiter du thème du sacrifice et du bien-fondé du combat que son héros mène.
En aspirant à devenir un héros, le jeune Kinney désire surtout prendre une revanche personnelle : ayant grandi en province, fils d'un homme bon mais méprisé et moqué justement pour sa bienveillance, il souhaite s'en démarquer en gagnant Astro City et ses galons de justicier.
Le récit s'interroge alors sur les notions d'héritage et de la place qu'on occupe vraiment dans la société en prenant conscience des éléments de son passé dont on ne se débarrasse jamais.
Pour Brian, cela passera par l'acceptation : l'altruisme et l'humilité de son père étaient aussi héroïques que les actions désintéressées mais plus spectaculaires des super-héros.
Pour the Confessor, il a fallu assumer un moment d'égarement qui la conduit à être transformé en vampire alors qu'il servait Dieu : depuis, il se repend en tâchant de combattre le Mal sous toutes ses formes et n'hésitera pas, pour expier sa faute originelle, à donner sa vie afin que la vérité éclate - y compris sur sa nature monstrueuse.
L'initiation et la révèlation de Brian Kinney s'effectueront dans la douleur, le doute, mais malgré la méfiance qu'il nourrira vis-à-vis de son mentor (après avoir découvert sa condition vampirique, il le soupçonnera d'être le tueur de Shadow Hill), nul doute que la figure du Confessor incarne pour lui un père de substitution. A son contact, il entre dans l'âge adulte, s'instruit et devient réellement non seulement un justicier mais un brave au coeur pur, qui se réconcilie avec sa propre histoire.
A mesure que le récit se développe, nous continuons, à la suite de ce que nous avions découvert dans Life in the big city, à connaître de mieux en mieux la ville d'Astro City elle-même. Plus que jamais, cette métropole est traîtée comme un personnage à part entière, et le quartier de Shadow Hill au coeur de l'intrigue révèle toute sa fascinante dimension, avec son étrange protecteur, le Hanged Man.
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Le monde créé par Busiek, Anderson et Ross acquiert un réalisme à la fois fantastique et poétique, mais aussi cruel, violent, tout à fait saisissant. Le dessinateur rend parfaitement compte de la complexité de ce monde en soignant particulièrement la galerie de personnages qui le peuple mais aussi en insistant sur ses édifices et ses quartiers les plus emblématiques. A cet égard, difficile de ne pas être subjugué par la représentation saisissante de la Cathédrale Grandinetti, repaire du Confessor, aussi imposante que Notre-Dame-de-Paris, et dont le résident a été pensé d'après Golgo 13, ce tueur issu des mangas. Altar Boy est lui un mix ingénieux de Robin donc, mais aussi d'un enfant de coeur revu et corrigé avec le look d'un mousquetaire : Alex Ross fait encore une fois preuve de son inventivité incomparable pour mélanger diverses sources aboutissant à une réussite esthétique frappante.
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Cette même convergence est à l'oeuvre dans le magistral finish où toutes les énigmes de l'intrigue se résolvent avec une diabolique logique, où tous les secrets sont dévoilés avec brio et subtilité et où le spectacle est à la hauteur des enjeux dramatiques posés par le scénario. Du grand art, où l'élégance se marie à l'efficacité !
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Le recueil compte également un épisode déconnecté de la saga principale, The nearness of you. Cette romance poignante offre un nouvel échantillon du talent multiforme de Busiek et son équipe. Une perturbation temporelle causée par un vilain oblige un homme à réaligner les évènements. Mais que se passe-t-il si tout ne revient pas exactement à la normale ? Et si une coïncidence insignifiante modifiait le cours des choses ?
C'est sur ces interrogations qu'est fondée la tragique mésaventure au cours de laquelle Michael Tenicek découvre qui il est réellement. Une altération historique aboutit à ce que sa femme n'est jamais née, bien qu'il continue de rêver d'elle et de leur vie ensemble. Il connaît les plus intimes détails de leur vie, mais il ne peut la retrouver qu'en songe.
C'est le Hanged Man qui lui révèlera la cruelle vérité et conduira Michael à faire un choix entre vivre avec, en mémoire, cette femme parfaite mais qui n'a jamais existé ou l'oublier avec l'aide du protecteur mystique de Shadow Hill ?
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Entre les 6 volets de la saga Confession et ce récit supplémentaire, on a droit à deux grandes histoires, même si leur format et leur nature diffèrent totalement. C'est aussi cette variété qui procure au lecteur un plaisir si brillant, enthousiasmant, et unique sur le genre super-héroïque. A la perfection de l'écriture de Busiek répond celle de l'illustration d'Anderson et du "packaging" de Ross.
Surtout, préférez à nouveau les tpb en vo pour profiter des bonus (croquis préparatoires, making-of des couvertures, préface par Neil Gaiman) !
Bref, encore une fois, tout concourt à la réalisation d'une magistrale oeuvre grâce un ensorcelant cocktail d'aventures et d'intimisme où évoluent des personnages profondèment attachants.

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