mardi 6 mars 2012

Critique 315 : STARMAN, VOLUME 1 - SINS OF THE FATHER, de James Robinson et Tony Harris

Starman 1 : Sins of the Father rassemble les six premiers de la série écrite par James Robinson et dessinée par Tony Harris, publiée par DC Comics en 1994-1995.
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Knightfall... Les 3 premières pages de Starman #1. 

- Sins of the Father. David Knight est le fils de Ted Knight, le premier Starman, dont il a hérité le surnom, le costume, le bâton et le rôle de protecteur d'Opal City. Il est rapidement abattu par un sniper : cet assassinat marque le début de la vengeance d'un ennemi de Ted, the Mist, déterminé à éliminer toute la famille Knight. Bien qu'il dénigre le folklore super-héroïque, quand il comprend que la vie de son père et la sienne sont en danger, Jack Knight décide de reprendre le flambeau et de riposter. Il va découvrir qu'une famille de flics, les O'Dare, et un mystérieux personnage, prétendent aussi protéger la ville...


Jack Knight reprend la flambeau :
les 3 premières pages de Starman #3.

- A Day in the Opal. Jack Knight, dont le magasin d'antiquités a été détruit lors des attaques de the Mist, reprend ses affaires et rencontre le curieux émissaire d'un client intéressé par un tee-shirt dont le motif ouvrirait un passage au paradis. The Shade lui remet ensuite le premier volume de son journal afin qu'il apprenne à mieux connaître l'histoire de la ville...

- Talking with David, '95. Jack retrouve au cimetière son frère David, tué par the Mist. Cette rencontre irréelle permet aux deux hommes de discuter du rôle de héros, et de leur relation. Jack comprend qu'il reverra ainsi David une fois par an...
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Starman est l'exemple même de la série réussie alors qu'elle est issue d'une saga calamiteuse puisque sa publication a commencé après Zero Hour de Dan Jurgens et Jerry Ordway. James Robinson, le scénariste de l'excellent JSA : The Golden Age en 1993, allait en effet créer une version mémorable d'un héros tombé en désuétude, mais plus encore participer à la réinterprétation des canons super-héroïques, comme le firent Alan Moore, Kurt Busiek, Grant Morrison ou Neil Gaiman.
Le Starman originel était Theodore "Ted" Knight et fut imaginé en 1941, James Robinson (qui participa au lancement de la JSA avec David Goyer) s'appuie sur ce personnage d'un lointain passé pour livrer un récit sur la transmission, l'héritage, la responsabilité, comme le suggère le titre du recueil (qui est aussi celui du premier story-arc). Le fils aîné de Ted, David, est, comme son père, un scientifique et un "brave", c'est donc logiquement qu'il devient le nouveau Starman, en revêtant son costume et en brandissant son bâton cosmique. En revanche, Jack Knight est un cynique, usant de sarcasmes pour parler à la fois des apparats héroïques et du rôle de justicier dans une ville comme Opal City où la criminalité est quasi-inexistante. Mais tout cela va changer quand un vieil ennemi du père, the Mist (la Brume), resurgit avec l'objectif de supprimer toute la lignée des Knight. Jack qui refusait d'être impliqué dans ce "super-hero business" doit assumer son héritage à la fois pour sauver sa peau et celle de son père. Mais il n'est pas dit qu'il sera un justicier ordinaire...
Toute l'originalité de Robinson tient dans ce personnage de héros malgré lui, à la fois verbeux, ironique et farouche : de fait, Jack Knight est un individu qui tranche avec ce qu'on a l'habitude de trouver dans les comics de ce genre et il a conservé presque vingt ans après son apparition toute sa singularité, en inspirant d'autres qui, comme lui, n'ont pas la vocation mais y font face. 
Le scénario est très dense et introduit de nombreux éléments, suggérant que l'auteur voyait loin pour la série dès le début : d'abord, il y a la ville d'Opal City elle-même décrite comme un protagoniste à part entière (et superbement représentée dans un style art déco par le dessinateur Tony Harris) ; puis il y a certains de ses habitants (comme la famille Knight, les O'Dare, the Shade, la famille de the Mist, une diseuse de bonne aventure...). Le lecteur n'a pas besoin de posséder une culture des comics du "Golden Age" pour apprécier cet ensemble qui brille par sa cohérence, sa richesse et son accessibilité.
Pourtant, et c'est son plus beau tour de force, Starman est une bande dessinée sur l'Histoire, la généalogie de l'héroïsme, la famille. Et cela lui confère une humanité étonnante : on rigole aux saillies de Jack, on est ému par le vieux Ted, on évolue avec eux... Bref, le récit noue un lien immédiat et solide avec le lecteur.
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A ceux qui ont découvert plus récemment Tony Harris, son style sur ces premiers épisodes de Starman déroutera. Les influences de Mike Mignola (surtout), P. Craig Russel et Michael Golden sont très présentes, mais néanmoins l'artiste a un sens du storytelling indéniablement personnel.


The Shade et the Mist palabrent : deux autres pages de Starman #3.

Ses découpages sont nerveux, l'expressivité de ses personnages est soignée, son trait anguleux et la beauté de ses décors (résumée lors d'une double-page présentant Opal City dans l'épisode A Day in the Opal) est spectaculaire.
L'encrage appuyé de Wade Von Grawbadger renforce l'aspect expressionniste de ces planches, et a mieux vieilli que la colorisation de Gregory Wright.
Le seul vrai bémol concerne le lettrage de John Workman Jr (notamment sa façon d'écrire les "D" qu'on peut facilement confondre avec des "O") qui gêne la lecture.
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Finalement, à la fin de ce premier recueil, Starman peut aisèment être interprété comme une variation moderne sur un genre qui irrigue souvent les comics super-héroïques, à savoir les récits de chevalerie. Oui, c'est cela le charme de Starman et de Jack Knight : le charme de la romance chevaleresque et du héros qui naît parce qu'il est fait pour ça.

samedi 3 mars 2012

Critique 314 : SCARLET, VOL. 1, de Brian Michael Bendis et Alex Maleev


Scarlet rassemble les 5 premiers épisodes d'une série en "creator-owned" écrite par Brian Michael Bendis et illustrée par Alex Maleev, publiée par Marvel Comics dans la collection Icon en 2010/2011.
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A l'abri des regards, dans une ruelle, Scarlet Rue étrangle un policier et, une fois qu'il est mort, lui fait les poches, dérobant quelques centaines de dollars. C'est alors qu'elle s'adresse directement à nous et commence à nous raconter son histoire pour justifier son crime.
Nous apprenons ainsi qu'au cours d'un banal contrôle de police, la jeune femme a été aux prises avec un officier ripou et toxicomane qui a fini par tuer son fiancé, Gabriel Ocean, et lui tirer une balle dans la tête. Mais Scarlet a miraculeusement survécu puis découvert que le flic a fait passer sa bavure pour un acte de bravoure (Gabriel ayant été accusé d'être un dealer) et a été promu inspecteur.
Révoltée et déterminée à ce que plus personne ne subisse ce qui lui est arrivée, Scarlet entreprend d'abord de se venger avant d'élaborer une action de plus grande envergure visant à dénoncer la corruption des forces de l'ordre en alertant les citoyens de Portland.
Une enquêtrice locale, l'agent Angela Going, et un agent fédéral, Nathan Daemonakos, suivent l'affaire, comprenant la croisade de la jeune femme sans toutefois cautionner ses méthodes...
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Depuis plus d'une décennie, Brian Bendis est devenu une vedette des comics : venu de la bande dessinée indépendante et inspiré par la série noire, après avoir été un temps dessinateur de ses propres histoires, il a pris du galon au sein de Marvel dont il est devenu un des "architectes" en dirigeant des titres emblématiques (comme Ultimate Spider-Man, New Avengers, Daredevil...) et des sagas évènementielles (House of M, Siege...). Son style fondé sur les dialogues, la narration décompressée et une vision iconoclaste des super-héros lui valent des succès commerciaux massifs (lui permettant d'effectuer de longs passages sur les titres que Marvel lui confie) et divisent le lectorat (entre fans appréciant son ton et détracteurs l'accusant de rompre avec la tradition).
Au fil des ans et des productions, Bendis a noué des liens spéciaux avec un de ses artistes, le bulgare Alex Maleev : ensemble, ils ont réalisé un run mémorable sur Daredevil, mais ont aussi travaillé sur Sam et Twitch (pour Image) à leurs débuts, l'adaptation du jeu vidéo HaloSpider-Woman et récemment Moon Knight. C'est pour son dessinateur favori que le scénariste a élaboré Scarlet, d'abord conçu comme une mini-série avant qu'une suite ne soit annoncée (le dénouement de ce premier tome l'imposait de toute façon). C'est un projet en "creator-owned", c'est-à-dire que les droits des personnages et l'histoire appartiennent à ses auteurs.
Narrativement, Brian Michael Bendis se permet des audaces qu'une série classique n'autorise que rarement : la plus frappante est celle qui brise la loi dit du "quatrième mur", quand Scarlet s'adresse "face caméra" au lecteur, qui devient donc son confident. A la fin du premier épisode, l'héroïne nous prévient même q'uil va falloir que nous l'aidions à accomplir sa révolution.
Ce procédé n'est pas un artifice : il permet à Bendis d'écrire un personnage doté d'un sacré caractère, aux méthodes contestables mais qui se bat pour une cause à laquelle on ne peut qu'adhérer, pour des raisons particulièrement poignantes. Le scénariste part d'une situation terriblement banale et fonde là-dessus un récit à la fois riche, complexe, troublant, mais toujours à hauteur d'homme. On pense à V pour vendetta d'Alan Moore et David Lloyd, mais Scarlet n'est pas une terroriste anarchiste, juste une jeune femme à qui un drame a donné un sens à sa vie. Contrairement au héros de Moore, elle ne cherche pas à tout détruire et ne considère pas que tous les policiers sont corrompus ni que la société est malade et a besoin d'être brutalement soignée.
Par ailleurs, Bendis situe son récit dans le temps, en le datant (nous sommes en 2010) et en précisant des codes sociaux et technologiques (transmissions de textos, de vidéos sur internet, organisation d'un flashmob, etc.). Tout cela contribue à donner des accents de vérité étonnants à son projet, qui ressemblent parfois à une sorte de reportage gonzo, en immersion, sur les pas d'une pasionaria.
Deux planches de Scarlet #1 où en quelques vignettes
sont résumés des temps forts de la vie de l'héroïne.

Comme il l'a déjà prouvé dans Ultimate Spider-Man, Bendis sait intelligemment traiter de la jeunesse et celle de Scarlet est parfaitement exploitée pour souligner à la fois l'émotion que suscite son drame et la radicalité de sa réaction. Au-delà même, cette jeunesse apparaît, dans l'histoire, comme un atout face à une société gangrénée par la corruption : il y a chez Scarlet une soif d'absolu qui se cristallise après ce qu'elle a subi. Plus la raison lui impose d'aborder la suite avec modération, plus elle agit avec fermeté en assumant ses prises de position. Elle ne se défilera pas quand des citoyens touchés par ses revendications se mobiliseront ou quand il lui faudra accepter de devenir la leader d'un vrai mouvement de protestation.
Néanmoins, pour éviter que Scarlet ne devienne une figure iconique dont les agissements extrèmes seraient acceptables, Bendis prend soin de contrebalancer son récit avec des seconds rôles dont la position nuance le propos : Angela Going (une autre policière, qui désapprouve les crimes qu'elle a commis tout en comprenant ses mobiles) ou Nathan Daemonakos (un agent du FBI) ne prennent pas parti pour Scarlet (ils se placent plutôt en observateurs, attendant de voir où cela va aboutir, et cherchant à pacifier la situation) ou contre la police (ils sont eux-même des membres des forces de l'ordre et souhaitent arrêter Scarlet vivante plutôt que venger leurs collègues morts).
Bendis maintient son histoire dans un faux rythme : d'un côté, comme à son habitude, il prend son temps, de l'autre, on note que les évènements qu'il relate se déroulent sur quelques semaines à peine (du basculement de la vie de Scarlet après l'abus de pouvoir de l'agent Gary Dunes au moment où elle accède au rang de symbole).
Et ne vous attendez pas à une solution facile à la fin : le dénouement est ouvert et l'annonce qu'une suite est officiellement en chantier laisse entrevoir des choses prometteuses, qui pourraient achever de transformer ce projet en une bédé politico-philosophique atypique. Pourtant, en l'état, ces cinq épisodes contiennent déjà un matériel passionnant, actant la naissance d'un personnage peu commun et mémorable.
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Portrait de Scarlet au lavis par Alex Maleev.

L'autre attraction de ce livre tient aux illustrations d'Alex Maleev. Il y développe des techniques utilisées sur des projets antérieurs, s'appuyant principalement sur un dessin basé sur la photographie (en d'autre termes, Maleev dessine sur des clichés - et non d'après photo). Pour ce faire, il a carrèment (comme sur Spider-Woman) pris un modèle réel pour incarner Scarlet (une certaine Iva), mentionnée en bonne et due forme dans les crédits de l'album. Puis, pour les décors, intérieurs et surtout extérieurs, il a fait un véritable reportage à Portland (la ville où réside Bendis).
Tout cela évoque davantage les sérigraphies d'Andy Warhol que la bande dessinée traditionnelle (encorequ'aujourd'hui, avec les outils numériques, la composition d'images est souvent un mix de dessin classique et d'inserts de fichiers informatiques, même chez des artistes qui n'oeuvrent pas dans le réalisme).
De fait, ce quasi-roman-photo produit un effet confondant, transcendant les codes du genre : selon les besoins de la scène, Maleev élimine, modifie, altère les élèments de l'image photographique, ne conservant que ce dont il a besoin pour la structure picturale des vignettes, usant du copier-coller, des inversions de vues, ajoutant ici de l'aquarelle, substituant là des effets de texture. Chaque case devient quasiment un tableau, chaque page une succession de panneaux, où l'angle de vue, la valeur du plan, le choix de la couleur, est un motif narratif aussi important que le texte, même quand Maleev s'aventure dans l'abstraction avec des vignettes vides et monochromatiques (traduisant l'émotion dans son aspect le plus brut).
L'effet a quelque chose de fascinant, non seulement par son côté référentiel (voir les pages 2-3 du 2ème épisode avec le visage 12 fois reproduit de Scarlet, hommage aux portraits d'Elizabeth Taylor de Warhol) mais aussi pour son côté signifiant (ces plans ne sont pas identiques, ils résument la période où Scarlet guérit après son agression, témoignant de ses résolutions pour le futur et recouvrant son visage antérieur à l'accident, avec ses cheveux qui repoussent par exemple).
Cette re-présentation du réel via des astuces esthétiques, des trucages cosmétiques, a pour résultat de donner du poids au banal, de rendre exceptionnel l'ordinaire (comme lorsque Scarlet se fait gifler par sa mère) et beau le quelconque.
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Scarlet est un comic-book détonant, sur un sujet inattendu. Les deux compères démontrent que, hors des cadres rigides des super-héros, ils ont des idées atypiques que leur savoir-faire leur permettent d'exprimer avec force : de la réflexion dans une forme attrayante, c'est déjà un beau programme - et on a envie d'en connaître la suite.

vendredi 2 mars 2012

Critiques 313 : REVUES VF MARS 2012

Avengers 3 :

- Thor 3 : Le germe cosmique (3). Le Silver Surfer affronte (brièvement) Thor et Odin à qui il est venu réclamer l'oeuf de l'Arbre-Monde, dont Galactus pense qu'il assouvirait définitivement sa faim. Mais les asgardiens n'entendent pas obéir au dévoreur de mondes et se préparent à l'affronter. Cependant, Volstagg découvre que Broxton, sous l'influence de son prêtre, veut expulser les dieux nordiques de leur voisinage...

La première réflexion qu'on se fait en terminant ce nouvel épisode, qui se situe à la moitié de l'arc, c'est que Matt Fraction répéte ses erreurs de la série Iron Man en délayant abusivement la narration et en interrompant trop vite l'action pour préparer la suite. A peine croyait-on que Thor et le Surfeur allaient en découdre qu'Asgard décide de défier Galactus : c'est frustrant et prometteur, mais surtout irritant.
Séparèment, les deux volets de l'intrigue (comique avec Volstagg ou Loki, dramatique avec Thor et Odin) fonctionnent gentiment, mais on a le sentiment qu'à tout prendre, mieux vaudrait se concentrer sur le problème Galactus, ce qui dynamiserait le récit... Donc, on va encore patienter un mois en espérant que la prochaine sera la bonne (mais ce n'est pas évident...).

Ensuite, soyons honnête, serait-on aussi patient s'il n'y avait pas Oliver Coipel pour dessiner cela ? L'artiste livre dont l'énergie boosterait n'importe quel script, mais qui du coup souligne les faiblesses de ce dernier. Par ailleurs, si le français est solide, il n'est pas exempt de reproches et si l'on compare sa prestation avec celle de son précédent passage sur le titre (à l'époque où JMS l'écrivait), on remarque qu'il consacre moins d'efforts aux décors (pourtant les ruines d'Asgard fournissent un arrière-plan qui mériterait mieux)...
Tout ça donne une lecture efficace mais où on a l'impression que tout le monde s'économise.
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- Captain America 3 : Rêveurs américains (3). Captain America affronte l'Améridroïde, une réplique robotique géante de lui-même, réanimée par le Baron Zémo, qui veut l'entraîner dans la dimension de Jimmy Jupiter où Bravo l'attend de pied ferme. Cette coalition va-t-elle avoir raison du super-soldat et de ses acolytes ?

Depuis le relaunch de la série, Ed Brubaker a surpris les lecteurs en injectant une bonne dose de fantastique, il confirme cette évolution en insistant sur l'autre aspect marquant, l'action. Ce nouvel épisode est riche en séquences spectaculaires où le héros et sa bande ont moins le temps de se remémorer mélancoliquement le passé que pour répondre à l'assaut de leurs adversaires. La chute laisse d'ailleurs Cap' dans une fâcheuse situation... Le résultat est en tout cas très divertissant et démontre que Brubaker sait se renouveler.

Steve McNiven, qui a déjà pris du retard pour livrer ses planches (ce qui explique que le mois prochain la série sera provisoirement suspendue en vf), produit néanmoins un travail très efficace, où son manque de dynamisme est compensé par des compositions détaillées.
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- Les Jeunes Vengeurs 3 : La croisade des enfants (3). Concluant, bon gré mal gré (Vif-Argent contestant les déductions de son père Magnéto), que Wanda Maximoff est en Latvérie, les Jeunes Vengeurs sont divisés sur la suite à donner à leurs investigations. Wiccan prend l'initiative de poursuivre seul les recherches... Pendant ce temps, les Vengeurs sollicitent l'aide de Wonder Man, qui fut l'amant de la Sorcière Rouge...

Cette série continue de ronronner, après trois épisodes on a le sentiment que l'histoire évolue sans vraiment avancer, avec des rebondissements mollassons, des dialogues surabondants, des personnages sommairement traîtés (dont certains de manière risible, comme quand il s'agit de l'homosexualité assumée de Wiccan et Hulkling, accumulant tous les poncifs du genre). Allan Heinberg est bien le scénariste de Grey's Anatomy tant on retrouve les défauts d'écriture de la série télé dans son comic-book. Il paraît qu'à la fin de tout ça, le cours des choses sera vraiment impacté, mais en attendant, on s'ennuie.

Jim Cheung, lui aussi, avance sur un rythme de tortue, avec sa galerie de personnages qui se ressemblent tous (sexe et âge confondus), un découpage a minima... On se demande bien pourquoi il met autant de temps à livrer ses planches pour un tel résultat.
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- Firestar et Justice : Point final. Firestar et Justice, deux anciens Vengeurs et amants, sont confrontés à un énième tour de Loki qui les confrontent à leurs doubles antérieurs, mettant en évidence les raisons de leur rupture.

En l'absence d'une 4ème série fixe, Panini comble le sommaire avec des bouche-trou depuis le début de la parution de la revue. Ce mois-ci, c'est un nouvel épisode de l'anthologie I am an Avenger qui joue ce rôle. Si ce n'est guère emballant, il faut tout de même reconnaître la qualité sympathique de ce segment, écrit par Sean McKeever, avec deux personnages popularisés durant le run de Kurt Busiek et George Pérez sur les Vengeurs. Tout ça ne mange pas de pain mais c'est mené avec assez de rythme et le dénouement est étonnamment désenchanté.

En revanche, visuellement, c'est une merveille : Mike Mayhew (qui avait dessiné l'Annual 3 de New Avengers), colorisé par Rain Breredo (le partenaire de Mike Deodato) réalise des pages superbes qui font regretter qu'il se consacre principalement à la peinture de couvertures.
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Bilan : "Avengers" demeure une revue agrèable, mais, en dehors de Captain America, ses séries sont plus belles que vraiment palpitantes. C'est frustrant.  
  
 Marvel Heroes 14 :

- Les Vengeurs 16 : Fear Itself (4). Bucky Barnes est mort sous les coups de Sin et Steve Rogers veut venger son sidekick. Grâce à Maria Hill, il pense appréhender la fille de Crâne Rouge en Suède mais il s'agit d'un leurre...

Brian Bendis a appliqué aux épisodes annexés à Fear Itself un procédé simple et original où un personnage témoigne "face caméra" tout en dévoilant un point de vue décalé sur les évènements de la saga. Bien sûr, à force, cette méthode s'avère un brin répétitive mais a au moins le mérite de proposer une narration soulignant les sentiments d'un héros ou d'un second rôle.
Qui plus est, dans le contexte dramatique de Fear Itself, Bendis se permet quelques touches d'humour, via la psychologie de ses "acteurs" ou de réparties dont il a le secret (ici, avec une allusion aux Drôles de dames quand Maria Hill parle du trio qu'elle forme avec Sharon Carter et Victoria Hand), ce qui est appréciable à l'heure où les comics sont souvent trop sérieux.

John Romita Jr (encré par Klaus Janson, en mode minimum syndical) s'illustre dans des scènes d'action comme il les apprécie. Mais il est moins à l'aise dans les séquences témoignages, où ses personnages affichent peu d'expressivité.
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- Loki (Journey into Mystery) 626 + 626.1 : Voyage vers l'inconnu (5) + Visions. Loki poursuit son périple au cours duquel il s'emploie à organiser une riposte alternative au Serpent : le voici de passage dans les lîmbes où il négocie avec Surtur, puis gagnant les services du Destructeur.
Puis, il interroge un conteur pour savoir ce que disent les asgardiens dans son dos afin d'essayer de comprendre pourquoi ils ne l'apprécient pas (car dans son incarnation actuelle, Loki a oublié son passé et ses méfaits antérieurs).

Kieron Gillen confirme mois après mois son exceptionnelle réussite aux commandes de cette série où Loki version ado manigance, mais cette fois pour le salut d'Asgard. Le scénario est toujours aussi inspiré, avec un soin apporté aux dialogues et la voix off  : en comparaison avec ce que produit Matt Fraction sur la série Thor, Journey into Mystery possède une indéniable avance.
L'épisode ".1", écrit par Robert Rodi, est, pour une fois, un vrai bon point d'entrée pour la série et le personnage.

Les illustrations du trio Doug Braithwaite-Ulises Arreola-Andy Troy puis de Pasqual Ferry sont de toute beauté, soulignant là encore la qualité esthétique du titre.
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- L'Académie des Vengeurs 13 : Le Bal. Si cet épisode n'est pas désagrèable à lire, il n'en demeure pas moins que c'est très quelconque : le scénario de Christos Gage a l'avantage d'être auto-contenu mais sonne affreusement faux (écrire sur des héros ados n'est pas donné à tout le monde et Gage n'est pas Claremont, Wolfman ou Vaughan). Quant aux dessins de Sean Chen, ils restent d'une raideur assez affligeante.
Bref, zappez (et ne vous fiez pas à la bonne réputation, exagérée, de cette série).
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Bilan : très positif - Avengers est efficace, et Loki fait toujours des étincelles. La revue se porte bien.    
 Marvel Icons 14 :

- Les Nouveaux Vengeurs (vol.2) 15 : Fear Itself (2). C'est au tour de Squirrel Girl (Ecureuillette) de passer à confesse : la nounou de la fille de Luke Cage et Jessica Jones témoigne sur son recrutement au sein des New Avengers et surtout donne son point de vue sur le début de l'attaque de New York par les troupes de Sin...

Brian Bendis a une nouvelle fois recours au procédé du "confessionnal" pour un personnage de la série alors que la saga Fear Itself bat son plein. Il donne la parole à Squirrel Girl, mais la montre surtout en action lorsqu'elle réussit, à l'entraînement, à battre Wolverine (c'est savoureux) ou quand elle regagne le manoir de l'équipe alors que les robots de Sin attaquent New York (la chute offre un cliffhanger assez prenant). On ne s'ennuie pas, mais malgré toute la sympathie que génère le personnage, on ne peut pas dire non plus qu'on soit passionné par cet épisode.

Mike Deodato a de la matière pour produire des planches explosives comme il sait si bien les faire. Il n'empêche, on voit bien que ces tie-in à un event plombent les séries plus qu'elles ne les stimulent, surtout quand Bendis est obligé de suivre des situations qu'il n'a pas initiées.
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Et pour le reste de la revue, je vais être lapidaire parce que ce n'est vraiment pas terrible et que je ne suis pas assez motivé pour dresser un rapport précis.

- Iron Man (#507 : Fear Itself 4) m'est tombé des mains : récemment, Fraction avait réussi à injecter un peu d'energie dans son titre mais il est retombé dans ses travers - dialogues interminables, tempo absent - (qui plombe aussi Thor, bien que Coipel sauve les meubles alors que Larroca est toujours aussi insupportable).

- FF (#4-5-6 : Roulement de tambours... - Le bruit de la guerre - Deux rois) connaît lui aussi une sévère baisse régime, après un début prometteur : déjà, Steve Epting laisse sa place au dessin à Barry Kitson (toujours aussi fade) et Greg Tocchini (brouillon), ce qui n'aide pas ; ensuite Jonathan Hickman repart dans ses délires lassants à base de complots, de flash-backs, le tout sur un rythme de tortue, avec moult allusions cryptiques.
Panini a par ailleurs coupé en deux le 6ème épisode pour les besoins de la pagination (les séries US étant passées à 20 planches au lieu de 22, une revue vf de 96 pages pose un problème de contenu), ce qui ajoute à la confusion d'un récit déjà très alambiqué.
La bonne nouvelle, c'est qu'Hickman a annoncé qu'il quitterait la série en Octobre prochain aux Etats-Unis : espérons que son sucesseur redonne du nerf et du liant aux 4F, qui ont perdu leur lustre depuis le run de Waid et Wieringo...
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Bilan : un tout petit mois - New Avengers se laisse lire, mais le reste...
Marvel Top 5 :
 
- Iron Man/Thor : Divin espace (1-4). Alors que Tony Stark participe aux travaux dans les ruines d'Asgard avec Thor, Steve Rogers demande à Iron Man de se rendre en Russie pour intervenir sur une expérience ratée. Mais il s'agit d'un piège organisé par le Maître de l'Evolution, résolu à créer de nouveaux dieux pour le XXIème siècle. Il s'est allié à Diablo, l'alchémiste, la Dynamo Pourpre et au troll Ulik, et quand Thor est attaqué par ce dernier, il va devoir s'employer avec Iron Man à contrecarrer les plans de cette association de malfaiteurs...
 
Dan Abnett et Andy Lanning, qui ont signé l'épisode 620.1 de la série Thor, retrouvent le dieu asgardien pour une team-up avec Iron Man dans ce récit complet en quatre parties. Spécialistes de la branche cosmique chez Marvel, les deux scénaristes ont imaginé une histoire pleine d'action, qui, de ce point de vue, tranche radicalement avec ce que fait Matt Fraction sur les séries avec les deux héros.
L'efficacité de la narration compense la grossiéreté de la caractérisation et un dernier acte un peu bâclé et grandiloquent, qui font passer le Maître de l'Evolution pour un crétin naïf - étonnant pour un personnage symbolisant le scientifique absolu. Tout cela ressemble parfois à un drôle de gloubiboulga, mais c'est divertissant.
 
Scot Eaton illustre ceci avec la même habileté : ce n'est pas un grand dessinateur, mais il a un style solide et complet (ses personnages sont expressifs, ses décors soignés). Le découpage est parfois sommaire (beaucoup de cases-bandes horizontales), mais cette simplicité contribue à donner du swing à l'ensemble.
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Bilan : une revue agrèable avec un récit (vraiment) complet et distrayant. Rien d'inoubliable, mais c'est punchy. Toutefois, 96 pages pour 5,50 E, c'est limite. 
 Spider-Man 146 :

- Fear Itself  Spider-Man 3 : Le troisième jour. Alors que le Serpent et ses Dignes font régner la terreur, Spider-Man transporte une femme enceinte dans un hôpital qui est alors attaqué par la Chose possédé par le dieu asgardien...

Chris Yost et Mike McKone achèvent leur tie-in à Fear Itself avec cet épisode sans relief où le Tisseur affronte la Chose transformé en Digne par le Serpent. Une voix off envahissante et des dessins certes élégants mais manquant de dynamisme ne sauvent pas les meubles.
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- Spider-Man 657-658 + 661 : A la mémoire de la Torche - Peter Parker : le Fantastique Spider-Man + Une journée banale. Spidey retrouve Red et Jane Richards et Ben Grimm au Baxter Building après la mort de Johnny Storm. C'est l'occasion de se rappeler quelques moments savoureux de leur passé commun, et pour le Tisseur d'intégrer la Fondation du Futur. Très rapidement, il part en mission - ce qui va susciter le doute de sa nouvelle girlfriend, Carlie Cooper... Puis, on assiste à une journée ordinaire de la vie mouvementée du Tisseur, à la fois dans ses activités de Vengeur, de membre de la FF et de justicier solitaire.

Dan Slott se frotte à l'exercice délicat de l'hommage à un personnage disparu et s'en tire avec brio, sans verser dans la sensiblerie, d'une écriture sobre, privilégiant l'humour à la mélancolie.

Chaque segment est illustré par un artiste différent : Marcos Martin (qui signe sa dernière prestation sur la série) pour le présent, Ty Templeton, Nuno Plati et Stefano Caselli pour les flashbacks. Malgré la diversité (et l'inégalité) des prestations (Martin surpassant les autres sans se forcer), le procédé est habile.

La "journée banale" est en réalité une back-up de l'épisode 661 : Slott n'utilise pas de dialogue, là encore il réussit l'exercice brillamment. 
Pour dessiner ces quelques planches, Javier Pulido est égal à lui-même, livrant un travail élégant, fluide, parfait.
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- Spider-Man 663 : Non ! Ne me remerciez pas ! Pour boucler ce numéro au sommaire atypique, Panini nous fourgue un de ces bouche-trou de mauvaise facture dont ils ont le secret : il s'agit, là, d'une back-up de l'épisode 663, écrit par Todd Dezago en toute petite forme et dessiné par l'infâme Todd Nauck.
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Bilan : Un bon numéro, qui vaut surtout pour l'écriture de Slott et les dessins de Martin et Pulido. J'étais revenu à cette revue juste pour ces artistes, ça a duré deux mois, c'était excellent, mais ce sera tout.

mercredi 29 février 2012

Critique 312 : DAREDEVIL, VOL. 1, de Mark Waid, Paolo Rivera et Marcos Martin


Daredevil, Volume 1 rassemble les épisodes 1 à 6 de la nouvelle série écrite par Mark Waid et dessinée par Paolo Rivera (#1-3) et Marcos Martin (#4-6 + la back-up du #1), publiée en 2011 par Marvel Comics.
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Rappel des faits : Devenu maître de l'organisation criminelle de la Main, Matt Murdock a, en nettoyant son quartier natal de Hell's Kitchen avec son armée de ninjas, affronté certains de ennemis (tuant même Bullseye) et quelques héros. Mais il était alors sous l'emprise d'un démon et, revenu à lui, a choisi de prendre le large (confiant son territoire à Black Panther).
De retour à New York après un passage au Nouveau-Mexique, il convainc son ami Foggy Nelson de rouvrir un cabinet d'avocats. L'objectif pour Murdock est double : renouer avec son métier de conseil juridique et restaurer son image de justicier...

Fred Van Lente (texte) et Marcos Martin (dessin)
résument les origines de Daredevil.

- Épisodes 1 à 3. Dessinés par Paolo RiveraDaredevil surgit lors d'une cérémonie de mariage dont les époux font partie de deux familles mafieuses de New York et empêche l'enlèvement d'un des invités en affrontant the Spot, un mercenaire.
En tant que Matt Murdock, il accepte ensuite de plaider la cause d'un certain M. Jobrani dans une affaire de violence policière et d'expropriation. La séance au tribunal se passe mal car l'avocat de la partie adverse insiste sur la partialité de Murdock et sa double vie de justicier. Foggy Nelson finit par lâcher le dossier mais Murdock sous le masque de Daredevil mène l'enquête et découvre que l'épicerie de son client abrite les machinations d'un super-vilain...
Entretemps, DD doit également faire face à Captain America, bien résolu à lui réclamer des comptes à propos de ses agissements passés.



4 planches de Daredevil # 1 dessinées par Paolo Rivera.

- Épisodes 4 à 6. Dessinés par Marcos Martin. Matt Murdock et Foggy Nelson se reconvertissent en conseillers juridiques pour coacher leur clients afin qu'ils puissent se défendre seuls, et donc éviter à la partie adverse de mentionner Daredevil. Plusieurs clients se succèdent, jusqu'à ce qu' Austin Cao, un jeune interprète aveugle, brutalement renvoyé de son entreprise après avoir surpris accidentellement une conversation entre clients, retienne l'attention de Murdock. 
En investigant, Daredevil découvre que plusieurs organisations terroristes sont en affaire avec l'ex-employeur de son client. Surpris, il doit affronter the Bruiser, mais il va mettre la main sur un précieux document...

2 planches de Daredevil #4 dessinées par Marcos Martin.
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Après le départ d'Ed Brubaker et Michael Lark et le run controversé d'Andy Diggle et Roberto de la Torre, Marvel choisit de suspendre la publication de Daredevil. Il ne s'agit pas seulement de préparer un relaunch (qui s'inscrira dans le cadre de l'opération "Big Shots" avec les relances de Moon Knight, par Brian Bendis et Alex Maleev, et du Punisher, par Greg Rucka et Marco Checchetto) mais aussi d'un aboutissement logique, qui a vu la série sombrer dans des lignes narratives de plus en plus sombres et extravagantes (surtout avec Diggle et son crossover Shadowland).
Parti de chez DC, Mark Waid accepte de reprendre les commandes du titre mais  en lui insufflant un nouveau souffle, une direction inattendue : il faut sortir Daredevil de cette spirale infernale et en (re)faire une bande dessinée d'action, bref rompre avec "l'école" Frank Miller (perpétuée avec Bendis et Brubaker) et renouer d'une certaine façon  avec l'époque Ann Nocenti. Plus encore, c'est aux origines historiques de la série que Waid veut faire référence, à l'époque où Stan Lee avec Bill Everett et Wallace Wood pilotaient l'Homme sans peur.
Il ne s'agit pas de transformer Daredevil en comédie super-héroïque ou en pseudo-Spider-Man, mais d'y réinjecter de la légèreté. Ainsi, après tous les coups durs qu'il a endurés, Matt Murdock change d'état d'esprit : plutôt que subir, il redevient pro-actif et optimiste (quand bien même il accepte que Foggy Nelson considère cette attitude comme du déni), et il se sert de Daredevil pour mener l'enquête sur les clients de Murdock, qui décide de devenir un conseiller juridique parce qu'il ne peut plus plaider sereinement. C'est très habile. Mais ce n'est pas tout.
En effet, Waid n'a pas effacé les évènements relatés par Bendis, Brubaker et Diggle : il y fait des allusions discrètes mais claires, comme lorsque Daredevil est appréhendé par Captain America - leur face-à-face laisse la situation en suspens, l'avenir nous dira si Waid y reviendra (Bendis a, lui, déjà décidé d'intégrer DD aux Nouveaux Vengeurs, dans la tourmente de Fear Itself - Waid avait d'ailleurs exprimé que si son héros devenait un Vengeur, sa réhabilitation serait plus rapide).
Ensuite, le scénariste renouvelle la galerie des ennemis de l'homme sans peur : il a décidé d'écarter (pour longtemps à l'en croire) les ninjas et le Caïd. Dans la première histoire, c'est Klaw, le maître du son, qui est opposé à DD ; dans la seconde, c'est un catcheur colossal à la solde de plusieurs organisations criminelles : dans les deux cas, ces adversaires permettent à Waid d'exploiter les super-sens de son héros, en particulier son radar (très ingénieusement quand il est jeté dans l'eau, par exemple, ou face à the Spot). En tout cas, on a affaire à des ennemis atypiques mais retors, qui démontrent que, même si la série est plus bondissante, elle ne ménage pas sa vedette.
Waid insiste beaucoup, mais toujours intelligemment, sur le fonctionnement des pouvoirs de Daredevil et ses relations avec son entourage "normal", introduisant même un nouveau personnage avec l'assistante Kirsten McDuffie et sa colocataire (dont on devine qu'elles vont accompagner sentimentalement Murdock et Nelson). Ces directions trouvent un écho remarquable dans leur représentation visuelle, mais ont d'abord pour qualités de redonner de l'air frais à la série, où alternent, à parts égales, les combats traditionnels et les rapports humains (sans qu'ils soient forcèment dramatiques).
L'auteur prouve que, lorsqu'il est vraiment inspiré, il n'a guère de rivaux pour régénèrer un titre, comme à la glorieuse époque où (avec Mike Wieringo) il avait écrit Fantastic Four.
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Visuellement donc, cette nouvelle version est un régal, même si elle tranche radicalement avec ce à quoi Maleev ou Lark nous avaient habitués.
Paolo Rivera et Marcos Martin ont des styles distincts, mais complémentaires (hélas ! Martin a quitté la série après ses trois épisodes). Paolo Rivera (qui est encré par son père, Joe) a un trait appliqué, à la ligne claire, où on retrouve son souci du détail, de la justesse et de la lisibilité : à la fin du recueil, une interview de l'artiste et une de ses planches permet d'apprécier la méticulosité dont il fait preuve (et par conséquent pourquoi il ne peut pas enchaîner plus de trois épisodes d'affilée). On pense à Everett et Wood, et ce n'est pas un petit compliment.
Marcos Martin se montre peut-être moins étincelant que dans ses épisodes de Spider-Man, même s'il propose quelques trouvailles épatantes. Néanmoins, l'expressivité de ses personnages, la souplesse de ses découpages et l'élégance de son trait font merveille. Plus encore, il joue énormèment sur la représentation du son et parvient ainsi à traduire avec force le script de Waid.


trois planches de Marcos Martin (Daredevil #3). 
Les couleurs de Javier Rodriguez et Muntsa Vicente sont très vives, confirmant la luminosité nouvelle, l'entrain et le plaisir contagieux du héros. C'est audacieux mais parfaitement accompli.

Un choix de couleurs volontairement plus "flashy" (Daredevil #6.)
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Le pari de Mark Waid était risqué, sa réussite n'en est que plus éclatante. A la fin de ces six premières issues, la situation de Daredevil est redéfinie et promet des développements accrocheurs. Par conséquent, ne manquez pas ce relaunch qui s'impose déjà comme une des meilleures productions Marvel du moment.

samedi 25 février 2012

Critique 311 : THE MOTH, de Gary Martin et Steve Rude

The Moth rassemble les épisodes 1 à 4, la "Special Issue" et l'extrait de Dark Horse Presents n° 138, de la série créée et dessinée par Steve Rude et écrite et encrée par Gary Martin, publiée en 2004 par Dark Horse Comics.
Comme The Silencer, un autre personnage créé par Steve Rude, The Moth a été imaginé initialement pour une collection de cartes. Puis avec son encreur Gary Martin, le dessinateur a entrepris de développer une série avec ce héros costumé en 2004. Tous les épisodes ont été collectés dans ce recueil paru en 2005 chez Dark Horse Comics : les 42 pages de The Moth Double-Sized Special, les 8 pages de l'histoire publiée dans l'anthologie Dark Horse Presents (# 138), et les quatre épisodes de de 22 pages de la mini-série The Moth. Malheureusement, depuis, le titre n'a pas connu de suite.
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The Moth est, dans le civil, Jack Mahoney, un jeune et vigoureux arobate qui hérite du Vansant Circus. Il veille sur son frère jumeau, Tad, et sur les membres de la troupe. A l'occasion, il se déguise et loue ses services pour financer le cirque.
Jack est un athlète qui possède un solide physique après avoir été séparé, alors qu'ils étaient encore bébés, de Tad (qui, lui, souffre depuis de nanisme), et son costume de justicier est doté de plusieurs gadgets (comme des ailes qui lui permettent de voler, des fumigènes dans ses gants...). Mais il n'a aucun super-pouvoir.
Néanmoins, il ne manque pas d'adversaires entre un gang de bikers, des gangsters, des mercenaires, ou un homme-lion, incarnation d'un démon africain. 
Détails du costume de The Moth, par Steve Rude.

The Moth compte également quelques alliés. D'abord parce que sa double vie est connue de tous les membres de sa troupe, qui le soutiennent sans réserve (même si les clowns le charrient volontiers), comme l'haltérophile Melvin ou la femme à barbe Sophia. Ensuite il fait la connaissance, lors d'une de ses missions en ville, d'American Liberty, une autre justicière, très médiatisée depuis qu'elle a succédé à son père, et qui collabore en secret avec le F.B.I. - qui connaît tout du passé de Jack... 


La couverture et deux planches de The Moth Special Issue,
par Steve Rude.
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Le plus frustrant avec cette série est qu'elle s'achève sur un cliffhanger et une affaire irrésolue (contre un trio de "ninjettes" voleuses). Il semble que de faibles ventes aient conduit Dark Horse Comics à annuler le titre, bien que Steve Rude et Gary Martin avaient de grands plans pour leur héros comme en témoignent les annonces à la dernière page du recueil.
Rude et sa femme ont co-fondé "Rude Dude Productions" pour auto-éditer les oeuvres de l'artiste, mais sans grand résultat, et The Moth est resté dans les lîmbes depuis 2004 et son 4ème épisode. Dommage, car le matériel avait un potentiel très prometteur, celui d'une production atypique à contre-courant de beaucoup de comics super-héroïques.
(Pour l'anecdote, Steve Rude avait initialement proposé The Moth à Image Comics mais l'éditeur, gêné par le logo du héros - une tête de mort ressemblant à celle qui orne le costume du Punisher - avait préféré refuser par crainte d'une action en justice de Marvel.)


3 planches de The Moth #1 (avevc la 1ère apparition
d'American Liberty) par Steve Rude.

La prépondérance des anti-héros dans les comics fait de The Moth une série rafraîchissante : c'est en effet un héros qui va à l'encontre de la mode des justiciers cyniques et évoque plutôt les personnages des âges d'or et d'argent (des années 40 à 60 donc). Les aventures de Jack Mahoney ont un aspect intemporel et léger, très divertissant et premier degré, avec des braves d'un côté et de grosses crapules de l'autre, de vrais bons et de vrais méchants à l'ancienne, avec leur lot de clichés.
Par ailleurs, The Moth se pose comme l'opposé de Nexus, l'autre héros emblématique de la carrière de Rude, évoluant non plus dans l'espace, avec des aliens, mais dans un environnement urbain et le milieu folklorique du cirque, avec sa cohorte de "freaks" (la référence au chef-d'oeuvre de Tod Browning est évidente, sans le côté tragique).


3 planches de The Moth #2 par Steve Rude.

Mais, soyons honnête, plus que ses qualités scénaristiques (modestes au demeurant, avec des intrigues assez sommaires et quelques blagues scatologiques dispensables), ce qui rend The Moth vraiment attrayant, c'est sa partie graphique.
Steve Rude est un immense artiste, qui synthétise tout ce qu'on peut aimer chez Jack Kirby (pour l'intensité), John Romita Sr (pour la finesse) et Alex Toth (quand bien même ce dernier ne fut pas tendre avec lui quand il critiqua, à la demande du "Dude", des planches de Jonny Quest : tapez "Alex Toth Steve Rude"sur Google et vous trouverez facilement les détails de cette échange). The Moth est une création qui lui tenait visiblement à coeur et, comme il se doit, il l'a particulièrement gâté. Ses planches sont des modèles du genre, avec des compositions élégantes et fortes, un découpage à la fois simple mais inventif, une fluiditié exceptionnelle.
Et l'encrage, d'une finesse pafaite, de Gary Martin sert à merveille ce trait précis et puissant, tout comme le font les couleurs de Glenn Whitmore (sans oublier le lettrage manuel - Rude insiste sur ce point - de Patrick Owsley).




Ci-dessus, quand on examine ces quatre planches du 4ème épisode, on ne peut que regretter et que la série n'ait pas été prolongée, mais plus encore que Rude ne produise pas davantage (certes son caractère difficile lui a joué des tours, mais quel gâchis de la part des grands éditeurs que de se priver d'un tel talent !).
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L'album se conclut sur une douzaine de pages de bonus : une postface de Rude, des photos de l'artiste lors de signatures (avec ses enfants mais aussi aux côtés du légendaire John Romita Sr !), une histoire originale illustrée de trois pages (The Honeypot of Doom), un poster d'American Liberty (dessiné, encré et colorisé par Gary Martin) et des lettres de fans (dont Joe Casey avec lequel le "Dude" collabora sur la mini-série X-Men : Children of Atom).
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Comme je le disais au début de cette critique, la série s'achève en plein vol et des questions restent sans réponses (quelles sont les origines exactes du héros ? Pourquoi ce surnom ? Quid du partenariat d'American Liberty avec le FBI ? Et des trois cambrioleuses ? Etc). Il est très improbable qu'on retrouve The Moth un jour (Rude travaille actuellement au retour de Nexus), mais quoi qu'il en soit, ce recueil est une bien belle bande dessinée signée par un des tout meilleurs artistes modernes.