mardi 3 janvier 2012

LUMIERE SUR... ALEX TOTH (2)

Alex Toth.
Autoportrait.

The Shadow
Sandman (version Golden Age)




The Fox (personnage d'Archie Comics qui
synthétise les visions de The Shadow et de Sandman par Toth).

Couverture pour The Savage Sword of Conan.

Dr Jungle

Dr Jekyll & Mr Hyde

La Justice Society of America des origines.

Merlin

The Sorcerer's Apprentice.
Edna (commission art).

Couverture pour la revue Diva.

Quelques aperçus du talent d'Alex Toth, depuis les années 50 jusqu'aux années 90.

dimanche 1 janvier 2012

Critiques 301 : REVUES JANVIER 2012

 Avengers 1 :

- Thor 1 : Le germe cosmique (1). L'Arbre-Monde d'Asgard, Yggdrasil, a souffert de la chute de la cité des dieux nordiques et Odin envoie Thor et Sif explorer ses racines pour en ramener la graine capable de le soigner. Mais durant la mission, Thor est blessé...
Cependant, le Silver Surfer s'emploie à trouver de nouveaux mondes morts pour apaiser l'appétit de Galactus...

Matt Fraction relance la série Thor (rebaptisée pour l'occasion The Mighty Thor) et fait équipe avec Olivier Coipel, de retour sur le personnage qu'il a si brillamment servi durant le run de J. Michael Straczynski (en 2007).
Néanmoins, comme aux Etats-Unis, la publication démarre en France en plein milieu de la saga Fear Itself, puisant abondamment dans le folklore asgardien, alors même que l'histoire se déroule avant l'event !
Comme tout épisode introductif, qui plus est raconté par un auteur adepte de la narration décompressée, ce premier épisode est à la fois prometteur (les retrouvailles entre le Silver Surfer, Galactus, d'un côté, et Thor, de l'autre, sont évidentes) et frustrant (la situation est tout juste exposée). Fraction, fidèle à lui-même, avance lentement ses pions, mais soyons indulgents et attendons de voir comment cela va évoluer.

Coipel livre une copie honnête, mais sans plus. Se réserve-t-il lui aussi pour la suite ? Quoiqu'il en soit, le script ne lui donne pas non plus de quoi exprimer son formidable talent, avec une longue séquence dans les profondeurs de l'Arbre-Monde, sans décors. Thor, Sif et Loki sont camouflés dans des armures, ce qui ne permet pas non plus de jouer sur les expressions ou la gestuelle.
En revanche, lorsqu'il croque les habitants de Broxton, et notamment le prêtre qui réveille leurs craintes religieuses avec le voisinage d'Asgard, son art pour donner des trognes à ces petites gens reste savoureux.
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- Captain America 1 : A l'origine + Rêveurs américains (1). Steve Rogers se rend en compagnie de Nick Fury, Dum Dum Dugan et Sharon Carter à l'enterrement de la tante de cette dernière. Mais la cérémonie est troublée par l'agression d'un ancien partenaire de Captain America durant la 2ème guerre mondiale...

Là encore, la série est relancée et renumérotée - mais cette fois, l'action se situe chronologiquement après Fear Itself (ce qui suffit amplement à indiquer ce qui va arriver à Bucky Barnes durant la saga) !
Ed Brubaker reste aux manettes et continue à écrire le titre dans la veine de ce qu'il fait depuis le début de son run, en explorant le passé de son héros. L'air est connu, rebattu même, mais il est si bien joué que cela reste agrèable. Qui plus est, cet arc démarre sur les chapeaux de roue, avec une intrigue accrocheuse et de l'action, donc difficile de se plaindre.

Steve McNiven, qui n'avait plus réalisé de planches pour Marvel depuis Wolverine : Old Man Logan, dessine pour la première fois Cap et, après un prologue d'une page signée Travis Charest (toujours aussi rare, mais toujours aussi beau), produit des intérieurs de toute beauté (en particulier quand il représente Sharon Carter).
Comme Coipel sur Thor (et Cheung sur Les Jeunes Vengeurs), l'encrage est assuré par Mark Moralés et les couleurs par Justin Ponsor, ce qui donne une agrèable cohérence esthétique à la revue.
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- Les Jeunes Vengeurs 1 : Le retour + La croisade des enfants (1). Après être intervenus contre des terroristes, l'équipe doit faire bloc autour de Wiccan, son magicien, qui a utilisé ses pouvoirs d'une façon similaire à celui de la Sorcière Rouge. Or depuis les évènements d'House of M, Wanda Maximoff est introuvable et les Vengeurs sont sur les dents...

La nouvelle série des Jeunes Vengeurs est devenue un vrai serpent de mer depuis son démarrage : en effet, ce premier épisode date d'Octobre 2010 ! Sans compter que cette histoire, Children's Crusade, comptera 9 chapitres et le #8 sortira seulement ce mois-ci aux Etats-Unis !   
Allan Heinberg embarque donc ses héros dans une intrigue articulée autour de Wiccan et Speed, qui sont peut-être les enfants de la Sorcière Rouge : l'épisode est dense, pose pas mal de questions (et promet des réponses), avec un invité de taille à la fin. Tout ça est très prometteur, même si, finalement, personne ne sait à quoi ça va aboutir.

Jim Cheung est lui aussi fidèle au poste : ses pages sont très belles, mais son trait (parfois comparé à celui de Coipel) est toujours aussi raide et ses personnages aussi mono-expressifs (sans parler du fait qu'ils se ressemblent tous, quels que soient leur âge ou leur sexe !). Ce n'est pas mauvais, mais c'est plus beau que dynamique.

Le retour est un sympathique prologue, écrit par Jim McCann et joliment dessiné par Chris Samnee. Le comble est que ces 12 pages sont plus animées que l'épisode de Heinberg et Cheung !
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- La Chose : Tout va changer bientôt (au lit). Ce bouche-trou de neuf pages, écrit par Roberto Aguirre-Sacasa et illustré par Sara Pichelli (en petite forme), revient sur l'intégration de Ben Grimm dans l'équipe des Nouveaux Vengeurs et l'annonce aux trois autres Fantastiques. Tout ça ne mange pas de pain, mais reste dispensable.
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Bilan : un bon premier numéro, avec trois séries de belle facture. Reste à savoir comment ce sommaire va tenir en attendant l'arrivée programmée de la série Avengers assemble (par Bendis et Bagley) au second trimestre 2012.
 Marvel Heroes 12 :

- Les Vengeurs 14 : Fear Itself (2). Un des marteaux invoqués par le Serpent s'est écrasé dans Yancy Street, d'où est originaire la Chose qui, en s'en emparant, est devenu un des Dignes du dieu de la peur asgardien. Pour l'affronter, le Hulk Rouge est envoyé sur place : de quoi le tester pour savoir s'il mérite d'être un Vengeur...

Comme le mois dernier, pour cet épisode annexé à la saga Fear Itself, Brian Bendis articule son récit sur une série de témoignages où plusieurs personnages s'interrogent à la fois sur ce qui les effraie le plus dans leur mission de héros et sur le rôle que doit tenir le Hulk Rouge. Pour illustrer leurs points de vue, nous voyons ce dernier se battre, avec courage mais sans véritable espoir, contre la Chose devenu un des Dignes du Serpent.
Le procédé est malin et le combat qui ponctue les témoignages est véritablement un duel entre deux colosses, dont l'opposition crée des dégâts considérables (la tour des Vengeurs est ainsi détruite). Bendis fait preuve de son habituelle science du dialogue pour que jamais on ne s'ennuie et le dénouement donne la mesure de la menace.

John Romita Jr revient dessiner la série et donne à ses planches toute la puissance qu'on attend d'un artiste comme lui, expert dans ce genre d'exercice, digne héritier de Kirby. Qu'importe dès lors s'il est moins bon quand il aligne des portraits sans grande variété dans les expressions ou la morphologie, son choc des titans possède une vraie intensité.
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- L'Académie des Vengeurs 10-11 : En quête de rédemption - En grandissant. Pas de critique pour ces deux épisodes qui me sont tombés des mains. Pourtant louée par de nombreux fans, cette série ne m'a jamais accroché, sans doute parce que ses héros n'ont pas d'intérêt pour moi et donc je me moque de ce qui peut leur arriver.

Et comme les dessins sont assurés par Sean Chen et Tom Raney, que je ne porte pas dans mon coeur, inutile d'insister.
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- Loki (2) : Voyage vers l'inconnu (2). Les asgardiens, sur ordre d'Odin, ont déserté la Terre et s'échinent à construire des armes pour combattre le Serpent. Cependant, le jeune Loki cherche à en savoir plus sur le Serpent et, une fois informé, décide d'agir de son côté en domptant le loup de Hel...

Journey into Mystery continue de creuser de son côté les à-côtés de Fear Itself avec une réussite enthousiasmante : ce nouvel épisode est aussi réussi que le précédent et Kieron Gillen parvient à animer son Loki rajeuni avec brio. Il ne se passe pourtant pas grand'chose mais il se dégage de cette histoire une ambiance très intriguante.

Doug Braithwaite et Ulises Arreola (aux couleurs) signent des planches superbes qui ajoutent au bonheur de la lecture. 
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Bilan : partagé mais positif - Avengers et JiM sont suffisamment accomplis (en particulier le 2ème titre) pour faire passer le fait que le sommaire doit supporter deux épisodes d'Avengers Academy. 
Marvel Icons 12 :

- Iron Man 504-505 : Fear Itself (1-2). Un des marteaux asgardiens invoqués par le Serpent tombe donc sur Paris et la Gargouille Grise s'en empare, devenant un des Dignes. Iron Man se rend sur place et affronte la créature qui pétrifie toute la population. La bataille est terrible et Detroit Steel qui s'en mêle va le payer cher...

Annexé à la saga Fear Itself, cet épisode est contre toute attente plutôt agrèable à lire, Matt Fraction ayant, une fois n'est pas coûtume, privilégié l'action en la délocalisant dans notre capitale.

Malheureusement, les efforts de Fraction sont ruinés par les dessins de Salvador Larroca qui échoue lamentablement à rendre l'effet de la pierre (ce qui est quand même gênant quand on anime un super-vilain comme la Gargouille Grise) et dont le découpage est calamiteux (rarement scènes d'action ont été aussi mollâssonnes, avec des enchaînements de vignettes affreusement mal conçus). C'est accablant : quand cette série commence à relever le nez, elle est plombée par une mise en images déplorable.
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- Les Nouveaux Vengeurs 13 : Infinité (5). Grâce aux informations soutirées à un agent du HAMMER qu'ils ont capturés, les Nouveaux Vengeurs remontent la piste de Superia et espèrent en profiter pour découvrir la nature de ses travaux scientifiques... Dont l'origine remonte à l'opération menée par les Vengeurs réunis par Nick Fury en 1959.

Le fin mot de l'intrigue est enfin révèlé et on apprend donc que la formule soutirée à Crâne Rouge dans les années 50 par Nick Fury est aujourd'hui dans les mains de Superia. En la récupérant, les New Avengers ont un moyen de sauver Mockingbird, sans savoir s'il y aura des effets secondaires (autre que la longévité dont a profité Nick Fury).
Cet arc n'est cependant pas sauvé, lui, par ce dénouement et demeurera comme un des plus ratés du run de Brian Bendis, une histoire pour rien - ou pas grand'chose en tout cas. Maintenant la série va devoir composer avec Fear Itself, tout en annonçant un retour de Norman Osborn, mais il serait étonnant que son scénariste ne se resaisisse pas.

Howard Chaykin ne sagouine que quatre planches, et son passage sur le titre est terminé, à mon grand soulagement. Mike Deodato, sans être en grande forme, s'en tire bien et va désormais pleinement s'installer sur la série (jusqu'au départ - annoncé - de Bendis certainement).
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- La Fondation du Futur 1 : Le Club. La mort de Johnny Storm a inspiré au reste du groupe une reformation complète et inattendue puisqu'il accueille désormais le père de Red Richards, les éléves de la Fondation du Futur, mais également Spider-Man... Et un invité spécial. Entretemps, le Sorcier est libéré par des agents de l'AIM.

Jonathan Hickman lance donc une nouvelle série après avoir conclu celle, historique, des 4 Fantastiques avec la mort de la Torche Humaine. Sa Fondation est donc plus qu'une simple équipe, une famille élargie, dont les vrais directeurs semblent davantage être Valeria et Nathaniel Richards. La dynamique du titre en est nettement altéré et ce premier épisode réserve au moins deux bonnes surprises, avec un peu d'action (pas trop non plus : Hickman étant dans ce domaine aussi inspiré que Fraction) et une recrue surprenante (non, ce n'est pas Spider-Man - dont la surexploitation devient franchement ridicule, même si sa présence ici n'est pas infondée au regard de ses antécédents avec les FF).
On va voir ce que ça donne, mais c'est plutôt alléchant.

Steve Epting, qui avait déjà illustré les derniers épisodes des 4F, devient donc l'artiste titulaire de cette nouvelle série et livre des planches magnifiques : ses compositions sont soignées, son trait élégant (co-encré par lui et Rick Magyar, colorisé par Paul Mounts), ses personnages déjà bien en main (Jane est superbe, la Chose excellement traitée, les enfants parfaitement maîtrisés).
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Bilan : un numéro inégal mais honnête - dommage que graphiquement Iron Man reste à la ramasse, mais New Avengers va rebondir à faveur de Fear Itself le mois prochain, et la nouvelle série, FF, est accrocheuse. 

Critique 300 : THE COMPLETE CLASSIC ADVENTURES OF ZORRO, d'Alex Toth

The Complete Classic Adventures of Zorro rassemble 16 épisodes de l'adaptation de la série télévisée produite par Disney, écrits et dessinés par Alex Toth en 1959, réédités en 2001 par Image Comics.
La couverture (non colorisée) du volume 1
de l'édition Eclipse Comics.




Les quatre premières pages
du premier épisode :
Presenting Señor Zorro.

Né en 1929, Alex Toth reste encore aujourd'hui un génie méconnu, malgré une carrière d'une grande richesse, le respect de ses pairs et l'admiration de ses fans. Mort à 77 ans à sa table de dessin (!), son "tort" aura sûrement été de ne pas être associé à un personnage ou une série, qui lui aurait permis d'être identifié plus facilement. A cet égard, son run sur Zorro est une exception notable et c'est une des raisons qui font que l'acquisition de cet album est indispensable.

Dans la préface de cet ouvrage, Howard Chaykin résume parfaitement le "cas" Alex Toth : de la même génération que d'autres artistes mythiques, comme Joe Kubert, Carmine Infantino, ou Gil Kane, cet auteur complet était considéré comme le meilleur de tous, aussi bien loué par de fameux prédécesseurs comme Milton Caniff et Noel Sickles que copié par une foule de graphistes postérieurs (de David Mazzucchelli à Chris Samnee en passant par David Aja, Gabriel Hardman, Cliff Chiang, Michael Lark, Stuart ImmonenDarwyn Cooke et j'en oublie). "L'artiste des artistes" en somme, comme les experts le surnomment.

Toth s'est illustré dans tous les genres : il a dessiné des westerns, des récits de guerre, d'horreur, des histoires romantiques. Il n'appréciait guère les super-héros même s'il a touché à des icones DC (Flash, Green Lantern...) ou Marvel (X-Men, première génération), et il a dans les années 60-70 activement participé à leurs designs pour les studios d'animation Hanna-Barbera (avec des séries comme Super Friends, Space Ghost...). On lui doit d'ailleurs les graphismes du dessin animé Scooby-Doo.

Mais Alex Toth, quoiqu'ayant produit massivement, n'a pas la renommée de Jack Kirby (concepteur d'innombrables personnages, des Fantastic Four aux New Gods en passant par Captain America), Steve Ditko (Spider-Man), Bob Kane (Batman), Will Eisner (The Spirit), Alex Raymond (Flash Gordon), Milton Caniff (Terry et les Pirates), Joe Schuster (Superman)... En revanche, sa science du design et du storytelling en fait l'égal de toutes ces légendes. Et ses épisodes de Zorro en apportent la preuve.
Guy Williams, l'interprète de Zorro/Don Diego
De La Vega dans la série télé.

The Complete Classic Adventures of Zorro est l'adaptation en bande dessinée de la sére télévisée produite par Disney à la fin des années 50, avec Guy Williams dans le rôle du "Renard" et de son alter ego Don Diego De La Vega. Cet album rassemble 16 épisodes au format variable (entre une vingtaine et une dizaine de pages,  dont une aventure en deux parties - The Ghost Of The Mission).








A l'époque, Alex Toth accepte ce travail alors qu'il s'est installé à Los Angeles : il a 30 ans et déjà de nombreuses contributions dans divers registres à son actif. Parfois, il réalise des planches sans même être crédité ! Mais déjà il s'est essayé à des adaptations en comics de productions cinéma et télé et son professionalisme est reconnu : sa technique est plus que parfaite, quand bien même il ne s'entend pas avec les coloristes qu'on lui impose (il préfère d'ailleurs le noir et blanc, et effectuera lui-même, quelquefois, ses colorisations), il est ponctuel et surtout il sait ce qui convient pour passer d'un média à l'autre - ainsi quand il recevra les premiers scripts de Zorro, il impose à l'éditeur des coupes importantes dans les descriptions et les dialogues, qu'il juge trop abondants. Résultat : une narration d'une redoutable efficacité avec un découpage sobre (avec un usage régulier du "gaufrier" - 6 cases d'égale valeur sur trois bandes par planche) mais où chaque plan est à la fois une véritable épure et un modèle de composition.

L'adaptation respecte la matériau d'origine : on y retrouve les standards hérités de l'oeuvre de Johnston McCulley, créée en 1919, avec un Zorro plus rusé que batailleur (peu de duels à l'épée en vérité, mais mis en scène avec swing), Don Diego faussement emprunté quand il est accusé par le Capitaine Monastario ou complice avec ce sympathique lourdaud de Sergent Garcia, des señoritas d'une classe folle, le tout situé dans la Californie de la première moitié du XIXème siècle quand les espagnols tenaient la province et que Los Angeles n'était encore qu'un pueblo sous la coupe de riches propriétaires terriens et de militaires.
C'est un régal à lire - que dis-je ? A dévorer tant on est pris par ces courts récits où le souffle de l'aventure se marie parfaitement avec l'humour bon enfant de Disney.

Le trait de Toth (dont Hugo Pratt s'est considérablement inspiré pour Corto Maltese, après avoir mûri dans l'ombre de Caniff) se distingue par son économie : jamais chez lui on ne trouve une ligne en trop mais ses personnages sont toujours expressifs, leur gestuelle toujours naturelle, les décors soignés.
Maître du clair-obscur, il tire les meilleurs effets d'à-plats d'un noir profond qui donnent des contrastes saisissants à ses images, valorisent les valeurs d'un plan aussi bien dans des cadres étroits que des plans larges, et suggèrent le mouvement admirablement (en jouant sur la poussière produite par une chevauchée par exemple ou par l'enchaînement subtil des vignettes avec des entrées et des sorties de personnages d'une fluidité si aboutie qu'elles sont quasiment imperceptibles).
Par ailleurs, la réédition par Image Comics bénéficie de l'addition des nuances de gris par Raymond Fehrenbach telles que les avaient indiquées Toth : ce bonus esthétique donne un cachet magnifique aux dessins sans les altérer.

Le storytelling selon Toth ressemble à la danse selon Fred Astaire : tout paraît étonnamement simple, évident, mais exprime une réflexion d'une intelligence infaillible sur la manière de raconter/chorégraphier des séquences. Toute sa vie, il ne cessera ainsi d'affuter cette méthode du "less is more", gommant de plus en plus tout ce qui freine la lisibilité et le rythme de la lecture.
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Lire Alex Toth, c'est à la fois un plaisir car c'est immédiatement accessible, c'est beau et c'est instructif : on a souvent le sentiment en tournant les pages d'apprendre comment faire une bonne bande dessinée sans aucune esbrouffe, en restant dans un classicisme chic, intemporel, indémodable. Si Eisner a fait exploser les barrières de l'art séquentiel, alors Toth a certainement été celui qui a su le mieux en exploiter les contraintes académiques, en acceptant les limites pour mieux en exposer les charmes. 

Un comic-book magique par un des plus grands artistes américains du XXème siècle !

BONNE ANNEE 2012 ! (guest-starring David Aja)

Bonne année à tous - à ceux qui lisent mes articles, à ceux qui les liront, ceux qui sont abonnés, etc !
Lisez plein de bandes dessinées et profitez-en bien !

samedi 31 décembre 2011

Critique 299 : SPIROU - LE JOURNAL D'UN INGENU, d'Emile Bravo


Spirou, Journal d'un Ingénu est un récit complet écrit et dessiné par Emile Bravo, publié en 2008 par Dupuis dans la collection alternative "Une aventure de Spirou et Fantasio par...".
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En 1939, à Bruxelles, le jeune Spirou est encore un adolescent. Pupille de l'Etat, il travaille comme groom au Moustic Hotel, où il subit les brimades du chef portier Entresol, et survit dans une chambre de bonne minable. Sur son temps libre, il arbitre les matchs de foot des gamins de son quartier. 
Mais lorsqu'une jeune et jolie soubrette, aux convictions communistes prononcées, entre en scène, alors que dans une suite de l'hôtel un représentant allemand négocie avec les polonais leur reddition, et qu'un journaliste à sensations nommé Fantasio rôde, notre héros ne va plus savoir où donner de la tête.
La 2ème guerre mondiale va éclater et entraîner Spirou vers son destin, avec un chagrin d'amour et un nouvel ami au passage - sans compter son écureuil, Spip, dont on découvrira in fine le rôle déterminant...
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Lorsqu'en 2008, Dupuis publie ce album, l'heure est aux festivités pour Spirou qui, mine de rien, célèbre son 70ème anniversaire. Une pièce de la Monnaie de Paris est même frappée à son effigie pour l'occasion !
Pourtant, à bien y regarder, la couverture de ce Journal d'un Ingénu nous indique d'entrée de jeu qu'on a entre les mains un récit complet singulier avec son héros, tenant dans ses bras son fidèle écureuil Spip (et rappelons que Spirou en wallon signifie justement écureuil), un oeil au beurre noir, encadré par des croix gammées et des marteaux croisant des faucilles...
Emile Bravo s'est montré très ambitieux en voulant resituer précisèment les origines du plus fameux groom de la bande dessinée franco-belge, n'hésitant pas à livrer un récit politisé, ironique et stylisé, même si l'album a été édité dans une collection alternative (donc se démarquant de la continuité).
L'auteur sait qu'il pénètre en territoire miné : Spirou est un héros qui a été marqué au fer rouge par Franquin, qui, s'il n'en a pas été le créateur, a animé et peuplé sa mythologie plus que n'importe qui. Le personnage de Rob-Vell a connu des versions inégales, de Jijé à Tome et Janry en passant par Nic et Cauvin, Fournier, jusqu'à Munuera et Morvan et aujourd'hui Velhmann et Yoann (qui en ont hérité après justement un passage par la case "Une aventure de Spirou et Fantasio par..."). Pourtant, malgré cette riche carrière, des béances dans sa chronologie attendaient qu'un artiste inspiré les comble et les transforme en une bande dessinée de qualité. 

Emile Bravo nous raconte donc le Spirou d'avant Spirou et Fantasio en révèlant comment les deux amis se sont rencontrés, pourquoi le groom aventurier est resté fidèle à son costume et célibataire, méfiant avec la politique et farouchement attaché à la démocratie plus qu'à aucune autre idéologie... Sans savoir que son écureuil a bouleversé son destin.
Dans cette histoire, cependant, ce sont d'abord des tracas quotidiens que Spirou s'emploie à gérer : comment gagner l'amour de cette soubrette dont il apprendra trop tard qu'elle appartient au Komintern ? Comment se débarrasser de l'encombrant Fantasio qui traque un couple mondain et adultère au Moustic Hôtel ? Comment éviter le brutalité du portier Entresol ? Et, accessoirement, comment arbitrer des matchs de foot entre garnements ou raisonner un nazi voulant faire plier la Pologne ?

Le scénario accumule les scènes rapides et brêves et fait ainsi davantage penser à la chronique mélancolique d'un adolescent pris entre les feux de la grande et tragique Histoire qu'à un récit d'aventures comme il en vivra ensuite. Cette singularité rend l'ensemble très attachant, parfois mordant, souvent drôle (les clins d'oeil à Tintin sont savoureux), et pourtant cette originalité, loin de se contenter de faire de l'oeil à un lectorat plus élitiste, réconcilie les puristes et les amateurs.
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Emile Bravo ne s'est pas seulement échiné à produire un script d'excellence, il a aussi soigné la forme. Son dessin ne cherche pas à imiter celui des autres, grands ou pas, qui ont animé le personnage avant lui. Il prend le parti d'un graphisme clair, simple, sobre, au découpage serré et au rythme soutenu.
Il utilise le pinceau pour épurer ses compositions et produire des effets subtils qui donne une fausse patine à son récit, comme s'il était vraiment d'époque, avec une colorisation magnifique de nuances de Delphine Chedru.
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Plein de verve, illustré avec soin et personnalité, ce Journal d'un Ingénu s'achève avec un twist particulièrement jubilatoire. Une grande réussite, et assurèment un des meilleurs hommages à Spirou si bien conçu qu'il mériterait de figurer dans la collection régulière de la série.
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Trois petits bonus : La loi du plus fort,
5 pages formant un "antépisode" au Journal d'un ingénu,
et deux dessins inédits.
 
 
 
 
 Spirou & friends :
 Sur le toit du "Moustic Hotel" :