samedi 7 avril 2012

Critique 319 : HABIBI, de Craig Thompson

Habibi est un roman graphique écrit et dessiné par Craig Thompson, publié par Pantheon Books (et Casterman, collection "Ecritures", en France) en 2011.

La superbe couverture de l'édition originale...

... Et celle, tristement maquettée, de l'édition française.

Il y a des livres dont l'ambition et le volume sont si intimidants qu'on ignore après les avoir lus comment on va bien pouvoir en parler, tout en ayant conscience qu'on n'en appréhendera pas dans un article toute la complexité, la richesse. C'est le cas de quelques oeuvres comme la bande dessinée en propose de temps à autre, et c'est le cas d'Habibi, le nouvel magnum opus de Craig Thompson, six ans après le déjà imposant Blankets.

D'abord il faut dire que c'est le Coran, plus que l'Islam, qui est au coeur d'Habibi. La lecture du Coran, l'apprentissage de la calligraphie arabe, ont été le déclencheur de cette entreprise par Craig Thompson qui a voulu réagir à l'islamophobie croissante en Amérique à la suite des attentats du 11 Septembre 2001. Cette tragédie nationale a fait comprendre à l'auteur à la fois les liens unissant la religion musulmane et catholique tout en soulignant que les Etats-Unis (et plus largement le Nord) prospère sur la pauvreté de l'Afrique (et plus largement du Sud), incitant de cette manière le terrorisme comme une réponse/riposte.
A ces préoccupations philosophiques sont venues se greffer des inquiétudes concernant l'environnement, le manque d'eau, de nourriture.

Pour cadrer ses propos, Thompson s'est inspiré des Contes des 1001 Nuits et a souhaité traiter son sujet à la manière de Star Wars, invoquant un univers suggérant à la fois des temps très reculés et plus modernes. Il s'agissait, selon sa propre expression, de mixer la fable et la chronique, d'appréhender les références culturelles orientales comme, dans le western, on peut utiliser les archétypes que sont les cowboys et les indiens.

Il commence à rédiger un premier traitement de 200 pages début 2004. Une panne d'inspiration l'empêche d'aller plus loin, mais lors d'un séjour à Angoulême, en traçant des grilles de sudoku, un déclic se produit : Thompson assimile ce jeu aux caractères orientaux et à leur signification mystique. Il se plonge alors dans l'étude du Coran et effectue des recherches sur la calligraphie et l'art islamique. Tout cela va lui permettre de se remettre au travail et de redéfinir son histoire, sa structure, ses références.

Thompson opte pour un dessin traditionnel contre les supports numériques (comme les tablettes) par goût des enluminures et des manuscrits. Ainsi, il procède à un découpage au stylo bille sur un petit format, réécrit une centaine de pages de son script et résout ainsi des problèmes narratifs. Puis il passe à la réalisation des planches, d'abord au crayon, puis avec des pinceaux, des plumes et de l'encre. Il ne se servira de l'informatique que pour insérer les ornementations islamiques.  
Poussons les portes et partons en voyage.
*
Habibi comporte neuf chapitres, encadrant une histoire qui s'étend sur 656 pages. Je vais les résumer, je les compléterai avec les principales références données par l'auteur. Enfin, je rédigerai une critique générale mais que j'espère néanmoins précise.
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1. Le plan de la rivière.

Dodala est une fillette quand elle est vendue par son père à un scribe pour devenir son épouse. Il la déflore puis, pour lui prouver son amour, lui apprend ensuite à lire et écrire. Cet enseignement va servir de fondement à toute l'existence de l'héroïne - et plus largement à toute la structure de l'histoire.
Le scribe est assassiné par des voleurs qui enlèvent Dodola.
Trois années s'écoulent.
Dodola rencontre Zam (ce qui veut dire "calme-toi"), un enfant noir, et s'évade avec lui. Ils se réfugient dans un bâteau abandonné dans le désert au Sud-Est de leur village et au Nord de la nation prospère (et fictive) de Wanatolie. Le récit fait alors écho à la légende de la tortue Luoshu, ce qui signifie "le plan de la rivière", et qui permit au peuple de ce territoire de survivre.
Dodola apprend à son tour à Zam à lire et écrire en lui confiant une sorte de talisman inspiré par la légende la tortue : sur un bout de papier, elle trace neuf cases ayant chacune une valeur numérique correspondant à une lettre, dont la première est le "B" de Bismillah, premier mot du Coran.
Dans ce premier chapitre, Craig Thompson met déjà en parallèle le récit des aventures de ses deux héros avec de multiples anecdotes issues de sa lecture des textes sacrés.
La lecture et les écritures, comme Allah, a enseigné à Adam les noms. Quand Dieu créa les lettres, il en garda les secrets, et quand il créa Adam, il partagea ces secrets avec lui mais continua à les cacher aux anges. Les anges protestèrent car ils pensaient que l'homme répandrait le sang et le mal sur terre quand eux louaient la sainteté du créateur.
L'écriture est décrite de manière imagée comme une rivière serpentant dans le désert, Thompson assimile donc l'eau à la calligraphie et établit un parallèle entre le fait d'étancher sa soif et le fait de se cultiver et de transmettre ses connaissances par l'écriture. La rivière des l'écriture forme des boucles comme des lettres qui deviennent des mots qui forment des histoires, avant de se tarir et que le silence ne revienne.
Thompson use aussi de métaphores pour comparer aussi la connaissance et l'eau, comme lorsqu'il cite la légende de la tortue Luoshu : une gigantesque inondation dévaste la région, les habitants effectuent des sacrifices pour que cela cesse, la tortue apparaît et fait le tour des offrandes mais repart. Ces phénomènes se répétent jusqu'à ce qu'un enfant remarque sur la carapace de l'animal des inscriptions - 9 marques dans 9 cases, chaque marque correspondant à un chiffre, chaque chiffre correspondant à une lettre dont la première est le "B" de Bismillah, le premier mot du Coran, dont la première sourate (chapitre) est la 96ème - 9 + 6 = 15. Or toutes les lignes (horizontales, verticales, diagonales) de ces grilles ont la même somme : 15. Avec 15 offrandes, les inondations cessent. Ecrites sur un papier, ces 9 cases avec leurs signes protégent des Djinns.
"Bismillah au nom de Dieu, votre ancien vous-même pour trouver votre vrai nom" : cette sentence mystique fait écho au fait que Dodola rebaptise Zam, dont le premier prénom était Cham. Ismaël, le fils qu'Abraham abandonna avec Agar dans le désert, fit surgir une source d'eau en tapant le sol avec son pied et sa mère (Agar) le calma avec les mots "Zam ! Zam !", qui devinrent, abrégés, le nom du puits sacré. Le compagnon de Dodola trouvera lui aussi de l'eau comme Isamël.
L'histoire d'Ismaël sera cité à d'autres reprises dans le livre, à la fois pour illustrer la ressemblance de son destin avec celui de Zam ou plus généralement pour parler du contenu des saintes écritures et de leurs variations - ainsi, Thompson rappelle que lorsque Dieu réclama à Abraham le sacrifice d'un de ses fils, les textes divergent sur celui qui le fut, d'Ismaël (consentant) ou d'Isaac (amené par la ruse)...  
2. Voiles de ténèbres.

Retour en arrière.
Quand Dodola rencontre Zam, elle a 9 ans et lui, 3. Elle vient d'être vendue comme esclave sur un marché par les hommes qui l'ont enlevée après avoir tué son mari, le scribe. Zam se prénomme encore Cham et sa mère le confie à Dodola car elle sait que les enfants sont séparés de leur génitrice.
La narration effectue un saut dans le temps.
Dodola vit dans un harem et se rappelle de ce qui a précédé son arrivée dans cet endroit.
Avec Zam, elle a vécu neuf ans sur le bâteau dans le désert : elle avait donc 21 ans et lui 12 quand ils ont été séparés. Mais dans quelles circonstances ? Alors qu'elle était sortie de leur refuge pour s'approvisionner auprès de caravaniers, elle a été capturée et livrée dans ce harem pour grossir les rangs des courtisanes du sultan.
Désormais, Dodola est à la fois à nouveau esclave, mais elle dispose d'une servante, noire comme Zam, et prénommée Nadidah.
Dodola a passé neuf ans à être la mère de substitution de Zam, lui enseignant donc la lecture et l'écriture, pour le cultiver comme elle l'a été. A l'adolescence, le jeune garçon commence à désirer celle qui considère à la fois comme sa protectrice et sa soeur. Mais il ne lui avoue pas.
Au harem où elle est devenue la favorite du sultan, Dodola tombe enceinte et donne naissance à un garçon, qui pourra donc prétendre au trône.
Craig Thompson aime accompagner la relation des péripéties de ses personnages d'apartés dont le sens ne se révèlent pas immédiatement. Mais en même temps que l'intrigue se déploie, ces à-côtés finissent par en révèler les reliefs.
Ainsi, dans ce chapitre qui se clôt sur la naissance du fils de Dodola et du Sultan, l'auteur indique que dans le Coran il est dit que les bébés pleurent à la naissance car l'âme sait qu'elle est séparée d'Allah. De la même manière, quand le bébé pleure dans son sommeil, c'est son âme qui se rappelle en partie ce qui a été perdu. L'idée de naissance, d'engendrement, est intimement liée, dans le Coran, comme dans Habibi, à l'idée de perte, et cette perte est une déchirure dont on ne se remet jamais. Dodola est séparée de Zam, qu'elle a élevé comme son fils, et lorsqu'elle a un enfant du Sultan, sa grossesse est éprouvante, et après avoir accouché, elle ne reconnaît pas sa véritable progéniture car c'est un enfant né d'un rapport contraint. L'affection qu'elle avait pour Zam, son enfant adoptif, est incomparable avec celui qu'elle devrait éprouver pour cet enfant naturel mais qu'elle a eu de manière forcée. Le fils du Sultan n'est que le dernier maillon d'une chaîne qui l'attache à cette prison qu'est le harem et la maintient éloignée de Zam.
Thompson revient aussi au rapport entre l'art de raconter et l'initiation à la vie, à l'apprentissage : raconter est donc le premier enseignement. Dodola récapitule les étapes historiques de cette éducation narrative : quand Zam avait 3 ans, elle lui racontait des histoires (les énigmes posées par Bilqïs, la reine de Saba, au roi Salomon) pour l'aider à s'endormir, à 4 ans pour se rapprocher de lui, à 5 ans pour nourrir son imaginaire, à 6 ans pour le distraire de la faim, à 7 ans pour encourager l'entraide, à 8 ans pour donner des leçons de morale, à 9 ans pour montrer la complexité de la vie, à 10 ans pour le distraire des études, à 11 ans pour partager leurs expériences. C'est quand Zam a eu 12 ans que Dodola a été séparée de lui en étant, sans qu'il le sache, enlevée et livrée au Sultan. 
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3. Le viol de l'Eden.

Dodola gagne de la nourriture en se donnant au caravaniers, mais elle le cache à Zam. Toutefois, celui-ci, par curiosité, la suit discrètement un jour et assiste alors à une scène dramatique, qui va devenir un traumatisme fondateur pour lui : la jeune femme tombe sur des marchands peu scrupuleux et l'un d'eux la viole.
Zam décide alors que Dodola ne se prostituera plus et, après avoir découvert un barrage, il s'approvisionne en quantité en eau qu'il va ensuite vendre au village voisin. Ce commerce s'avère rentable, mais il ne réclame que de la nourriture en échange, pas d'argent (car l'eau est un don de Dieu et pas un marchandise ordinaire).
A la même époque, Zam commence à ressentir de l'attirance physique pour Dodola, ce qui le tourmente - et le conduira plus tard à des résolutions terribles...

Ce chapitre est placé sous le double signe de l'épreuve et de la souffrance, et naturellement Craig Thompson puise dans les récits religieux des parallèles avec ce que traversent ses héros.
Il commence par évoquer la situation des quatre Archanges gardant le jardin de l'Eden : Azraël (la terre), Raphaël (l'air), Michel (le feu), et Gabriel (l'eau) ignoraient eux aussi que la véritable menace se trouvait à l'intérieur du territoire qu'ils habitaient (comme Dodola et Zam dans le désert, et comme les hommes sur la terre). Les hommes pillèrent tout ce qui était comestible dans le jardin puis s'en prirent aux animaux puis à la nature, rasant les forêts pour leurs maisons... Jusqu'à ce qu'il ne reste rien, que le désert.
De façon identique, Thompson indique que les épreuves que subissent ses personnages sont des tests. C'est le sens de l'anecdote de Job éprouvé par le démon Iblis : après avoir vu son existence détruite (son bétail volé, ses serviteurs tués, ses récoltes brûlées par la foudre, sa maison rasée par une tempête, touché par la maladie), Job ne renia pourtant pas Dieu et tout lui fut rendu - santé, fortune, famille, eau frâiche.
L'eau continue, comme ces histoires mythologiques, d'irriguer le récit d'Habibi, et Thompson révèle ici que le prénom Dodola est aussi celui de la déesse de la pluie dans le Nord-Ouest. Ensuite, quand Zam fait le commerce de l'eau en ville, pris à parti par un homme qui déclare qu'il ne peut vendre ce que Dieu donne, le jeune homme répond que si l'eau vient de Dieu, l'eau potable vient de lui et il ne la vend pas mais l'échange contre de la nourriture. 
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4. Mirage.

Dodola est donc enlevée et conduite au harem du Sultan. Il la met au défi de le satisfaire sexuellement pendant 70 nuits d'affilée, et si elle réussit, il lui rendra sa liberté. Elle accepte ce marché.
En compagnie de sa servante Nadidah, Dodola visite le palais, immense avec une salle remplie d'éléphants, un jardin luxuriant (dont le jardinier fait aussi office de bourreau !), les bains...
Après sa première nuit avec Dodola, le Sultan, comblé, la rebaptise "Sfays" ("celle qui donne le plaisir"). A la 69ème nuit d'amour, il la renomme "Ikbal" ("la glorifiée"). Mais après la 70ème nuit, l'ennui resaisit le Sultan. Dodola encourt la mort mais tente de s'évader. Elle est rattrapée et jetée dans un cachot durant 7 mois.
Au terme de cette détention, le Sultan propose un nouveau défi à Dodola : elle a 70 mois pour accomplir un vrai tour de magie consistant à changer une cruche d'eau en or. La jeune femme emploie toute son énergie, une fois rétablie, à s'instruire pour réussir ce prodige.
Le fils qu'elle a eu du Sultan est prénommé Rajab (comme le 7ème mois du calendrier lunaire). Il est assassiné à l'âge de 3 ans, une nuit, et on ne retrouvera jamais l'assassin.
Se consacrant à l'accomplissement du défi, Dodola obtient la complicité des eunuques du palais qui s'arrange pour mettre hors d'état toute la plomberie de l'endroit. Le jour venu, le Sultan est assoiffé mais accorde à la jeune femme l'autorisation d'exercer son miracle. Grâce à une ruse ingénieuse, en plus du problème d'eau, elle remporte le pari.
La vie de Dodola au harem et son attitude fournissent à Craig Thompson de nouvelles et nombreuses occasions de filer la métaphore entre ce qui arrive à la jeune femme et des passages extraits des textes sacrés.
Le comportement de Dodola est original : elle semble soumise, résignée, à sa situation, et se sert encore de ses charmes comme hier quand elle se donnait aux caravaniers. Mais en même temps, elle fait preuve de volonté et se montre même bravache, acceptant, sans savoir comment elle va y parvenir, de relever un défi insensé (changer une cruche d'eau en or) pour regagner sa liberté - et ainsi de retrouver Zam (nous découvrirons plus loin qu'en vérité il n'était pas si loin qu'elle le redoutait).
Qu'elle ait été instruite par son mari (et qu'elle ait cultivé ses connaissances en les transmettant à Zam) lui permet d'effectuer des recherches dans la bibliothèque du Sultan puis, quand on lui en interdit l'accès parce qu'elle est une femme, d'élaborer une ruse savante pour mystifier celui qui l'a défiée.
Mais Thompson insiste sur le fait que rien n'est jamais simple, même quand on est motivé et cultivé. En plus du Sultan, Dodola doit affronter d'autres ennemis mortels au sein du palais (courtisanes jalouses, gardes criminels, intendants divers mais zélés). Face à l'adversité, seules la sagesse et la foi soont de bons guides comme cette histoire de l'archange Gabriel qui retira le coeur du Prophète endormi et le fit purifier par Michel afin qu'il soit dépourvu de toute trace d'erreur, de doute ou de mauvaise action. La poitrine du Prophète fut ainsi remplie de sagesse, de foi et refermée.
Après avoir été incarcérée par le Sultan, la libération et le retour en grâce de Dodola sont comparés à l'ascension du Prophète où il croisa le Coq Blanc (veillant sur les jours et les nuits), Azraël (l'ange de la mort, le protecteur du ciel contre les démons), l'ange aux 70 têtes ayant chacune 70 langues, Idris (père des mathématiques et de l'écriture qui pria le pardon d'Allah quand les hommes lui tournèrent le dos), Noé (petit-fils d'Idris)... Au 7ème ciel, le Prophète se tint au pied du Jujubier sacré, à l'extrémité de la connaissance humaine, sur chaque feuille duquel se tenait un ange secret. A la base de cet arbre coulaient les rivières qui se jetaient dans la Mer du Paradis dont l'eau pouvait étancher la soif pour l'éternité.
Par ailleurs la séquence du défi occupe une place importante dans ce chapitre, et Dodola pour accomplir ce miracle étudie d'abord Aristote (père de la biologie, qui avait expliqué que toute matière est formée par 4 éléments - la terre, le feu, l'air et l'eau - produisant 4 qualités - la sécheresse, la chaleur, l'humidité et la fraîcheur. De chacun des éléments naissait deux qualités opposées) et Jabir Ibn Hayyan (père de la chimie, qui expliqua que tous les minéraux naissaient du mélange de deux émanations - la fumée terreuse et la vapeur aqueuse). Le résultat de ses investigations apprend à Dodola que le soufre mélangé au mercure produit de l'or. Mais, en fin de compte, la jeune femme aura recours à la ruse pour remporter le pari que lui a lancé le Sultan, Thompson semble suggérer que la culture permet d'abord d'obtenir de la ressource pour contourner un obstacle quand on ne peut le franchir scientifiquement. Il y a là une malice certaine de la part de l'auteur qui abreuve son héroïne et le lecteur de références pointues pour arriver à un dénouement à la fois plus simple et ironique.
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5. La main de Fatima.

Après la disparition de Dodola, Zam quitte le bâteau et rejoint la ville où il sombre rapidement dans la misère. Il est recueilli par des eunuques et des transexuels en faisant la connaissance de l'un d'eux, Nahid.
Le souvenir de Dodola et son attirance pour elle puis l'une des pensionnaires de son nouveau refuge le tourmentent à nouveau et le décident à se faire castrer. Zam devient Chamera et se laisse séduire par Ghaniyah, qui se prostitue pour subvenir aux besoins de leur communauté, tandis que lui en devient le cuisinier.
Après que Ghaniyah ait été agressée, Zam/Chamera accepte de la remplacer en se prostituant à son tour. Il est enlevé à son tour par un client qui le conduit au palais du Sultan. Là, il devient un serviteur, il est apprécié, mais reste muet (à défaut d'avoir réussi à se faire passer pour sourd).
On lui propose de travailler dans le harem, ce qui attise sa curiosité. Il escalade un mur des Jardins de la Félicité et aperçoit alors, stupéfait, Dodola.
Avec les autres eunuques, il participe, sans le savoir, à détraquer la plomberie du palais et apporte son concours à Dodola. Mais la manoeuvre est découverte et la jeune femme est condamnée à être noyée (avec d'autres courtisanes) par le Sultan, furieux d'avoir être grugé.
Zam accompagne les condamnées et sauve Dodola in extremis en se jetant à l'eau avec elle.
Ce chapitre se distingue encore par son extrème densité : riche en rebondissements, balayant plusieurs années d'une façon si fluide qu'on les perçoit à peine, il marque les retrouvailles des héros qui ont été longtemps séparés, alors qu'ils ont été également longtemps plus proches géographiquement qu'ils ne le croyaient. La maîtrise narrative de Craig Thompson, son art romanesque, font passer ces péripéties avec une aisance remarquable et rappelle quel redoutable "page-turner" il est.
La rencontre de Zam avec les eunuques et les transexuels permet d'apprendre que la déesse de cette communauté s'appelait Bahuchara Mata, qui préféra se mutiler plutôtque d'être violée par des voleurs dans le désert. Les tourments liés à la sexualité, au désir, qui hantaient Zam depuis son adolescence trouvent une "solution" radicale, mais l'auteur a le tact de pas insister sur l'aspect chirurgical. Le sacrifice de Zam appartient à la veine la plus mélodramatique et décriée de l'auteur (déjà présente dans Blankets) : on peut la juger un peu pénible et impactant le récit de manière trop appuyée, sans donner une plus-value signifiante au récit. C'est sans doute le passage sur lequel je suis resté le plus mitigé.
Thompson aime parfois trop démontrer la cruauté du monde et des mythes pour que le déroulement de son histoire n'en souffre pas : ici, il invoque, assez lourdement, la vie de Moïse, depuis sa petite enfance où, abandonné par sa mère à cause des ordres de Pharaon, il finit par être recueilli par l'épouse de ce dernier et retrouvé par sa nourrice, Myriam (on apprend au passage que, durant l'exode des Israëlites hors d'Egypte menée par Moïse, elle s'insurgea contre son mariage avec une femme noire et pour cela Dieu la punit en l'affligeant de la lépre), et sa mère. Puis l'auteur révèle une anecdote beaucoup moins connue : la rencontre de Moïse avec le guide divin Al-Khidr (le Vert), lequel durant leur voyage commun fit couler leur barque (afin que le Roi ne la récupère pas pour la guerre), tua un enfant (pour qu'il ne fasse pas le désespoir de ses parents, et répara le rempart d'un village (sous lequel se trouvait un trésor, héritage de deux orphelins).
Le sens exact de ces épisodes demeure nébuleux par rapport à ce que traverse Zam dans ce chapitre. Thompson compare-t-il son héros à Moïse ? Si oui, cela n'a rien d'évident car Zam n'a rien d'un prophète, quand bien même il est durement éprouvé dans son âme, son coeur et sa chair. En vérité, tout cela m'est davantage apparu comme des métaphores sur le voyage dans le temps et l'espace du personnage (puisque Zam devient adulte et finit par retrouver Dodola) et des bonus sur la connaissance des textes sacrés.
L'allusion avec la main de Fatima est plus éloquente : Fatima était l'épouse d'Ali qui se brûla la main en touillant un plat lorsqu'il ramena une 4ème épouse chez lui. Mais malgré sa blessure, elle ne ressentit pas la douleur. De la même façon, malgré ce qu'il endure (tout comme Dodola dans le chapitre précédent), Zam dépasse ses douleurs pour survivre.
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6. Noyade.

Zam réussit à sauver Dodola d'une mort certaine. Mais à quel prix ! Ils échouent dans les égoûts du palais, dérivant dans des eaux remplies d'immondices, et émergent dans les bas-quartiers de la ville. Ils sont hébergés par No (Noé).
Dodola est très malade, à l'agonie, et Zam la veille, essayant de toutes ses forces, de la maintenir en vie. Il fait appel, par l'entremise de No, à un guérisseur.
Au terme d'une longue et douloureuse convalescence, Dodola se rétablit et peut enfin savourer ses retrouvailles avec Zam.
Ils quittent No après l'avoir aidé à rebâtir sa maison, détruite après l'explosion de son purificateur d'eau et l'invasion de son domicile par plusieurs sans-abri. Le couple décide de repartir pour le désert où ils retrouvent leur bâteau, désormais enseveli par le sable et tous les déchets de la ville. 
Après avoir survécu à la séparation, à l'enfermement, à la faim, à la soif, Zam et surtout Dodola doivent encore surmonter la maladie. Ils sont certes libres, s'étant échappés du palais du Sultan, mais leur évasion par les égoûts a sérieusement entamé la santé de la jeune femme. Cette situation installe un renversment dans la relation entre Zam et Dodola : hier, c'est elle qui veillait sur lui, quand il était enfant, aujourd'hui, c'est lui qui la veille et tente de la soigner alors qu'elle est à l'article de la mort.
Leur rencontre avec No est l'occasion pour Thompson de créer un personnage étrange, à la fois fantasque, sympathique, mais qui est en vérité fou, dont la folie finira par (presque) causer sa perte. Le prénom de ce second rôle est une référence explicite à Noé, qui repêche littéralement Zam et Dodola et les accueille dans sa maison (plus une cabane qu'autre chose, dans un bidonville), nouvelle arche où vont échouer d'autres crêve-la-faim et sans-abri.
Révisons donc notre Noé : il consacra 120 ans à bâtir son vaisseau en prévision du Jugement Dernier, y embarquant un mâle et une femelle de chaque espèce, ses trois fils, leurs femmes. Le sort qu'il réserva à sa propre épouse prête à la controverse : il aurait soit refuser qu'elle monte à bord car elle n'était pas croyante, soit accepter qu'elle l'accompagne. Tous les passagers firent voeu d'abstinence, mais la règle ne fut pas respectée et de nombreux petits furent donnés en nourriture à d'autres animaux pour dépeupler l'équipage.
Puis, le déluge terminé, Noé dut trouver comment régénérer le monde. Ses trois fils engendrèrent toutes les nations : Shem/Sem à la peau mate, le favori, devient père de tous les prophètes suivants ; Japheph/Japhet à la peau claire, le plus habile, eût la plus nombreuse des descendances ; mais Cham à la peau noire fut condamné à être le premier de tous les esclaves (soit parce qu'il se serait moqué de la nudité de son père ou parce qu'il le rendit impuissant par la magie).
L'autre point que vient souligner la maladie de Dodola, c'est la structure organique du récit et de ses éléments : une histoire est pareille à un corps, chaque péripétie a une fonction qui permet au récit de progresser, chaque individu vit grâce au bon fonctionnement de son organisme. Cette vision des choses, plus triviale, physique, matériel, logique, contrebalance le discours mystique qui sous-tendait le propos du livre jusqu'à présent, et de la même manière que Thompson parle moins finalement de l'Islam que du Coran, donc moins de la religion que des livres saints qui la racontent, il a aussi à coeur de nous dire que son histoire est d'abord la relation d'éléments affectant des êtres de chair et de sang et pas seulement les exploits de créatures irréelles. Ce faisant, il donne de la matière à de la fiction er rappelle que l'imagination se nourrit et s'organise à partir du réel, sans quoi le résultat n'est qu'un divertissement sans consistance.
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7. Le sceau de Salomon.

Le désert est devenu une décharge publique à ciel ouvert et Dodola et Zam, résignés à ne plus pouvoir récupérer leur bâteau, regagnent la ville.
Ils se réfugient dans un chantier immobilier abandonné, où ils investissent un appartement inachevé. Zam décroche un emploi à l'usine d'embouteillage d'eau. Dans l'immeuble où ils se sont établis, Dodola leur arrange un foyer confortable et, un soir, lorsque Zam rentre du travail, elle lui montre au sommet du bâtiment toute la ville, dont le palais du Sultan fait partie.
Une nuit de canicule, Zam enlace Dodola mais se ravise, dégoûté par cette attitude qui lui rappelle celle des caravaniers qui abusèrent de la jeune femme autrefois.
Le jeune homme reçoit une promotion dans son usine en se voyant proposer un nouveau poste qui le reconduit au barrage qu'il avait jadis découvert et d'où il ramenait l'eau pour lui et Dodola.
Dodola, justement, lui avoue que, durant son séjour au harem, elle a eu (et perdu) un enfant. Zam lui révèle être devenu un eunuque, ce qui l'empêche de lui donner un nouvel enfant comme elle le désire. Désespéré, il choisit de quitter la jeune femme.
Jusqu'au 6ème chapitre, Habibi pouvait très bien s'inscrire dans un monde fantasmatique, rester du domaine de la fable, du conte, avec force métaphores pour l'habiller. En quittant le désert puis le palais du Sultan, et en installant Dodola et Zam dans la ville, l'histoire gagne en réalisme, devient plus concrète non seulement dans l'espace où elle se déroule mais aussi dans le temps où elle se situe : le décor indique clairement qu'on est à présent à une époque moderne, avec une ville hérissée de gratte-ciel, de véhicules contemporains, d'objets actuels.
Tous deux adultes désormais, les rapports entre Dodola et Zam n'ont également plus rien d'innocent, d'ailleurs ils s'avouent tout (l'enfant que Dodola a eu du Sultan, la castration qu'a subi Zam, leur attirance physique et l'impasse d'une relation de couple ordinaire entre eux). Ce 7ème chapitre ancre Habibi dans une réalité plus affirmée.
Mais Thompson ne renonce pas à dresser des ponts entre le réel et la mythologie. Ainsi, pour dépeindre la Wanatolie, il la compare au royaume de Salomon qui dévasta l'environnement pour bâtir son palais et asseoir son empire. Son arme était un sceau qui lui permettait de contrôler le pouvoir des Djinns et lui assurait la maîtrise sur les hommes, les bêtes et les esprits, dont il parlait les langues.
L'auteur se sert également du Roi Salomon pour parler de la nature du couple Zam-Dodola. 
Conviant tous les animaux à un festin, Salomon apprit par une Huppe l'existence d'un autre royaume échappant à sa loi : le royaume de Saba, aussi riche et sophistiqué que le sien mais vénérant d'autres divinités que Dieu, et dirigé par la reine Bilqîs. 
Salomon invita Bilqîs pour la convertir et elle partit pour Jérusalem avec 797 dromadaires chargés d'or, d'épices et de pierres précieuses, pour le rencontrer. Eblouis l'un par l'autre, ils tombèrent amoureux. mais quand Salomon demanda Bilqîs en mariage, elle refusa car sa virginité était la condition assurant son statut de reine de Saba. Elle repartit donc, en lui laissant une fortune. Pour tenter de l'oublier, il devient polygame, ayant 700 femmes et 300 concubines.
Zam quittera Dodola car il ne peut lui donner d'enfant mais aussi parce qu'il refusait d'être esclave de ses sens comme tous les hommes, ces bêtes sauvages violant les femmes comme les caravaniers jadis.
*
8. La prière de l'orphelin.

Sans aucune image, ce pénultième chapitre est un monologue intérieur de Zam. Il a rejoint le barrage et s'apprête à se suicider en se jetant du haut de l'édifice. Il est accablé par le cours de sa vie, les choix irréversibles qu'il a pris, ce chemin de croix, son incapacité à donner un enfant à Dodola, mais aussi de l'eau aux habitants des bidonvilles.
Ses préoccupations personnelles se mêlent à des considérations plus générales sur le sort des démunis qui, comme Dodola et lui, semblent maudits et condamnés.
A moins que ces épreuves finissent par l'éclairer et donner un sens à sa vie...

Craig Thompson est un sentimental et il n'a visiblement pu se résoudre à abandonner ses personnages en les ayant une fois encore séparés. Néanmoins, pour que Zam revienne à Dodola, il lui faut passer par un examen de conscience difficile mais nécessaire.
Le choix de traiter ce passage sans image interpèle : est-ce vraiment une décision qui s'est imposée à l'auteur ? Un défi narratif ? Une forme d'impuissance à montrer son héros sur le point de suicider et se raviser in extremis ?
Cela donne en tout cas un tour de force et, surtout, un texte puissant, très évocateur, éloquent, qui trouve son point culminant dans son épilogue. Après une bataille, le Prophète déclara à ses compagnons : "nous sommes revenus du petit djihad pour passer au grand djihad. (...) Le combat contre soi-même."
De la même manière, c'est en remportant lui-même ce combat contre lui-même que Zam renonce à se tuer et à repartir... Jusqu'à Dodola. 
*
9. Respire.
Seule, Dodola se souvient comment son mari, le scribe, l'avait apprivoisée en lui racontant l'histoire de la vie de Jésus, lui apprenant ainsi le goût des récits.
En ville, elle achète un encrier et, de retour à l'appartement, commence à son tour à écrire, recensant les prophètes, jusqu'à ce qu'elle s'endorme, épuisée. Zam revient vers elle, apaisé après avoir marché et médité dans le désert. Ils s'étreignent et connaissent le plaisir.
Le chantier de l'immeuble où ils habitent reprend et ils doivent partir, choisissant de quitter la ville. Zam négocie l'acquisition d'un canôt pneumatique tandis que Dodola achète à un marchand une fillette esclave. 

Le récit d'Habibi est lié à l'art même de raconter des histoires, et particulièrement celles des prophètes. Les Hadiths en recensent 124 000, de Noé à Salomon en passant par Adam, Abraham, Job, Moïse, Jésus, Mohammed. La généalogie de Mohammed est traçable jusqu'à Ismaël et celle de Jésus jusqu'à Isaac. 
Ni Ismaël ni Isaac ne furent sacrifiés : à la place, l'archange Gabriel amena un bélier pour qu'il soit présenté en offrande et égorgé. Cette permanence du motif sacrificiel et son aspect violent définissent la crudité, la cruauté, extrèmes des textes sacrés, illustrant le calvaire que doivent endurer les hommes sur terre pour survivre (le prix à payer pour leur faute originelle si on est croyant). C'est cela aussi qu'on traversé Dodola et Zam : un lot d'épreuves atroces, morales et physiques, spirituelles et afectives. Et finalement lorsqu'ils se retrouvent et décident de quitter la ville, c'est logiquement en direction du désert qu'ils vont, le désert domaine de Dieu mais aussi l'endroit où ils trouvèrent refuge pendant si longtemps, où ils furent épargnés de la barbarie des hommes (et plus près l'un de l'autre, et de Dieu).
Ils y repartent en emmenant, comme un symbole, une fillette vendue par un marchand, qui doit avoir l'âge qu'avait Dodola quand elle fut vendue à son mari, le scribe, et Zam, quand il fut abandonné par sa mère à Dodola.
La boucle est bouclée, et la circularité du récit lui confère une forme d'aboutissement, à la mesure de son ambition et de la maîtrise avec laquelle l'a mené Craig Thompson.
*
"Habibi" signifie "mon bien-aimé" : c'est l'adresse la plus évidente de ce que ressent Dodola pour Zam, comme une mère pour son enfant, puis à la fin de l'histoire, c'est que ressent Zam, devenu adulte, pour la femme, Dodola, qu'il aime, non plus comme un fils adoptif mais comme un homme (même s'il est devenu eunuque). Mais l'amour chez Craig Thompson n'est jamais facile, ni à définir, ni à vivre, et c'est le fond de cette fresque démesurée avec ces presque 700 pages, son foisonnement de péripéties, son emphase feuilletonesque.
Toute l'entreprise semble vouée à rendre plus réels, réalistes, des personnages initialement plus proches de figures légendaires : Dodola est une variation de Shéhérazade ; Zam d'Ismaël (fils d'Abraham) et de Cham (fils de Noé) ; leur couple réinvente celui du roi Salomon et de la reine de Saba, Bilqîs ; leur arrachement au désert (le domaine de Dieu) ressemble à l'expulsion d'Adam et Eve du Paradis ; et le bâteau échoué dans les sables évoque évidemment l'arche de Noé.
L'idylle de Dodola et Zam apparaît comme un mirage semblable aux visions créées par la chaleur du désert, un rêve impossible. Elle se brise une première fois dans une scène traumatisante (le viol de Dodola par un caravanier semblable à un vilain de Robert Crumb et qui hantera Zam), à laquelle Thompson reviendra dans de nombreuses pages. Zam a échoué à sauver Dodola, qui finira par être enlevée pour devenir courtisane dans un harem, et ce ravissement acquiert un double sens (la disparition de Dodola mais aussi un cauchemar récurrent pour Zam).
Le Sultan de Wanatolie est représenté comme le roi Shahryar des Contes des 1001 Nuits revu et corrigé par Mad Magazine, un bouffon enturbanné et obsédé sexuel, personnage à la fois grotesque et cruel. La Wanatolie elle-même est une synthèse de clichés orientaux avec son souk, son marché aux esclaves, son harem, ses femmes au bain. Ses habitants sont des archétypes : concubines dénudées et offertes, colosses eunuques à la peau noire, opiomanes, serviteurs zélés. 
Une grande partie des dessins de Thompson sont des citations explicites des peintures du XIXème siècle de Jean-Léon Gérôme. Tout cela nous rappelle en permanence que l'histoire est une affabulation, Thompson ne prétend pas au réalisme. En tant qu'illustrateur, il est en fait dans une situation similaire à Zam : tous deux sont prisonniers de leurs fantasmes, apparemment incapables de penser à Dodola sans l'idéaliser et l'érotiser (elle est souvent montré nue alors que les hommes le sont rarement et jamais de manière flatteuse). Tourmenté par sa libido, Zam se punit d'une manière définitive et extraordinaire, alors que Thompson, lui, s'abandonne à son art, comme grisé par la représentation de cet Orient fabuleux, de son héroïne magnifique, de ces enluminures complexes, de la calligraphie arabe. En cela, il se démarque totalement du réalisme sec d'un Joe Sacco ou de la simplicité d'une Marjane Satrapi, étalant sans forfanterie mais avec un plaisir décomplexé sa virtuosité technique au service de cet exotisme de carte postale. 
Cette exubérance contraste avec la dureté des situations traversées par les héros, à qui rien n'est épargné. Dans son précédent ouvrage, Blankets, qui était une histoire semi-autobiographique située dans une famille de chrétiens fondamentalistes du Wisconsin, Thompson se livrait à une introspection romantique, et cette fois, avec Habibi, il s'aventure en territoire étranger, aussi bien culturellement que géographiquement(explorant le Coran, se déplaçant en Afrique). Blankets était un livre "de l'intérieur", auto-centré, là où Habibi est un livre "de l'extérieur", excentré.
L'Islam, dans le monde fictif d'Habibi, existe comme une collection d'histoires (celles que Dodola raconte à zam), le récit fait se succéder plusieurs extraits du Coran, des variations mystiques impliquant aussi bien une tortue géante qu'un talisman avec des inscriptions et des combinaisons de chiffres.

"J'ai eu plaisir à penser l'orientalisme comme un genre semblable aux cowboys et aux indiens - il n'y a pas de représentation précise, unique de l'Ouest américain, il s'agit aussi de contes de fées." - Craig Thompson.

Habibi s'articule donc autour de trois composantes.

- 1/ La calligraphie et les enluminures islamiques : le premier mari de Dodola est un scribe qui l'initie à l'écriture et la beauté de la calligraphie. De la même manière, Thompson s'exerce et nous montre le caractère à la fois esthétique et symbolique de ces arts en explorant les formes de l'art islamique, le détail des enluminures, qui obligent le lecteur à s'attarder sur l'image autant que le texte traité comme un dessin à part entière.
   
- 2/ Les illustrations des sourates du Coran et des Haddiths : Thompson explore aussi l'Histoire et les histoires de la culture islamique en s'appuyant sur une documentation très riche (comme en témoignent les notes reproduites à la fin de son ouvrage). Les Haddiths sont les rapports sur les choix et actions du prophète Mohammed durant son existence. Les sourates du Coran sont les chapitres du livre sacré. Le mysticisme pré-coranique est également convoqué, de même que des légendes extrème-orientales.
L'auteur se sert de ce matériel pour critiquer l'islamophobie américaine, à l'origine de son projet, où les actes d'une minorité extrémiste étaient considérés comme représentatifs d'une foi entière. Thompson démontre que les religions sont étroitement liés dans la structure même de leurs écrits sacrés, mais c'est surtout l'interprétation qu'on fait de ces textes qui distinguent les croyants. Comment, autrement dit, autant de catholiques et de juifs peuvent-ils encore être si hostiles aux musulmans (et inversement) alors que leurs religions partagent tant de traits ?
Quand il évoque le choix qu'a dû faire Abraham pour sacrifier un de ses fils (avant de révèler à la toute fin le fin mot de cette histoire), l'auteur pointe habilement comment d'une même histoire on a pu tirer des versions différentes alors que la base est identique. 
Pour Thompson, Islam et chrétienté sont interconnectés, et cela lui permet de les considérer avec objectivité, sans idulgence ni condescendance. 
  
- 3/ L'histoire d'amour entre Dodola et Zam : cette romance tumultueuse est décrite de manière à la fois romanesque, romantique et triviale. Surtout, au long des presque 700 pages du livre, elle évolue avec ses acteurs et l'amour prend donc plusieurs formes successives : mère et fils, frère et soeur, amis, amants, partenaires... Dodola et Zam seront tout cela à la fois et au fur et à mesure.
L'asservissement des femmes et des hommes dans cet Orient à la fois irréel et cruel fait écho à celui des pauvres par les riches, du Sud par le Nord, des bidonvilles par la ville.
La sexualité de Dodola en fait une créature à la fois tragique et pragmatique : qu'elle subisse les assauts des hommes ou qu'elle use de ses charmes pour les manipuler rend impossible tout jugement définitif à son sujet, on souffre pour elle mais on savoure aussi quand elle reprend l'avantage - toutefois, l'honnêteté veut qu'on la plaigne plus qu'autre chose car elle est rarement en position de supériorité, et quand elle l'est, ce n'est jamais sans avoir fait de sacrifices.
Il en va de même pour Zam, petit garçon abandonné à deux reprises, mutilé, tout prêt de perdre sa "bien-aimée" quand ils sont enfin libres, voulant se suicider quand il comprend qu'il ne pourra lui donner ce qu'elle désire, puis apprenant à redonner du plaisir, différemment, et enfin repartant avec sa compagne dans ce désert à la fois inhumain et refuge.
Une image séquentielle (à la façon de Will Eisner dont Thompson est un héritier inspiré -peut-être le plus légitime avec Posy Simmonds) résume parfaitement la relation de Dodola et Zam quand celui-ci, adulte, l'enlace. Hier, enfant chétif et craintif lové dans les bras de cette mère d'adoption, de cette grande soeur aimée-désirée comme une femme, il est aujourd'hui devenu un colosse si grand et puissant qu'il est capable de protéger sa partenaire. Dans le même temps, Dodola continue, dans son rêve, de serrer contre elle le petit Zam qu'elle avait récupéré autrefois.

La représentation de l'Orient et les choix narratifs de Thompson ont suscité la polémique auprès de certains qui n'ont pas apprécié et son interprétation de ce monde et sa culture et le fait même qu'un catholique blanc américain ose en parler.
Face à ces esprits chagrins, l'auteur a reçu deux soutiens de poids : le scénariste-dessinateur Eddie Campbell (à qui l'on doit les illustrations de From Hell d'Alan Moore) et la danseuse-chorégraphe spécialiste du folklore arabe Leela Cormal :

"L'intérêt d'Habibi repose davantage dans sa construction narrative, ses diversions visuelles, ses digressions, et ses éléments en filigrane, que dans sa description socio-politique du pays imaginaire moyen-oriental (la Wanatolie) où se situe l'action" a déclaré Campbell, avant d'ajouter : "tout est dans un espace d'idée, à la manière d'Alan Moore qui dit qu'une chose et son contraire peuvent exister dans une juxtaposition immédiate."

Cormal, elle, a félicité Thompson pour sa "description juste du harem comme symbole de la société ottomane, avec son architecture sociale, et le fait qu'il s'agisse littéralement du "quartier des femmes", le lieu des concubines, des servantes. Elles étaient effectivement vendues dans tout l'empire comme les africaines et les eunuques. (...) Il est difficile de représenter une culture étrangère, mais c'est important d'essayer."

Thompson est à l'évidence bien intentionné, il ambitionne de montrer les liens existant entre le Coran et l'Ancien Testament, et pour cela il n'hésite pas à effectuer des bonds narratifs audacieux, produisant une oeuvre dont le volume et le flot sont hors normes, parfois excessifs. Mais à qui s'y abandonne, le livre procure un voyage, presqu'un trip voluptueux, vertigineux, dont on sort à la fois essoré et repu. 

vendredi 6 avril 2012

LUMIERE SUR... STEVE EPTING


Steve Epting
Batgirl

Black Widow (portrait)

Black Widow

Dr Strange

Elektra
Iron Fist

Lady Sin (El Cazador)

The Man with no name

The Night Nurse

Rocketeer 
Scarlet Witch

Scarlet Witch (portrait)

Kitty Pryde & Lockeed

Wolverine
Emma Frost

Mystique

Sharon Carter & Captain America
(Captain America #20 cover prelim)

Naissance aux Etats-Unis.
Dessinateur, encreur, cover-artist, peintre.

Le site de l'artiste : http://www.steveepting.blogspot.com/

mercredi 4 avril 2012

Critiques 318 : REVUES VF AVRIL 2012

 Avengers 4 :

- Thor 4-5 : Le germe cosmique (4-5). Odin embarque ses meilleurs guerriers dans un combat spatial contre Galactus convoîtant le coeur de l'arbre-monde. Thor et le Surfeur d'Argent ne retiennent pas leurs coups, ni le père des dieux et le dévoreur de monde. Cependant, sur Terre, Loki négocie avec les Folles du Désert pour justement récupérer le coeur d'Yggdrasil caché dans l'armure du Destructeur, et Volstagg se prépare à l'arrivée des habitants de Broxton dont le pasteur réclame le départ des asgardiens...

Matt Fraction appuie enfin sur l'accélérateur dans ses deux épisodes où l'action et le grand spectacle dominent : l'affrontement entre Odin et Galactus ne manque pas d'envergure et le duel Thor-Surfeur possède un punch qui fait plaisir à voir. En outre, on comprend pourquoi Loki a volé une mêche de cheveu de Sif, tout comme on devine pourquoi le pasteur de Broxton est mêlé à la situation. Cela aura pris du temps, mais les fils de l'intrigue se nouent et on peut attendre plus sereinement un final à la hauteur.

Olivier Coipel semble aussi soulagé que le lecteur et lâche les chevaux en livrant des pages titanesques, qu'il s'agisse de figurer la bagarre mentale entre Odin et Galactus (représenté dans toute sa démesure), ou de mettre en scène l'empoignade enragée entre le dieu du tonnerre et le héraut du dévoreur de mondes. Une énergie formidable traverse ses vignettes (certes toujours peu pourvues au niveau des décors).
A noter que cinq planches de l'épisode 5 ont été dessinées par Koi Pham, sans doute appelé pour permettre de tenir les délais : ce n'est pas choquant, même si la différence avec Coipel reste sensible...
*
- Les Jeunes Vengeurs 4 : La croisade des enfants (4) + Interlude. Wiccan s'est introduit chez Fatalis et est entré en contact avec Wanda Maximoff, qui semble avoir perdu la mémoire. Mais dehors, ses camarades s'apprêtent, en compagnie des Vengeurs qui ont suivi jusqu'en Latvérie Wonder Man, à donner l'assaut - et Wolverine attend le moment propice pour venger les mutants...
En attendant d'en savoir plus, un intermède ramène aux origines des Jeunes Vengeurs, quand Iron Lad (le futur Kang) les a réunis. Mais tout n'était-il pas déjà écrit, y compris les évènements de la croisade des enfants ?

Allan Heinberg continue de faire avancer son récit sur un rythme mollasson, plus par saccades qu'avec la fluidité du feuilleton qu'il ambitionne. Si dans l'épisode 4, il ne s'en sort pas mal, avec une concentration de personnages suggérant un dénouement imminent (quoique, ne nous affolons pas, tout ça ne prendra que fin au 9ème épisode !), le one-shot est calamiteux, compliquant encore plus une histoire déjà passablement lourdingue, avec des situations et des dialogues qui ne sont pas exempts de mauvais goût (Wiccan, qui est homosexuel, est décrit comme un ado sautant sur la moindre occasion de galocher n'importe lequel de ses partenaires...).

Aux dessins, Jim Cheung soigne son ouvrage, mais il n'empêche que c'est toujours aussi peu expressif et dynamique, avec un usage des doubles pages qui confine au remplissage évident.
Alan Davis joue les fill-in de luxe pour le one-shot : visiblement peu inspiré, il ne force pas son talent, même si ses planches sont supérieures à la moyenne. Mais bon, on a hâte de le voir sur un projet plus conforme à son rang (ce sera certainement le cas avec le prochain arc de Captain America).
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Bilan : "Avengers" se hisse sans effort au top des publications du mois, même si Young Avengers est en deça de Thor où Fraction se réveille et Coipel se déchaîne.
 Marvel Heroes 15 :

- Les Vengeurs 17 : Fear Itself (5). La tour des Vengeurs est tombée lorsque Sin, la fille de Crâne Rouge devenue le bras droit du Serpent, apparaît au milieu des ruines, sous les yeux de Ms Marvel, Hawkeye, Spider-Woman et Protector. Les Nouveaux Vengeurs se joignent à la bataille, mais ne serait-ce pas une diversion de leur ennemie ?

Brian Bendis, qui n'est pas aux commandes de Fear Itself, semble ici un peu à court de souffle pour coller aux évènements de la saga et nous livre une énième bataille dans lesquelles Vengeurs et Nouveaux Vengeurs s'unissent. De manière plus discrète, le scénariste souligne le point de vue d'un protagoniste pour évoquer la situation : cette fois, c'est au tour de Protector, le fils de Captain Marvel, de témoigner, mais le procédé finit par tourner en rond et n'offre pas beaucoup d'intérêt par rapport aux fois précédentes.
On touche avec cet épisode les limites des tie-in, ces épisodes annexés de force à un event, et qui oblige des titres à suivre une marche qui n'est pas la leur.

John Romita Jr, pour son dernier épisode sur la série, livre une prestation très décevante (sentiment renforcé par l'encrage en dessous de tout de Klaus Janson) : le résultat est très "rushé", manquant singulièrement de punch (étonnant pour un artiste expert dans ce registre). On aurait aimé une sortie plus glorieuse, mais il faut avouer que JR Jr n'a jamais vraiment trouvé la bonne carburation sur Avengers.
*
- L'Académie des Vengeurs 14 + 14.1 : En cas de sinistre + Quelqu'un comme nous. Double ration mais cette série me tombe des mains : après en avoir lu à nouveau quelques pages, je suis toujours aussi atterré par la fausseté des dialogues, de la caractérisation, la molesse de l'intrigue... Marvel a-t-il jamais produit une bonne série avec de jeunes héros (depuis les Nouveaux Mutants de Claremont et, dans la marge, Runaways de Brian K. Vaughan) ?
Et puis 40 pages dessinées par Sean Chen, c'est au-dessus de mes forces. Donc je zappe.
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- Loki (Journey into Mystery) 627 + 628 : Interlude + Voyage dans l'inconnu (6). Mephisto descend sur Terre et s'arrête dans un bar pour faire le point avec le serveur (une légende dit que si ce dernier l'écoute jusqu'au bout, il a droit à l'immortalité) sur les évènements de Fear Itself. Pour couvrir ses arrières, le diable adressera une missive à Asgard et au Serpent.
Puis Loki s'introduit dans la forteresse du Serpent avec les Dises (les valkyries maudites d'Asgard), Tyr, Leah et le Destructeur...

Là aussi, la série, jusqu'à présent excellente, subit un coup d'arrêt : le départ du duo Doug Braithwaite-Ulises Arreola au dessin est déjà un sérieux manque à gagner que ne comble ni le moyen Richard Elson, encore moins l'affreux Whilce Portacio.

Mais Kieron Gillen est également moins inspiré, même s'il s'en sort mieux et réussit à maintenir l'intérêt. Tout un épisode avec Mephisto, c'est sans doute trop, mais Loki passe enfin à l'attaque avec son "gang" dans le repaire du Serpent et c'est prometteur. Hélas ! Panini a coupé le deuxième épisode du mois en deux : que cette pratique est horripilante !
*
Bilan : un petit cru - Avengers pique du nez, Avengers Academy est affligeant, même Loki est en mode mineur. Souhaitons que le mois prochain relève le niveau (le sommaire le promet).   
Marvel Icons 15 :

- Les Nouveaux Vengeurs 16 : Fear Itself (3) + 16.1 : Osborn, le retour ! Dans un premier temps, nous assistons à l'intervention de Daredevil en plein coeur de New York contre les forces déchaînées par Sin et le Serpent. Il va prêter main forte à Squirrel Girl, la nounou de Luke Cage et Jessica Jones, au manoir des Vengeurs assiégés par les robots géants de la fille de Crâne Rouge...
Dans un second temps, après la fin des évènements de Fear Itself, les New Avengers sont envoyés à la prison du Raft pour convoyer Norman Osborn devant la cour pénale internationale. Mais la mission ne va pas se dérouler comme prévu...

New Avengers est une dernière fois annexé à Fear Itself, ce qui soulagera le fan. Néanmoins, il faut reconnaître que ce tie-in est remarquable à plusieurs titres. D'abord, il démarre avec l'habituelle séquence de témoignages où plusieurs héros s'interrogent sur les qualités requises pour être un Vengeur  avec des dialogues excellents. Ensuite Daredevil (qu'on n'attendait guère dans une saga de cet ampleur) fait une fracassante entrée en scène : pour ceux qui suivent la série depuis ses tout débuts, on se rappellera que Brian Bendis avait failli faire du justicier un des membres fondateurs de l'équipe (mais le personnage était alors au coeur de la tourmente dans son propre titre et le scénariste avait tenu à développer cette intrigue). Enfin, le tout est mené sur un rythme enlevé, avec beaucoup d'action.

Mike Deodato livre de superbes planches où l'influence de Gene Colan plane (ce qui est un bel hommage à un des dessinateurs emblématiques de DD).

L'épisode ".1" sert d'introduction aux prochaines aventures de l'équipe en ramenant Norman Osborn dans l'arêne. A mon humble avis, on peut comprendre ce qui suivra sans l'avoir lu, mais ça se lit vite.

L'attraction de ce numéro est la présence du vétéran Neal Adams au dessin : contrairement à Chaykin (autre idole de Bendis invité sur la série), l'artiste fournit un travail honnête, quoique loin de ses grandes heures - avec même quelques erreurs au niveau des costumes, et un découpage inutilement tarabiscoté.
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- Iron Man 508 : Fear Itself (5).

On zappe (comme d'habitude).
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- La Fondation du Futur 6-7 : Deux rois (2) - La source de Supremor. Flêche Noire, que son peuple croyait mort après avoir affronté Vulcan, resurgit et lègue son trône à Ronan l'accusateur (qui a complôté dans le passé avec l'Intelligence Suprême Kree, à l'origine de la création des Inhumains). Le régent s'apprête en effet à renouer avec les Inhumains Universels sur le pied de guerre avec les quatre cités... (Vous n'avez pas tout compris ? Rassurez-vous, moi non plus !)

Jonathan Hickman continue dans ses délires fatiguants en liant la série au crossover cosmique War of Kings (de Dan Abnett et Andy Lanning, paru dans la revue "Marvel Universe"). Ne cherchez pas les FF, ils sont absents de cet épisode et demi entièrement consacrés aux Inhumains. Si vous n'avez pas lu WoK comme moi, c'est évidemment difficile (voire impossible) de comprendre ce qui se passe - déjà que ce n'est pas simple habituellement...
A dire vrai, ce n'est pas tant de l'ennui que de l'indifférence que produit Hickman, trop occupé à broder un feuilleton interminable, aux ramifications capillotractées, et à l'ambition boursouflée, plutôt que raconter une histoire plus simple, efficace et tonique.

Greg Tocchini dessine ça à la vas-y-comme-je-te-pousse, dans un style dont on se demande s'il est vraiment étudié ou bâclé. En même temps, on s'en fiche. Que Panini continue de doubler les épisodes mensuels de cette série : plus vite ça sera terminé, mieux ce sera, en espérant que le remplaçant d'Hickman renouera avec quelque chose de plus digeste.
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Bilan : pas terrible honnêtement - seule la double ration de NA fait passer la pilule. Cette revue est devenue l'ombre d'elle-même avec son sommaire bancale et deux séries sur trois imbuvables.
Marvel Stars 15 :

- Les Vengeurs Secrets 17 : Bête-box. Un camion fou tue tous ceux qui croisent sa route dans l'ex-Yougoslavie. L'affaire attire l'attention des Vengeurs Secrets et Steve Rogers, avec Sharon Carter, War Machine et Valkyrie, se rend sur place...

Il n'y a pas grand'chose à dire sur cet épisode, le 2ème de son court run, écrit par Warren Ellis (pour une pige de 6 "issues") sinon qu'on peut y reconnaître sa lubie pour les délires technologiques et les héros forts en gueule. Mais le scénariste de Planetary est littéralement en roue libre... Heureusement, il se reprendra par la suite.

Pour parachever ce ratage, les dessins ont été confiés à Kev Walker, qui fait encore moins d'efforts que d'habitude. Non, il n'y a rien à sauver dans cet épisode.

Allez, zappons vite !
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- Hulk 39-40 : Omegex (1-2). Le général Ross avait, au début de sa "carrière" de Hulk rouge, quand il était déterminé à tuer Bruce Banner et tous ceux qui lui barreraient la route, flaqué une dérouillée au Gardien Uatu. Le grand chauve, qui pourtant n'interfère jamais dans les affaires humaines, lui en a pourtant gardé rancune au point d'inciter Omegex, un destructeur cosmique, à liquider le colosse écarlate. Pour ne rien arranger, le général Fortean (qui croit Rhulk responsable de la mort de Ross) se mêle à ce pugilat...

Jeff Parker avait introduit la menace Omegex dans les épisodes précédents et ce n'était qu'une affaire de (peu de) temps avant qu'on assiste à un affrontement homérique entre Rhulk et cette créature cosmique prête à détruire la terre pour terrasser son adversaire désigné. Autant dire que le général Ross, de retour dans la maison où il a grandi, n'a guère le temps d'être nostalgique avant de devoir répondre à cette attaque...
Le scénario continue de creuser les conséquences des méfaits commis par le héros avant qu'il ne devienne un "good guy" tout en privilégiant l'action : un cocktail que maîtrise parfaitement l'auteur (et qui connaîtra son dénouement le mois prochain puisque Panini a encore coupé le 2ème épisode en deux !).

Gabriel Hardman illustre ça avec beaucoup d'énergie, utilisant un découpage impeccablement dynamique. L'artiste se prépare à quitter le titre, après cet arc, auquel il aura donné un style racé et élégant.
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- Thunderbolts 161-162 : Peur sur la ville - Chicago à feu et à sang ! Les T-Bolts, séparés et groggys après que le Fléau soit devenu un des Dignes du Serpent, doivent faire face à une attaque du Baron Zemo, furieux d'avoir été doublé par Sin, la fille de Crâne Rouge, alliée au Serpent. Entre une invasion de monstres à Chicago à juguler et des trahisons au coeur du chaos, la situation est pour le moins explosive...

Double ration ce mois-ci pour ces épisodes liés à Fear Itself, même s'ils sont accessibles sans avoir vraiment suivi l'event : Jeff Parker est décidemment en verve puisque comme avec Hulk il emballe son récit avec un entrain irrésistible. Sa gestion du casting, de la dynamique deu groupe, de l'inflation des menaces, et du grand spectacle sont autant d'atouts à ces chapitres.

Au dessin, Declan Shalvey, assisté de Valentine De Landro sur le 2ème volet, assure avec brio la partie : même si l'ensemble n'est pas très sophistiqué, le découpage est d'une efficacité irréprochable et le trait est autrement plus agrèable que lorsque Kev Walker est aux commandes.
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Bilan : jubilatoire - entre Hulk et les T-Bolts, les amateurs de baston seront servis. C'est presqu'un spécial Jeff Parker que ce numéro, mais quand ce scénariste tient une telle forme, on savoure !