jeudi 3 mars 2022

X-MEN 9, de Gerry Duggan et Carlos Villa


Vous le savez si vous lisez mes critiques sur les X-Men de Gerry Duggan, mais le moins qu'on puisse dire est que j'étais vraiment pas convaincu par la prestation du scénariste sur la série. Pourtant, contre toute attente, voilà qu'il produit son meilleur épisode. Et de loin ! Comme si soudain il avait réussi à conjuguer les ambitions du titre, que lui a légué Jonathan Hickman, avec le meilleur de son écriture à lui. Et même si ni Pepe Larraz ni Javier Pina ne dessinent, Carlos Villa livre lui aussi des planches impeccables.


Krakoa. Le Professeur X réunit le conseil pour débattre de représailles plus sévères contre Orchis, entendu que leur adversaire sait maintenant pour leur protocole de résurrection et mène l'assaut sous plusieurs fronts. Le vote qui suit décide pourtant d'un statu quo.


Le Dr. Stasis en compagnie de Abigail Brand a pris des notes sur l'attaque récente de MODOK et est intéressé par ses travaux sur le cerveau humain. Nimrod et Stasis organisent l'évasion de MODOK détenu dans la Zone 51 et lui offre d'intégrer Orchis.


Oblitus (ex-Knowhere). Malicia et Gambit rencontrent Cosmo pour obtenir des informations au sujet du Gameworld de Cordyceps Jones. Mais Destinée est déjà là. Alors qu'ils interrogent des clients du bar, une bagarre éclate.


Arakko. Tornade a convoqué le Grand Cercle pour discuter du sort de Sanguinaria la Forêt, toujours prisonnière dans l'Outremonde depuis le tournoi organisé par Opal-Luna Saturnyne. Tornade obtient que la situation persiste. Puis elle rejoint Sunfire qui a trouvé un moyen de contacter Sanguinaria...

Alors, bien entendu, on ne va pas se réjouir trop vite et penser que désormais X-Men va rouler à la perfection et nous éblouir mois après mois. Mais quand même, il est vraiment bon ce neuvième épisode, et il serait ingrat de ne pas le reconnaître et d'espérer des lendemains meilleurs.

Gerry Duggan aura mis du temps mais pour la première fois depuis le début de son run sur la série, il arrive à concilier les ambitions propres au titre-phare de la franchise mutante sans renier sa propre personnalité. En vérité, il fait tout simplement du bon boulot, rigoureux, appliqué, efficace, drôle et dramatique à la fois.

L'épisode s'ouvre comme un programme de ce qu'il va proposer avec une page en trois bandes, chacune montrant un personnage en gros plan dans un lieu précis. Le premier commence une phrase que le deuxième poursuit et le troisième achève pour former un constat : la guerre est déclarée et il faut réagir. Bien que Gerry Duggan a dû écrire son script depuis un moment, on ne pourra qu'être troublé par la résonance du thème avec l'actualité en Ukraine et en Russie. 

On assiste à deux votes dans cet épisode : le Pr. X soumet au conseil de Krakoa des mesures de représailles contre Orchis et essuie un revers à cause des "non" et des abstentions cumulés. Tornade veut savoir si le Grand Cercle de Arakko souhaite intervenir dans l'Outremonde où est restée coincée Sanguinaria (= Red Root) la Forêt (depuis X of Swords). Grâce à une habile manoeuvre, Tornade obtient le statu quo, même si on verra à la fin que Sunfire (désormais établi sur Arakko, et donc, suppose-t-on, en retrait de l'équipe des X-Men) a trouvé un moyen pour communiquer avec la détenue.

Duggan s'empare pour la première fois de la dimension politique de la série, telle que l'ont exploitée Hickman et Ewing (dans X-Men et S.W.O.R.D.), et il le fait bien. On mesure à quel point la configuration du conseil de Krakoa a changé depuis la fin de Inferno (avec les présences de Destinée et de Colossus, et on devine que Magneto ne va plus le supporter longtemps - d'où sa présence au générique de la future série X-Men : Red de Ewing ?). En revanche, Tornade fait preuve d'une adresse stratégique épatante contre les Arakki belliqueux (notamment Tarn), même si, là aussi, l'avenir risque d'être compliqué pour elle (avec l'arrivée sur Mars de Vulcain ou Sunspot).

L'épisode est dense et offre un enchaînement de scènes rapides et bien remplies. Exemple avec celles où le Dr. Stasis et Nimrod décident de libérer MODOK puis lui proposent de rejoindre les rangs d'Orchis. La présence dans la première scène d'Abigail Brand vient rappeler avec à-propos qu'elle a changé de camp à l'issue du dernier épisode de SWORD, et Duggan a intégré cela naturellement (même s'il ne précise pas si les krakoans sont au courant, sans doute pour laisser à Ewing le soin d'éclaircir lui-même ce point). Un organigramme encore incomplet mentionne les postes occupés par Brand et Stasis puis MODOK au sein d'Orchis et on voit que l'organisation se structure solidement, sans oublier Feilong (qui s'est établi sur Phobos (une des lunes de Mars/Arakko).

Mais, sur le plan de la lecture simple, au premier degré, la séquence la plus réjouissante est celle qui met en scène Malicia, Gambit et Destinée, soient un trio mère-fille-beau-fils. Venus à la pêche aux infos sur Cordyceps Jones (encore une preuve que Duggan rassemble enfin les éléments qu'il a semés depuis des mois), les trois mutants sont pris dans une bagarre car leurs questions indisposent les clients du bar où ils sont descendus dans la station Oblitus (ex-Knowhere). Duggan y fait, là, franchement, entendre sa voix grâce à des dialogues toniques et savoureux, en particulier entre Destinée et Gambit (la première se désolant que Malicia l'ait épousé, le second ironisant sur le fait que Malicia l'ait justement choisi parce que Destinée et Mystique l'ont négligée). C'est très drôle, piquant, mais pas gratuit car en rappelant au bon souvenir du lecteur Cordyceps Jones et son Gameworld, Duggan prépare évidemment une riposte des X-Men contre cet ennemi qui a mis la Terre et les mutants en jeu au début du run de Duggan (malheureusement, ça se jouera sans Gambit qui va être accaparé par Tini Howard et sa série Knights of X).

Pepe Larraz est de nouveau absent, il ne signe que la couverture (qui est plus une vision de cauchemar qu'en rapport avec le contenu de l'épisode). Pas de Javier Pina non plus pour le suppléer. On pouvait alors craindre que Carlos Villa ne soit qu'un pis-aller. Il n'en est rien. Au contraire.

Et c'est assez fou de constater encore une fois qu'un remplaçant de Larraz exécute un excellent boulot. Villa est un artiste sur lequel semble miser Marvel, même si pour l'instant il a surtout travaillé sur des séries qui ont été annulées, comme Black Cat

En tout cas, sa prestation est impeccable. Son trait est expressif, ce qui tombe bien dans un épisode où les émotions des personnages sont nettement marquées. Il est à l'aise dans l'action, comme en témoigne la bagarre dans le bar sur Oblitus, avec un découpage très énergique mais toujours lisible et varié. Il arrive parfaitement dans ce tumulte à ménager des cases qui permettent d'apprécier les dialogues de Duggan. Enfin, il n'a aucun mal à s'approprier un casting fourni (entre le conseil de Krakoa, le Grand Cercle d'Arakko, Stasis, Nimrod, MODOK, les pirates d'Oblitus, Cosmo...).

Marte Gracia, aux couleurs, est le patron graphique de la série. Il assure une cohérence esthétique quel que soit l'artiste, c'est précieux, et surtout la palette qu'il utilise convient parfaitement à chaque scène tout en étant sa griffe, très identifiable.

Vraiment, c'est un plaisir de lire un si bon épisode. J'étais découragé, et, après ça, je suis requinqué. Mais le plus dur reste à faire pour Duggan et compagnie, car maintenant une baisse de niveau serait vue comme un relâchement coupable. Il y a beaucoup de (bonne) matière à exploiter dans ce #9 (Cordyceps Jones, Sanguinaria, MODOK), sans oublier Judgment Day cet été. Le scénariste et ses partenaires ont toutes les cartes en main pour faire quelque chose de grand. A eux de jouer !

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