jeudi 11 novembre 2021

ETERNALS #7, de Kieron Gillen et Esad Ribic


Après quatre mois de pause, la série Eternals fait son grand retour avec un nouvel arc. Kieron Gillen a publié quelques one-shots entre temps (mais je les ai zappés et l'avenir me dira si j'ai eu raison). Il s'agissait surtout de donner du temps à Esad Ribic de souffler et de réaliser des épisodes avec suffisamment d'avance, un privilège rare accordé par Marvel, pour aussi synchroniser le comic book avec la sortie du film de Chloe Zhao (que je n'ai toujours pas vu).
 


Thena, Kingo et Sersi font leur entrée dans Lemuria, la capitale des Déviants pour négocier une trêve dans leur volonté de changer après avoir appris à quel prix ils pouvaient renaître. Le chef des Déviants, Kro, accepte de parlementer avec Sersi, puisque Thena, son ex-maîtresse, a pris un nouvel amant.


Cependant, Ikaris se recueille sur la tombe du jeune Toby Robson, mort pour lui avoir permis de renaître? Il se rend ensuite chez la mère du garçon mais le Valet des Couteaux le prévient : s'il révèle le secret des Eternels, il la tuera. Ikaris préserve la femme qui ne lui pardonne pas la mort de son fils.


Dans les entrailles de la Machine, Druig se cache avec Thanos et conclut un marché avec lui. S'il lui garantit de succèder à Zuras comme Prime Eternel, le titan en fera son bras-droit. Pour accomplir son plan, Druig expose à Thanos la manière avec laquelle il va truquer les élections.


Zuras, las d'attendre les Eternels qui doivent assurer sa réélection, invoque le Grand Esprit. Druig en profite alors pour faire entrer Thanos dans l'équation et corrompre le résultat. Zuras est défait par Thanos qui tue ensuite Druig. Il entend désormais règner sur les Eternels à sa façon.

Il est exceptionnel que Marvel accorde aux auteurs d'une série un tel break (quatre mois) pour réaliser leur nouvel arc narratif. D'habitude, ce genre de privilège est réservé aux productions en creator-owned ou, chez DC, pour une équipe créative que l'éditeur veut particulièrement choyer (comme le tandem James Tynion IV-Alvaro Martinez, qui suspendra jusqu'en Mars la parutuon de The Nice House of the Lake).

Il faut donc croire que Marvel accorde une grande confiance à Kieron Gillen pour avoir laisser Eternals en stand-by depuis Juillet dernier. Entre temps, le scénariste, avec d'autres artistes (Dustin Weaver et Kei Zama) a écrit deux one-shots pour compléter la série - je ne les ai pas lus et donc pas commentés, j'espère ne rien avoir manqué d'important, on verra.

Prévue à l'origine pour être publiée au même moment où le film Les Eternels, de Chloé Zhao, sortirait en salles (ce devait être il y a un an), la série Eternals revient donc alors que le long métrage est enfin à l'affiche (je ne l'ai pas encore vu, mais dès que ce sera fait, j'en tirerai sûrement un article). Enfin, les planètes s'alignent. Même si, apparemment, le comic-book de Gillen n'a pas grand-chose à voir avec ce qu'a adapté Zhao...

Nous avions quitté les Eternels sur une révélation fracassante : à chaque fois que l'un revient à la vie, un humain meurt. Ikaris doit ainsi son retour à un adolescent, Toby Robson, qu'il s'était juré de protéger sans savoir quel lien les unissait. Ce secret enfin percé, Thena, Sersi, Kingo, Phastos, Sprite et Ikaris décident de changer et, pour commencer, de pacifier leurs relations avec leurs ennemis, les Déviants (créés comme eux par les Célestes).

L'épisode débute par des négociations entre Sersi et Kro, le chef des Déviants. Gillen glisse au passage que Kro et Thena ont été amants et s'il choisi de parlementer avec Sersi plutôt qu'avec Thena, c'est parce que cette dernière l'a quitté pour Tolau, un Déviant artiste. Kro et Sersi se ressemblent, ils sont tous deux manipulateurs, flirtent même pour s'amadouer : le lecteur comprend que la trêve va être discutée et disputée.

Puis on suit Ikaris, hanté par le sort du jeune Toby Robson. Un mystérieux personnage, le Valet des Couteaux (il s'agit de ma traduction pour Jack of Knives, j'espère qu'elle est juste), le met en garde : s'il révèle, à quiconque, mais à la mère de Toby en premier, le secret de la résurrection des Eternels, Ikaris portera la responsabilité de la mort de cette humaine, et de tous ceux à qui il répétera ce qu'il a appris. Malgré sa puissance, Ikaris semble craindre le Valet des Couteaux, suffisamment pour obéir à son conseil.

Enfin, la troisième partie de l'épisode, la plus importante, revient à Thanos et Druig. Le titan, transformé en monstre de Frankenstein par Phastos, ce qui l'affaiblit (et ce que sait Druig, qui compte s'en servir le moment venu), complote avec l'Eternel pour prendre la place de Zuras, leur chef. Une élection se prépare et Druig sait comment la truquer, en comptant sur l'absence de plusieurs votants (tels que, justement, Thena, Sersi, Kingo, Phastos, Sprite, Ikaris), lors de l'invocation du Grand Esprit. Le plan de Druig réussit mais Thanos va prouver qu'il n'est pas né de la dernière pluie...

Kieron Gillen imprime un tour plus politique dans ce début de deuxième arc, entre le rapprochement des Eternels et des Déviants d'un côté, et la magouille orchestrée par Druig pour Thanos de l'autre. Au milieu, Ikaris apparaît toujours comme un personnage un peu satellitaire, par sa nature propre mais aussi par ce qu'il vient de traverser. Curieusement, le scénariste ne fait toujours pas apparaître des Eternels emblématiques comme Ajak ou Makkari (bien qu'elles aient été les protagonistes d'un des deux one-shots, Eternals : Celestia), mais j'espère qu'on les verra bientôt. Gilgamesh a également disparu après ses actions remarquées dans le premier acte.

Ce qui pourra déplaire, c'est que Gillen a visiblement des plans sur le long terme pour Thanos. Les fans qui pensaient que le titan serait plus discret après avoir été le grand méchant des trois premières Phases du MCU et de la série des Guardians of the Galaxy en comics vont devoir s'en accommoder ou passer leur chemin. Pour ma part, je ne suis pas gêné car je trouve que Gillen écrit formidablement le personnage et lui donne un vrai rôle, un vrai but, différent du tyran génocidaire.

En revanche, j'ai été plus perplexe par la mise en scène de l'invocation du Grand Esprit car je croyais qu'un seul Eternel, fusse-t-il un Prime Eternel, ne pouvait pas le faire apparaître. Si on se réfère à son nom anglais, l'Uni-Mind, suggère en effet une fusion de plusieurs Eternels qui produit alors le Grand Esprit (par ailleurs leur seul moyen de communiquer avec un Céleste, en dehors de Ajak). Or, ici, Zuras n'a besoin de personne.

Visuellement, ces mois de break auront permis à Esad Ribic de rempiler et c'est une bénédiction car, sans lui, difficile d'adhérer autant à cette histoire à laquelle il donne une densité graphique exceptionnelle. En ce sens, que Marvel ait consenti à suspendre la parution de la série est un geste éditorial d'une grande intelligence car je suis certain que les lecteurs préfèrent attendre Ribic que d'avoir un fill-in artist forcément moins bon et conserver une fréquence mensuelle de sortie.

Ribic est égal à lui-même, très investi dans la série à laquelle il donne des planches formidables. Certes, on pourra pinailler sur sa représentation des Déviants, bien moins repoussants que ceux de John Romita Jr. ou de Jack Kirby (pour qui c'étaient de vrais monstres). Lui en fait plutôt des créatures étranges, mais pas effrayantes ou abominables. Leur morphologie est humanoïde, et seule leur carnation les distingue d'êtres comme les Eternels ou les Terriens. Par ailleurs, Gillen, s'il les décrit comme des êtres barbares, voire primitifs, fait aussi de Tolau un artiste d'un talent indéniable (c'est un sculpteur de génie, sensible et pacifique, souffrant d'anxiété et qui trouve dans sa pratique artistique un beaume apaisant). 

Ceci mis à part, l'épisode est un régal pour les yeux. La technique de Ribic est magnifique, d'une solidité à toute épreuve. Son trait classique prouve qu'il a vraiment appris le dessin académique, ses personnages sont anatomiquement parfaits, et ses décors parfaitement charpentés. En se passant d'encrage, on sent le trait brut et pourtant fin, ciselé. C'est le propre d'un vrai maître (dans la lignée d'un John Buscema, d'un Frank Frazetta).

Le découpage donne toujours beaucoup d'espace pour des compositions à l'équilibre irréprochable, mais aussi pour les couleurs sublimement nuancées de Matt Wilson. Dire que c'est le même qui réalise les couleurs sur Fire Power ! Là encore, quel talent !

C'est, au bout du compte, autant la réunion de ces compétences que la densité narrative et visuelle qui fait de Eternals une réussite majeure de Marvel. A tous points de vue, c'est une série qui sort du lot. 

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