dimanche 1 mars 2020

FOLKLORDS #4, de Matt Kindt et Matt Smith


C'est déjà le pénultième épisode de Folklords et on ne peut pas dire que Matt Kindt ne nous aura pas fait voyager en nous invitant à suivre la quête étrange de Ansel, son héros. Le récit conserve sa part de mystère, mais annonce aussi une conclusion qui devrait éclairer tout le monde sur le sens de cette aventure. A l'image des dessins de Matt Smith, on a envie de se dire qu'il faut se méfier de l'eau qui dort dans cette histoire faussement limpide.


Ansel interroge Vilaine sur son passé et elle lui explique avoir toujours pensé que sa laideur était une malédiction. A ce titre, elle était donc aussi convaincu qu'il existait un remède. Vilaine a d'abord misé sur une solution romantique, en vain.


Arrivée à l'âge adulte, il était devenu évident qu'elle devait changer de stratégie ou d'existence. Elle a alors décidé d'assumer sa condition et de devenir une aventurière-guerrière, en sillonnant diverses contrées et en bravant mille dangers. Enfin, elle se sentait vivre.


Ansel et Vilaine reprennent leur route en direction de la Bibliothèque des Livres Bannis. Ils croisent à ses abords un chevalier, ancien bibliothécaire, banni, qui leur permet d'accéder au bâtiment tout en les prévenant des dangers qu'il abrite.


Ansel et Vilaine sont ensuite livrés à eux-mêmes et rencontrent un des Bibliothécaires qui leur explique que le bâtiment est pareil à un labyrinthe, où chaque livre est à la fois une entrée et une issue. Ils s'aventurent ainsi dans plusieurs pièces au hasard.


Ansel et Vilaine échouent dans une tranchée où, surprise, se trouvent, parmi d'autres soldats, Archer, l'elfe ami d'Ansel. Mais ailleurs, l'Auteur de cette allégorie, pense qu'il est temps pour lui d'intervenir dans ce récit pour le débrouiller...

Folklords est décidément une bien curieuse mini-série. J'avais d'ailleurs entamé sa lecture en pensant m'engager dans une ongoing tant le potentiel me semblait évident pour une histoire au long cours. Puis j'appris que Matt Kindt allait boucler cette affaire en seulement cinq épisodes.

Cela en dit long sur la manière dont cet auteur réussit à nous balader. On part pour une quête, qui suggère un développement long, puis on découvre que celle-ci sera brève. D'autres indices cryptiques intriguent : le héros, Ansel, évolue dans un cadre de  fantasy avec elfes, trolls et autres chevaliers, mais est vêtu comme un écolier de notre monde. Très vite, il est séparé de son compagnon de voyage, qui semble l'avoir trahi, est fait prisonnier par une épouvantable gamine et son frère dégénéré dans une forêt inquiétante, rencontre une sorte d'ogresse aussi laide que généreuse et courageuse, et enfin les voici dans une bibliothèque de livres bannis, le repaire des fameux folklords, qui sont peut-être des imposteurs.

Tout indique en effet que ces seigneurs du folklore ont bourré le crâne des gens de ces contrées avec des histoires, des superstitions, cruelles, fantasques, pour les maintenir dans un état de servilité. Kindt brosse donc de manière subtile et imprévisible le portrait d'une société bridée par des fabulistes despotiques.

Il dit aussi qu'un jeune garçon, comme étranger à la peur et aux traditions, choisit de percer le secret de ces oppresseurs, devinant que leur pouvoir repose sur des inventions répressives, un contrôle de l'imaginaire. C'est une métaphore étonnante sur la faculté qu'ont les histoires de nous éduquer, de nous brimer, alors que, généralement, on se sert de ce biais pour nous expliquer que les récits nous élèvent, nous permettent de nous évader.

La fiction en tout cas détermine notre identité, sauf si on choisit de ne pas y croire ou de ne pas s'en contenter, parce qu'on en a mesuré la fausseté. C'est ce que raconte le personnage de Vilaine, dont les origines parlent du refus du déterminisme. Née laide, alors que ses parents étaient beaux, et harcelée à l'école, elle pense d'abord que son aspect physique est le résultat d'une malédiction. Il faut la lever et elle croit que la solution passe par des moyens romantiques, dignes des contes. Ses échecs répétés la motivent à abandonner, mais pour mieux se réinventer en aventurière, assumant son apparence, échappant du même coup aux mauvais traitements qu'on lui infligeait.

Cette détermination rejoint celle de Ansel qui, donc, veut faire toute la lumière sur les folklords, malgré les interdits. Quand le duo, improbable mais solidaire et complémentaire, s'engage dans la bibliothèque, ils sont d'abord, brièvement, guidés, par une ancien membre de l'établissement, avant d'être livrés à eux-mêmes, comme, en vérité, ils l'ont toujours été, ce qui les immunise contre la peur. Les voilà errant dans un labyrinthe borgésien où ils passent d'univers en univers, de genre en genre... Jusqu'à l'impasse ?

Les dessins de Matt Smith ont cette redoutable qualité de nous prendre par la main pour nous rassurer et, le moment venu, mieux nous perdre. Tout est à la fois clair et nébuleux dans ce trait limpide, simple, ce découpage fluide, mais dont la trajectoire est déroutante, vertigineuse.

Smith excelle à rendre le flou artistique, l'évident mystérieux, le symbole cryptique, le rebondissement inattendu. On nage en pleine illusion tout en se déplaçant, avec Ansel et Vilaine, comme en plein jour, certains du trajet à suivre. Au détour d'une case, un élément nous indique pourtant le fantastique d'un décor (quand on voit Vilaine, dans le passé, affrontant un monstre). Mais pourtant on avance, on progresse... Tout en sachant qu'on se fait mener par le bout du nez.

A l'ultime page, nous voici plongés dans les ténèbres, en compagnie d'un homme, dont l'apparence détone totalement avec ce qui a précédé. On devine à son propos qu'il est l'Auteur de cette histoire (un double de Kindt ?), truffé de métaphores, visant l'allégorie, et le comic-book vire au méta-texte sur les comics, les contes. Plusieurs fois auparavant, notamment quand Ansel rêvait, on avait un aperçu d'une réalité parallèle semblable à la notre, qui suggérait une mise en abyme entre le monde de Folklords et celui d'un narrateur qui semblait en dérouler le récit progressivement, en le murmurant à l'oreille du héros.

Désormais, cet Auteur décide d'intervenir dans l'histoire. Qu'est-ce que cela nous réserve ? Sûrement un final excitant et imprévisible, qui a de quoi transformer cette mini-série en grande fable et bouleversante révélation sur l'identité d'Ansel. Rendez-vous dans un mois pour découvrir le fin mot de cette affaire. 

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