lundi 22 janvier 2018

BATMAN - THE DARK PRINCE CHARMING, BOOK 1, de Enrico Marini


Depuis sa sortie en Novembre dernier, cet album a fait couler beaucoup d'encre, s'attirant des critiques tièdes mais s'offrant un beau succès de librairie. DC Comics et Dargaud unissent leurs forces pour produire un projet hybride et séduisant : réaliser une aventure de Batman, écrite et dessinée par Enrico Marini, l'artiste de la série Le Scorpion (écrite par Desberg) ou des Aigles de Rome. L'auteur italo-suisse a mis de côté ses projets pour concevoir ce qui sera un diptyque (le tome 2 est prévu pour Juin prochain). Voyons si ses efforts sont payants.


Une nuit ordinaire à Gotham City... Le Joker vient de commettre un vol de bijoux avec son gang et a grillé par-là même la politesse à Catwoman. Celle-ci les prend à chasse pour récupérer ce qu'elle convoitait mais que son concurrent destine à sa bien-aimée, Harley Quinn, pour son 25ème anniversaire.


Batman assiste à la course-poursuite dans les rues de la ville depuis le sommet d'une tour et intervient après que le Joker a tenté de dissuader Catwoman de l'attaquer. Mais lorsque les porte-flingues du clown du crime entreprennent de tuer le justicier, leur boss les exécute pour garder ce privilège. Distrait cependant, le Joker perd le contrôle de son fourgon qui plonge du Gotham Bridge dans la rivière qui traverse la ville.
  

Catwoman dit adieu à "ses" bijoux et s'éloigne tandis que Batman maîtrise les derniers acolytes du Joker. Puis il retrouve le commissaire Jim Gordon sur le toit du commissariat du GCPD où sont interrogés les malfrats, mais aucun ne sait où se cache le Joker.


Tandis qu'il retourne au manoir Wayne, Batman est alerté par son majordome Alfred Pennyworth au sujet d'un bulletin d'info... Pendant ce temps, Harley Quinn, déçue de ne pas recevoir les bijoux que son fiancée lui avait promis, boude devant la télé : le Joker la rejoint en tentant de se faire pardonner lorsqu'il découvre qu'un diamant d'une valeur énorme va prochainement être exposé - ce sera un cadeau de substitution idéal pour sa belle.


Mais pour l'acquérir, il lui faudrait un paquet d'argent et justement une occasion se présente quand il apprend au JT qu'une certaine Mariah Shelley réclame une fortune à Bruce Wayne dont elle prétend qu'il est le père de sa fille, Alina, huit ans. Le clown du crime a l'idée d'un plan qui permettrait de combler Harley Quinn tout en se vengeant de Batman...


Le lendemain, Bruce Wayne reçoit dans son manoir Mariah et sa fille : elle a engagé un ténor du barreau, John Ortega, pour obtenir un test de paternité et une indemnisation. Le playboy milliardaire se désole de ne pouvoir conclure ce litige à l'amiable et lui donne rendez-vous au tribunal. Une fois son invitée partie, Bruce doit essuyer les reproches de Selina Kyle par rapport à son attitude et préfère s'éclipser plutôt que de subir une scène de ménage.
  

Batman est appelé par Gordon sur la scène d'un accident : Ortega a été tué après qu'un fourgon ait percuté sa voiture à l'intérieur de laquelle il véhiculait sa cliente, Mariah, et Alina. La fillette a été enlevée et sa mère hospitalisée. Selon les témoins, le chauffard n'était autre que le Joker.


Le clown du crime séquestre l'enfant avec le projet de réclamer une rançon grâce à laquelle il achètera le diamant mais aussi pour piéger Batman qu'il sait à la recherche de son otage. Effectivement, le chevalier noir traque son ennemi dans les bas-fonds de Gotham, tabassant des voyous pour tenter de leur arracher des renseignements et finissant par s'en prendre à un des alliés du Joker, Killer Croc. Mais celui-ci ne sait rien et Catwoman, observant la scène, s'interroge sur la raison pour laquelle son amant est si enragé.
  

Quel est le reproche le plus souvent adressé à cet album ? Celui d'être frustrant car beaucoup attendaient un récit complet, un recueil avec un début, un milieu et une fin. C'est compréhensible et partagé : en effet, au terme de ces 72 premières pages, Enrico Marini nous laisse sur un cliffhanger agaçant.

Pourtant, ce qui pourrait être une stratégie commerciale de la part de DC et Dargaud (publier deux albums au lieu d'un seul, et donc en tirer deux fois plus de bénéfices) est erronée puisque Marini avait, dès le début, choisi de produire son histoire en deux parties, la charge de travail exigée étant déjà lourde à assumer.

L'artiste ne vole pas ses lecteurs puisqu'il a signé le scénario, les dessins, l'encrage, le lettrage et la colorisation, et le résultat est tout de même enthousiasmant. Contrairement à beaucoup d'auteurs européens qui se frottent aux codes des comics super-héroïques (comme j'en ai parlé récemment avec Red One de Dorison et Dodson par exemple), Marini est un vrai fan qui a joué le jeu à fond en respectant le personnage et le folklore du genre. Vous ne trouverez ici aucune ironie sur les capes et les masques, aucune volonté d'en ricaner : il faut saluer le geste.

Certes l'intrigue n'est guère originale mais elle est bien construite, allant d'un personnage à un autre, synthétisant les ambitions des protagonistes (appréhender le Joker pour Batman, gâter Harley Quinn pour le Joker, poursuivre ses activités illégales tout en restant l'amante de Batman pour Catwoman) autour de cette affaire de kidnapping et de paternité présumée. Sur ce dernier point, je n'ai d'ailleurs pas le souvenir d'une histoire classique, "canonique" de Batman, qui exploite cette situation alors que Bruce Wayne (comme Tony Stark chez Marvel) aurait dû y être confronté depuis longtemps, compte tenu du nombre de ses conquêtes féminines (souvent sans lendemain) : c'est finement imaginé en tout cas.

Marini a, de toute évidence, voulu divertir son lectorat en lui proposant un récit riche en action, au point que la scène d'ouverture - une course-poursuite magnifiquement mise en image - pèse sur la suite qu'aucun morceau de bravoure aussi spectaculaire ne vient supplanter (mais peut-être en garde-t-il sous le pied pour le tome 2 ?). L'histoire file à un rythme très soutenu, les moments explicatifs (comme la discussion entre Mariah Shelley et Bruce Wayne) étant rapidement expédiés (mais sans être sacrifiées non plus : on sait ce qui est nécessaire). Marini s'autorise un dialogue savoureux entre Batman et Gordon, qui ne tire plus sur pipe mais vapote : rare moment léger dans un ensemble tendu.

Visuellement, comme on pouvait s'y attendre, l'artiste distribue des planches de toute beauté : son découpage est une merveille avec des compositions impeccables, permettant d'apprécier chaque mouvement narratif. Qu'il s'agisse de rouler à fond la caisse sur les grandes artères gothamites ou d'évoluer dans le hall immense du manoir Wayne en rodant dans les ruelles mal-famées de la ville ou de faire le coup de poing dans la planque de Killer Croc, c'est à chaque fois superbe.

Marini prend peu de libertés avec les designs, on pourrait intégrer son histoire à la continuité des aventures du héros sans souci (d'ailleurs Batman est ici en couple avec Catwoman comme actuellement dans la série écrite par Tom King). Tout juste intègre-t-il quelques légères modifications au costume de monte-en-l'air de Selina Kyle (femme fatale idéale pour le dessinateur de Rapaces). Celui avec lequel il s'amuse le plus est ostensiblement le Joker auquel il donne une élégance ébouriffée et un maquillage digne d'un clown inquiétant, tout comme il rhabille Harley Quinn en poupée excentrique : clairement, The Dark Prince Charming s'illustre grâce à ce duo décapant, flamboyant, le vrai moteur de l'intrigue.

Et puis il y a la représentation de Gotham elle-même : chaque dessinateur a à coeur de s'approprier ce cadre mythique et Marini ne fait pas exception. Il s'est inspiré de Dante Ferretti, le chef décorateur des films Batman de Tim Burton, pour en donner une interprétation gothique mais pas glauque. Il utilise pour cela une palette de couleurs plutôt chaudes, avec des bruns, des beiges, qui contrastent avec celles plus froides, en bleu clair et gris, du manoir Wayne. La cité semble gagnée par une sorte de feu, de fièvre, contaminée par la folie du Joker et la sensualité de Catwoman. Somptueux.

Il ne reste donc plus qu'à s'armer de patience pour connaître le dénouement de cette saga qui, si elle nous frustre en opérant une halte à mi-chemin, promet beaucoup et donne tout de même de quoi régaler le regard et maintenir l'intérêt. 

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