mardi 3 mai 2016

Critique 880 : PIERROT LE FOU, de Jean-Luc Godard


PIERROT LE FOU est un film écrit et réalisé par Jean-Luc Godard, sorti en salles en 1965.
La photographie est signée Raoul Coutard. La musique est composée par Antoine Duhamel.
Dans les rôles principaux, on trouve : Jean-Paul Belmondo (Ferdinand Griffon dit "Pierrot"), Anna Karina (Marianne Renoir), Graziella Galvani (la femme de Ferdinand), Hans Meyer (un gangster), Raymond Devos (le fou), Samuel Fuller (lui-même).
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Le générique du film : un superbe jeu de lettrage.

Ecoeuré par son existence bourgeoise à Paris, Ferdinand Griffon s'enfuit avec Marianne Renoir, la baby-sitter de son fils, qu'il a connue trois ans auparavant.
Ferdinand Griffon et Marianne Renoir
(Jean-Paul Belmondo et Anna Karina)

Mais la jeune femme est impliquée dans des affaires louches : son frère cache des armes (destinées à l'OAS - Organisation Armée Secrète, qui défendait la présence française en Algérie, y compris par le terrorisme - ?) et le cadavre d'un homme dans son appartement. 
Ferdinand et Marianne

S'emparant d'une valise remplie d'argent appartenant à des gangsters, Ferdinand et Marianne partent se cacher dans le Midi de la France. Ils y commettent des braquages pour mener une vie oisive.
Ferdinand et Marianne

Mais ils sont rattrapés par les gangsters et des dissensions apparaissent dans leur couple. L'issue sera fatale aux deux amants après que Marianne ait trahi Ferdinand...
"Tu me parles avec des mots. 
Je te regarde avec des sentiments."
- Marianne à Ferdinand.

Jean-Luc Godard a signé un film qui tient du miracle et cela participe à son statut de classique, non seulement dans le cadre du mouvement de la "Nouvelle Vague", dont il était un des membres éminents (avec François Truffaut, Claude Chabrol, Jacques Rivette...), mais dans l'Histoire du cinéma français et international si l'on considère à quel point avec cette oeuvre le nombre de productions qu'il a influencé.

Pourtant, donc, la réussite du film tient à peu de choses car Godard a misé sur une improvisation totale en le réalisant : Pierrot le fou se distingue en effet par sa spontanéité narrative et sa liberté esthétique, dont la modernité reste intacte un demi-siècle plus tard.

L'histoire (ou ce qui en tient lieu) suit sa propre logique, souvent déterminée par des associations d'idées, similaire à un vaste collage qui accorde la même importance à des tableaux, des affiches publicitaires, des bandes dessinées et des citations littéraires. On ne peut faire plus décalé. Mais c'est cet assemblage hétéroclite qui donne son charme, son intensité et sa singularité au film, dans une dimension inégalée.

Pierrot le fou est un flot d'images fortes suscitant chez le spectateur davantage ses sens que son intelligence : le récit passe d'un genre à l'autre, du polar à la comédie, du musical au drame, de l'aventure au drame. Godard s'autorise tout : ici un clin d'oeil aux Pieds nickelés, là une pantomime satirique contre la guerre au Vietnam, et ces licences poétiques passent comme une lettre à la poste car elles sont abordées avec une légèreté et un dynamisme tourbillonnants.

Cinéphile éclectique, le scénariste-réalisateur invite même une de ses idoles, Samuel Fuller, qui livre sa définition du  7ème Art : "un champ de bataille, avec l'amour, la haine, l'action, la violence, la mort. En un mot : l'émotion." Cette citation anticipe la trajectoire fulgurante et tragique de Ferdinand et Marianne mais indique aussi la réflexion que Godard fait sur lui-même dans sa quête de nouvelles façons de raconter et filmer, de stimuler le public : le film devient alors une confrontation entre l'artiste et son art, une critique filmée du cinéma.

A plusieurs reprises, les personnages principaux s'adressent directement au spectateur, déchirant le voile entre fiction et réalité, nous prenant à témoin, rappelant aussi l'aspect profondément ludique du cinéma de Godard, mais insistant aussi sur la complexité de son entreprise, où il se confie sur sa vie privée (son couple avec Anna Karina volait en éclats comme celui de Ferdinand et Marianne), ses opinions sur la situation culturelle, sociale, économique et politique en 1965, à la manière d'un journal intime dont certains passages seraient cryptés. Il se pose ainsi autant en chroniqueur qu'en cinéaste.

Enfin, Pierrot le fou est un film terriblement romantique, séduisant et solaire, qui met en valeur le talent de ses deux interprètes : Anna Karina incarne avec vivacité et charme Marianne Renoir, dont les prénom et nom renvoient à la figure allégorique de la République française et au peintre Auguste Renoir et son fils cinéaste Jean. Jean-Paul Belmondo est également formidable de vulnérabilité, tel qu'on le pressentait déjà dans A bout de souffle (1960), derrière ses manières brusques de canaille. Son Ferdinand, que Marianne appelle sans cesse Pierrot, comme le clown, est un penseur mélancolique dont le conflit est inévitable avec son amante plus concrète et sensuelle. Un couple mythique, qui éclipse le reste de la distribution (à l'exception de Raymond Devos, dans une scène extraordinaire où Godard le laissa libre car l'humoriste s'avéra incapable de jouer autre chose que ses propres textes). Les plus attentifs repéreront également Jean-Pierre Léaud (spectateur dans une salle de cinéma où Ferdinand regarde distraitement les actualités)...

Sublimé par la photographie radieuse de Raoul Coutard, sur la partition magnifique d'Antoine Duhamel, filmé en Cinémascope, ce chef d'oeuvre a bénéficié d'une restauration exceptionnelle (la version diffusée hier soir sur Arte).   

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