jeudi 15 octobre 2015

Critique 727 : L'HOMME QUI N'AIMAIT PAS LES ARMES A FEU, TOME 1 - CHILI CON CARNAGE, de Wilfrid Lupano et Paul Salomone

Les trois héros de la série :
Byron Peck, Knut Hoggaard et Margot de Garine.
(dessin de Paul Salomone

Faisons une pause et quittons les vikings de Thorgal le temps de parler de la série (prévue en quatre tomes, dont trois sont déjà publiés) western écrite par Wilfrid Lupano (Ma Révérence, dont j'a écrit la critique - n° 721 - récemment) et dessinée par Paul Salomone.
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L'HOMME QUI N'AIMAIT PAS LES ARMES A FEU : CHILI CON CARNAGE est le premier tome de la série, écrit par Wilfrid Lupano et dessiné par Paul Salomone, publié en 2011 par Delcourt.
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1899. L'avocat britannique Byron Peck, exerçant à Los Angeles, et son secrétaire danois, Knut Hoggaard, traquent en Arizona Margot de Garine, épouse du premier et maîtresse du second, qu'elle a laissés pour mort après leur avoir volé des documents susceptibles de modifier le cours de l'Histoire des Etats-Unis.
Mais Margot perd ces documents après avoir été attaquée par Manolo Cruz et ses hommes. Depuis elle tente de le retrouver et finit par y parvenir. Elle séduit le bandit, découvre son repaire et lui propose de devenir associés en lui promettant la fortune. Mais elle ignore cependant que Peck et Hoggaard savent où elle est et se préparent à agir.
Pourtant, les événements prennent un tour inattendu à cause d'un vieil indien, cohabitant avec les outlaws mexicains dans leur hacienda et Tim Bishop, un bagagiste épris de Margot...

Comme pour son récit complet Ma Révèrence, les remerciements qu'a ajouté Wilfrid Lupano en préambule de cette histoire précisent l'intention à l'origine de ce projet : après avoir voulu répondre au discours contre Mai 68 de Henri Guaino, il s'en prend cette fois aux lobbys des armes aux Etats-Unis en ironisant sur les carnages que cela occasionne fréquemment dans les lieux publics.

Cette volonté de proposer des bandes dessinées qui seraient comme des manifestes quasiment politiques est toujours un peu écrasante : elle semble, pour l'auteur, être l'occasion de donner forcément du sens à ce qu'il conçoit aussi comme un divertissement, dont le récit est pourtant largement suffisant à comprendre le message.

Avec son titre à rallonge et son sous-titre en forme de jeu de mots, Lupano rappelle aussi ce qui était évident dans Ma Révèrence : ses références se situent du côté d'un certain cinéma populaire bien français, celui des scénarios de Michel Audiard. Et il assume fort bien, avec un talent certain, cet héritage.

L'Homme qui n'aimait pas les armes à feu est un western, mais atypique : l'action se déroule à la toute fin du XIXème siècle et ses protagonistes ne sont pas des cowboys, mais un avocat et son secrétaire aux trousses de leur femme et maîtresse commune. Il est question d'un document de valeur au coeur de cette traque, mais Lupano s'en sert, dans ce premier tome, comme d'un "Mac Guffin", ce procédé cher à Alfred Hitchcock. Il s'agit d'un prétexte au développement d'un scénario qui peut être un objet matériel, généralement mystérieux, dont la description est vague et sans importance, ou un secret qui motive les méchants (mais pas nécessairement le protagoniste) et qui est de peu d'intérêt pour le spectateur car celui-ci ne doute pas que les méchants ont d'excellentes raisons de mettre le protagoniste dans l'embarras.

Byron Peck fait irrésistiblement penser au Pied-Tendre Waldo Badmington dans Lucky Luke : son allure aristocratique, ses manières précieuses, détonent dans le décor hostile de l'Arizona. Tout aussi exotique, le colosse danois Knut Hoggaard, devenu une brute frustre depuis que Margot de Garine lui a tiré dans la tête, ce qui explique pourquoi il ne s'exprime plus que par des borborygmes (toutefois très évocateurs) est le parfait contrepoint de l'avocat. Ils forment un duo comme on en trouve pléthore dans la bande dessinée, unis par un objectif commun en dépit de caractères et de cultures contraires.

Lupano épice son plat en y ajoutant un personnage féminin aussi fortement incarné avec Margot de Garine : cette séduisante intrigante n'est motivée que par l'argent et ne recule devant rien pour accéder à la fortune qu'elle compte tirer des documents dérobés à ses poursuivants. Son culot et ses charmes ont raison de Manolo Cruz, un bandido aussi bête que brutal, mais tourneront aussi la tête à Tim Bishop, un bagagiste naïf mais romantique, aveuglément épris de la belle. Seul le vieil indien, dont le rôle promet d'être plus développé dans le tome suivant, surpasse en rouerie celui de Margot - c'est dire !

Pour mettre en images ce récit truculent, qui lorgne aussi volontiers du côté du western italien, Lupano fait équipe avec un autre jeune talent (comme Rodguen pour Ma Révèrence), Paul Salomone.

Cousin du comédien Bruno Salomone (connu pour son rôle de père de famille dans la série télé Fais pas ci, fais pas ça), l'artiste né en 1981 (de dix ans le cadet de Lupano donc) se destinait d'abord à une carrière sportive avant de publier dans ""Lanfeust magazine". Là, il est remarqué par Albert Uderzo en personne et décide de se consacrer exclusivement au Neuvième Art.

Ses influences sont, de son preuve aveu, à trouver du côté de Charles Dana Gibson, illustrateur américain (1867-1944), connu pour avoir créé la "Gibson girl", première vraie représentation de la beauté idéale américaine (une fille élégante, indépendante, parfois insolente, visiblement issue de l'élite - le contraire donc de la pin-up), et aussi de Peter de Sève, cover artist (notamment pour le "New Yorker") et character designer pour le cinéma d'animation (Scrat dans L'Âge de glace, c'est lui, mais aussi Le Monde de Némo).

Evoluant dans un registre semi-réaliste, son trait est très expressif, et ses planches très fournies, avec notamment des décors extrêmement détaillés. Son découpage est simple mais fluide, même s'il gagnerait en efficacité avec des plans moins systématiquement remplis (qui ralentissent la lecture avec des éléments abondants). Son encrage est aussi un peu trop uniforme, et la colorisation de Lorenzo Pieri (qui cède sa place pour le tome suivant) compense souvent ce manque de contraste. Mais le résultat en donne pour son argent au lecteur et contribue à la réussite du projet.

Prévue pour compter quatre tomes, cette série démarre fort et confirme à la fois l'intérêt du travail de Lupano en révélant celui de Salomone.
(Pour le plaisir, je ne résiste pas à ajouter l'image du 4ème de couverture avec la belle et diabolique Margot, dans une superbe toilette :)  

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