mardi 6 octobre 2015

Critique 720 : THORGAL, TOMES 7 & 8 - L'ENFANT DES ETOILES & ALINOË, de Jean Van Hamme et Grzegorz Rosinski


THORGAL : L'ENFANT DES ETOILES est le septième tome de la série, écrit par Jean Van Hamme et dessiné par Grzegorz Rosinski, publié en 1984 par les Editions du Lombard.
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Cet album se compose de trois histoires :

- Le Drakkar perdu (10 pages) - Parti en expédition, les hommes du roi Leif Haraldson doivent affronter des conditions maritimes difficiles. La tension monte à bord de leur drakkar au point que Gandalf-le-fou provoque une mutinerie et est prêt à sacrifier son chef. La météo devient plus clémente alors et les vikings trouvent sur une plage une étrange capsule dans laquelle pleure un nourrisson qu'adopte Leif : il le baptise Thorgal Aergisson.

- Le Métal qui n'existait pas (20 pages) - Enfant, Thorgal est solitaire. Il rencontre ainsi, alors qu'il rêvasse devant la mer, un nain, Tjahzi, qui convoite son pendentif car il est fait d'un métal inconnu. Offert en présent au serpent Nidhogg, il permettrait à tous les nains de conserver leur nom.

- Le Talisman (15 pages) - Adolescent, Thorgal, moqué par les autres jeunes vikings parce qu'il est considéré comme un bâtard, veut en savoir plus ses origines. Il se rend au grand escalier de pierre où il espère rencontrer un dieu capable de répondre à ses questions. Le garçon rencontre Xargos, son grand-père, et apprend qu'il descend du peuple des étoiles, parti autrefois de la Terre puis revenu y dérober des sources d'énergie. Mais Thorgal ne conservera aucun souvenir de ces révélations, son ancêtre estimant qu'il ne doit pas être tenté de répéter les erreurs de son père, Varth.
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THORGAL : ALINOË est le huitième tome de la série, écrit par Jean Van Hamme et dessiné par Grzegorz Rosinski, publié en 1985 par les Editions du Lombard.
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Thorgal parti sur le continent pour y acheter des provisions et des vêtements en prévision de l'hiver qui s'approche, Aaricia reste seule sur l'île où ils ont élu domicile avec leur fils Jolan. Celui-ci se lamente d'être seul, sans frère, soeur ou ami.
Le lendemain, Aaricia remarque un étrange bracelet au poignet de son fils qu'il dit avoir reçu de son ami Alinoë, un inquiétant albinos muet aux cheveux verts qui pourrait bien être l'incarnation des rêves de Jolan et qui n'hésitera pas à vouloir supprimer la mère et l'enfant quand ils se dresseront contre lui.

Avec ces deux tomes, Van Hamme marque une sorte de pause dans la série, après avoir conclu un premier cycle et avant d'en entamer un nouveau (le Cycle Qâ, qui courra des tomes 9 à 13). Mais cela ne signifie pas que ces deux albums sont négligeables : au contraire, dans un premier temps, le lecteur aura droit à un lot de révélations concernant le passé de Thorgal, confirmant et précisant des éléments jusqu'à présent suggérés, puis, dans un second temps, offrant à Aaricia et Jolan la vedette d'une aventure.

L'Enfant des étoiles rompt avec la forme de la série telle qu'on la connaissait jusqu'ici puisque le tome comprend trois courts récits, de 10 à 20 pages : on y découvre Thorgal à trois âges différents, bébé, enfant et adolescent, et ses origines. 

Après ce que lui avait raconté la magicienne Silve dans le tome 2 (L'île des mers gelées), nous savions que Thorgal n'était pas un viking : il est le dernier d'un peuple qui a autrefois habité sur Terre avant de la quitter, grâce à une technologie très avancée, pour se réfugier sur une autre planète. Quand ce monde d'adoption a eu besoin de nouvelles ressources énergétiques, ses occupants sont revenus sur Terre pour s'approvisionner et cela a provoqué un affrontement entre le père et le grand-père de Thorgal.  

Trouvé et adopté par Leif Haraldson, le roi ayant précédé Gandalf-le-fou, Thorgal Aergisson doit son prénom au dieu du tonnerre Thor et son nom au dieu des océans Aegir. Son caractère pacifiste et mélancolique ainsi que sa chevelure noire l'ont désigné comme un bâtard, et on a vu que, lorsque lui et Aaricia ont voulu s'unir, Gandalf, le père de la jeune femme, s'y est opposé à cause de cela.

En creux, via les origines de Thorgal, on apprend que Gandalf a toujours été un sinistre personnage, au point d'avoir voulu se débarrasser de Leif Haraldson : cette figure antipathique contraste avec la la douceur et la beauté d'Aaricia.

Enfant sans racines, Thorgal a souffert dans sa jeunesse du mépris des autres jeunes vikings tout en appréhendant très vite sa nature extraordinaire lorsqu'il fera la connaissance du nain Tjahzi, au coeur d'un conflit avec le serpent Nidhogg, puis avec son propre grand-père, Xargos (qui préférera toutefois effacer de la mémoire de son petit-fils la vérité sur leurs origines après les lui avoir révélé). L'histoire familiale de Thorgal alimentera encore la série par la suite, aboutissant à de nouvelles et tragiques issues dans la dernière partie du Cycle Qâ (avec les liens l'unissant aux destins d'Ogotaï et Tanatloc), mais surtout trouvera un prolongement sur le long terme avec Jolan, son propre fils, qui, comme on l'a vu dans le tome 6, La chute de Brek Zarith, est investi de pouvoirs paranormaux provenant du peuple des étoiles.

Après avoir donc considérablement éclairci le passé de son héros, Van Hamme choisit de l'écarter le temps d'une histoire. Jusqu'à présent Aaricia était cantonné au rôle de l'épouse et mère, jolie fille dans l'ombre de Thorgal. Sans doute le scénariste a-t-il estimé qu'il était temps d'étoffer ce personnage, et cette initiative sera positive, là encore comme le Cycle Qâ le prouvera. Jolan a aussi grandi (on peut supposer qu'il a alors l'âge de Thorgal dans Le métal qui n'existait pas, la deuxième histoire du tome 7) et il faut aussi affirmer son identité, assumer sa présence.

Alinoë réussit, au-delà de toute espérance, à remplir ces objectifs tout en citant comme référence le film Le Village des damnés de Wolf Rilla (1960). C'est un pur récit d'angoisse écrit avec une maîtrise exemplaire par Van Hamme, dans une forme comme on l'a rarement connu. Le climat anxiogène à souhait, la montée progressive de la tension dramatique, l'intrusion du fantastique, et surtout le fait que l'apparition d'Alinoë ne soit jamais franchement expliquée (est-ce la matérialisation des rêves de Jolan ? Une créature de l'île ? Un mirage ?) rendent tout cela haletant, très intense.

Aaricia est écrite avec beaucoup de subtilité et le lecteur, comme elle, traverse les épreuves avec tour à tour résolution, agacement, peur, terreur. Jolan est également traité avec finesse, manifestant des réactions très naturelles pour un enfant de son âge, souffrant de la situation isolée de sa famille, de sa propre solitude, dissimulant des choses à sa mère, se ravisant, avant d'être gagné par la frayeur.

Visuellement aussi, ces deux tomes sont sensationnels, à commencer, encore une fois, par les magnifiques couvertures peintes de Rosinski, l'une soulignant l'aspect éthérée et mélancolique de l'enfance de Thorgal, l'autre imposant très efficacement l'épouvante au coeur du duo formé par Aaricia et Jolan contre Alinoë (représenté très habilement de dos pour laisser au lecteur le loisir d'imaginer son rôle).

Le dessinateur se montre virtuose pour figurer les éléments déchaînés comme la tempête qu'affrontent les vikings, mais aussi les mondes fantastiques des nains et de leur ennemi reptilien. Quand il est temps d'introduire des motifs directement issus de la science fiction, Rosinski le fait aussi avec brio, et même si ses designs de vaisseaux spatiaux peuvent aujourd'hui paraître rétro, démodés même, ils demeurent superbes.

Animer des enfants dans une bande dessinée au style très réaliste est toujours un défi, mais le polonais le relève avec maestria, parvenant à camper de manière très crédible Thorgal (puis Jolan) enfant et adolescent. De même quand il met en scène Aaricia, il la montre sans exagérer sa féminité dans des postures sobres, crédibles, et joue sur des effets d'ombres et de lumières souvent très ouvragés (sa signature), d'un trait de plume fin, élégant.

La position et la tonalité de ces deux tomes les situent un peu à part dans la série, mais sont d'incontestables réussites narratives et graphiques. Thorgal y gagne en profondeur, le lecteur a droit à un divertissement racé, inspiré, et la suite, avec les cinq épisodes du Cycle Qâ, ne fera que confirmer cette excellente impression.   

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