vendredi 9 octobre 2015

Critique 723 : THORGAL, TOMES 16 & 17 - LOUVE & LA GARDIENNE DES CLES, de Jean Van Hamme et Grzegorz Rosinski


THORGAL : LOUVE est le seizième tome de la série, écrit par Jean Van Hamme et dessiné par Grzegorz Rosinski, publié en 1990 par les Editions du Lombard.
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En route pour le Northland où Aaricia désire accoucher, Thorgal croise Wor-le-magnifique, prétendant au trône de nouveau roi des vikings. Il souhaite enrôler de force Thorgal pour une nouvelle expédition mais celui-ci refuse et obtient, après un brève altercation entre les deux hommes, d'accoster.
Laissant Aaricia et Jolan dans le camp improvisé dressé dans la forêt, Thorgal gagne le village le plus proche pour y trouver un chariot. 
Il apprend par Solveig et Hiérulf que Wor est en fait un viking dissident qui veut prendre le pouvoir par la force et assassiner les héritiers de Leif Haraldson et Gandalf-le-fou, donc Thorgal, Aaricia et Jolan.
Les hommes de Wor capturent Jolan et traquent Aaricia, sur le point d'accoucher, dans les bois. Elle se réfugie dans un terrier où une louve s'apprête à mettre bas tandis que dehors un bossu, auquel Wor s'en est pris auparavant, se venge en tuant ses hommes.
Thorgal délivre son fils et retrouve Aaricia qui a mis au monde une fille qu'elle a prénommée Louve.

THORGAL : LA GARDIENNE DES CLES est le dix-septième tome de la série, écrit par Jean Van Hamme et dessiné par Grzegorz Rosinski, publié en 1991 par les Editions du Lombard.
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Volsung de Nichor (voir tome 3, Les Trois Vieillards du pays d'Aran) est fait prisonnier par le serpent Nidhogg (voir tome 7, L'Enfant des étoiles) qui le charge de voler la ceinture de la gardienne des clés (voir tome 5, Au-delà des ombres). Pour ce faire, il lui donne l'apparence de Thorgal, le seul humain à qui elle a accordé sa confiance.
Volsung prend soin, après avoir réussi sa mission, de neutraliser Thorgal. Immortel et unvulnérable grâce à la ceinture, qu'il ne ramène pas à Nidhogg, il veut s'emparer du trône du roi des vikings, Olaf Einarson, qu'il tue après l'avoir provoqué. Nul n'ose le contrarier et il enferme Aaricia avec Louve, puis viole la femme d'Olaf. Jolan réussit à fuir.
Thorgal retrouve son fils et, avec l'aide du nain Tjahzi, élabore un plan pour venir en secours à la gardienne des clés. Il démasque Volsung et part défier Nidhogg.
Mais, au terme de cette aventure, Thorgal prend une décision radicale : pour protéger les siens du sort qui s'acharne sur lui, il va s'en éloigner jusqu'à ce que les dieux l'oublient.

Comme on le note avec ces résumés, Thorgal appartient désormais davantage à la catégorie des feuilletons, avec des renvois fréquents à des histoires antérieures, qu'à une simple série, dont chaque épisode peut se lire et se comprendre sans connaître ceux qui l'ont précédé. Treize ans et 17 tomes ont passé, avec différents cycles (plus implicites que réellement désignés) et à la fin de l'histoire de La Gardienne des clés, le choix du héros de se séparer de sa femme et de ses enfants marque une étape importante, presque la fin d'une époque.

Louve est un album palpitant qui met en parallèle l'accouchement de Aaricia et le combat que mène Thorgal contre Wor, un viking aussi ambitieux que brutal. Dans le tome suivant, il sera aussi question de prendre le pouvoir des vikings, dans une configuration différente, mais qui souligne que, depuis les règnes successifs de Leif Haraldson (qui adopta Thorgal) et Gandalf (le père de Aaricia, qui rabaissa constamment Thorgal au rang de bâtard), le problème n'est pas réglé. Le lecteur peut croire que Van Hamme prépare alors le couronnement de son héros, dont la valeur n'est plus à prouver, ce qui aurait imprimé une direction aussi intéressante au titre. Il n'en est rien.

Le tome 16 agrandit donc la famille de Thorgal, qui devient à nouveau père, d'une fille cette fois. Discrètement, la notion de temps a infiltré la série en passant des aventures d'un héros solitaire, à celle d'un couple, puis de parents, et cela a été souligné par le fait que Jolan grandisse. Les années qui défilent, la famille qui se constitue, permettent aussi de donner encore plus de relief au caractère de Thorgal, qui fuit la violence (ou en tout cas n'y a recours que pour rendre la justice et protéger les siens) et pour ce faire, fuit aussi les hommes. On le voit à présent expliquer, presque faire la morale, à Jolan quand celui l'interroge sur le moment où il faut se défendre, tuer même et donc manier les armes : le père dit à son fils qu'il utilise ainsi son arc pour chasser mais reporte à plus tard l'enseignement du tir à l'arc.

Pourtant, quand il y est obligé, Thorgal se révèle être un guerrier impitoyable, résolu, et les hommes de Wor en feront les frais. Pourtant, l'originalité fondamentale de ce héros reste qu'il n'aime pas se battre, et ce pacifisme est une signature mésestimée du titre - en tout cas, je l'ai vraiment découverte en relisant ces histoires. Même si l'écriture de Van Hamme demeure classique, avec une narration souvent linéaire, des protagonistes archétypaux, des rebondissements conformes au genre exploré, et l'usage de clichés (le héros séduisant, les belles femmes, les vilains vraiment repoussants), il est arrivé à animer avec Thorgal un individu attachant, singulier.

L'intrigue de La Gardienne des clés fait également référence à d'autres épisodes, emploie à nouveau des seconds rôles déjà vus auparavant (Volsung, Nidhogg, Tjahzi, la gardienne). Le déroulement de l'action suit une progression classique avec le héros dont l'image est dévoyée puis réhabilité, une succession de péripéties spectaculaires, un affrontement final, l'érotisme et le fantastique y sont convoqués. Mais le résultat demeure très accrocheur, divertissant. Et, donc, l'issue du récit aboutit à une vraie surprise (même si on peut s'étonner que Aaricia ne cherche pas davantage à retenir son mari : on l'a connue moins résignée).

Rosinski est toujours en état de grâce sur ces deux épisodes, une nouvelle fois présentés par de splendides couvertures (la composition incroyable de Louve, la palette écarlate de La Gardienne des clés).

On peut remarquer que l'artiste utilise des trames pour certains plans afin de jouer sur les effets de volume mais aussi nuancer encore plus les contrastes des scènes nocturnes, dans le tome 16 : comme il en use avec mesure, c'est subtil et très réussi, à l'instar d'une colorisation extraordinaire bien pensée.

Derrière la simplicité du découpage, Rosinski, qui préfère servir le récit que le surcharger par des cadrages inutilement tarabiscotés, se concentre sur ce qu'il doit exprimer dans chaque image : ses décors sont toujours aussi soignés, avec évidemment des extérieurs somptueux, et ses personnages conservent intacts leur allure mémorable dès le premier regard posé sur eux. 

Les femmes du dessinateur polonais sont un régal pour les yeux, surtout parce qu'il sait toujours les animer de manière très naturelle, en leur donnant une anatomie bien proportionnée, une gestuelle crédible (voir une case, ordinaire mais magistrale justement par ce qu'elle montre sobrement, comme à la dernière page de Louve où Aaricia donne le sein à sa fille tout juste née).

Semblablement, avec la gardienne des clés, bien qu'elle soit nue en permanence (ses seins et son sexe à peine dissimulés par sa longue chevelure noire), aucune vulgarité ni racolage : elle inspire au contraire une beauté élégante, un charme fascinant, loin d'une créature tracée pour que le lecteur se rince l'oeil.

C'est indéniable, une page se tourne avec ces deux tomes. La série emprunte une voie imprévisible, même si on sait intuitivement que Thorgal n'abandonne pas sa femme et leur progéniture définitivement.

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