jeudi 22 mai 2014

Critique 451 : BLACKSAD, TOME 3 - ÂME ROUGE, de Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido


BLACKSAD : ÂME ROUGE est le troisième tome de la série écrite par Juan Diaz Canales et dessinée par Juanjo Guarnido, publié en 2005 par Dargaud.
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Fauché, Blacksad accepte de jouer les gardes du corps du richissime Hewitt Mandeline à Las Vegas. De retour sur ses terres, en quête de distraction pour une soirée, le détective remarque qu'une conférence sur l'énergie atomique est donnée par la fondation Gotfiled. C'est l'occasion pour le chat d'y retrouver l'homme qui lui a permis de faire ses études et d'échapper à la délinquance, le professeur Otto Lieber.
Mais le savant est dans le collimateur des autorités qui le soupçonnent, ainsi que ses amis (d'autres scientifiques, mais aussi des artistes), d'être des sympathisants communistes. Bientôt, un des membres de ce groupe d'érudits est assassiné puis Lieber échappe de justesse à un attentat.
Blacksad décide d'enquêter mais deux éléments vont lui compliquer la tâche : il tombe amoureux d'Alma Meyer, la compagne de Samuel Gotfield, le mécène paranoïaque de Lieber, et surtout il va découvrir la douloureuse vérité sur le passé de son mentor...

Ce troisième opus de la série est, disons-le sans tarder, le meilleur depuis le début.
Juan Diaz Canales a réussi à produire un scénario passionnant et complexe, qui aborde la période du "McCarthysme", la chasse aux sorcières contre les sympathisants communistes dans les années 50, tout en articulant son intrigue autour de la course à la bombe atomique, en y ajoutant un zeste de romance (forcément contrariée) et une bonne dose de suspense.
La richesse de l'intrigue n'empêche pourtant jamais une grande fluidité dans le récit, qui offre son comptant de scènes spectaculaires, et sa compréhension (même si, comme d'habitude, il faut attendre les dernières pages pour connaître véritablement le fin mot de l'affaire).
Le scénariste a su, encore une fois, créer un casting de premier choix, qui lui permet de faire référence à la Shoah de manière subtile et percutante à la fois, au sort des réfugiés européens en Amérique après-guerre, à la fièvre parano mêlée d'ambitions politiques, à l'émergence de la "beat generation" (avec du William Burroughs dans le texte) et toujours une pointe de jazz (via le standard "That Old Black Magic"). 
Le personnage d'Otto Lieber, représenté sous la forme d'un vieux hibou (encore une magnifique idée), renvoie lui au recrutement des savants ayant collaboré avec le régime nazi puis récupéré par les Etats-Unis pour faire progresser leurs recherches sur l'énergie et d'autres domaines stratégiques (comme la conquête spatiale) face au rival soviétique. La découverte du passé de son mentor par Blacksad fournit à Diaz Canales un moment fort, remarquablement amené. Et la ruse imaginée pour véhiculer les calculs du savant est vraiment astucieuse (encore une fois, bien malin celui qui l'aura devinée avant le détective).
Si la fouine "Weekly" fait une apparition, c'est toutefois la romance, malicieuse puis très émouvante, qui va se jouer entre Blacksad et Alma Meyer qui procure l'autre attrait de l'album : cette histoire dans l'histoire renvoie au premier tome et donne à voir le héros à nouveau sincèrement épris. Et puis Alma est écrite avec beaucoup de finesse et de caractère, ce n'est pas un simple flirt pour le détective : on s'attache à elle, à leur couple naissant, au point de regretter que leur liaison soit sacrifiée (mais peut-être le personnage sera-t-il réutilisé dans une future aventure).


Les dessins de Juanjo Guarnido dépassent encore une fois les attentes (comment certains lecteurs peuvent-ils déclarer que l'artiste s'est affaibli depuis le premier tome ?). Il anime un bestiaire encore une fois impressionnant (avec chiens, hiboux, chats, crocodiles, coqs), auquel il confère une expressivité sensationnelle, en soignant leurs attitudes, leurs looks vestimentaires, en suggérant leurs âges. L'espagnol épate aussi par le soin maniaque à représenter des éléments qu'il pourrait se contenter d'aborder par son usage si merveilleux de la couleur (toujours de splendides aquarelles, de plus en plus flamboyantes), comme lorsqu'il s'agit de montrer toute une foule dans un amphithéâtre !
Une autre de ses grandes réussites est le personnage d'Alma Meyer auquel il confère une féminité incroyable, à la fois sensuelle et élégante : comme Blacksad, le lecteur est tout de suite sous le charme.


Les décors, enfin, sont aussi fabuleux, avec des effets de perspective qui permettent d'en apprécier le réalisme, les volumes, les distinctions (qu'il s'agisse de la villa de Gotfield, de l'aquarium, de l'atelier du peintre...).

Déjà d'un niveau bluffant, la série atteint des sommets avec ce troisième volume, où l'histoire égale en exigence et en qualité le brio fantastique des dessins.    

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