mardi 20 mai 2014

Critique 449 : BLACKSAD, TOME 2 - ARTIC-NATION, de Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido


BLACKSAD : ARTIC-NATION est le deuxième tome de la série écrite par Juan Diaz Canales et dessinée par Juanjo Guarnido, publié en 2003 par Dargaud.

La disparition d'une petite fille est signalée à Blacksad par sa maîtresse d'école. L'affaire intrigue tout de suite le détective car la mère de l'enfant n'a pas demandé l'aide de la police, qui est dirigé par Karup, un officier acquis à un mouvement suprémaciste dans le quartier déshérité de la ville, "The Line". Pour l'aider dans ses investigations, Blacksad va pouvoir compter sur l'aide de "Weekly", journaliste pour le tabloïd "What's News", qui surprend la liaison entre la femme de Karup et son bras-droit à la tête du mouvement "Artic-Nation", Huk.
Ce qu'ils ignorent par contre, c'est qu'une vieille histoire de vengeance familiale et des rivalités au sein de l'organisation sont à l'origine de toute l'affaire...

Le premier tome de Blacksad avait été une énorme claque, avec son côté polar rétro, respectant les codes du genre à la lettre (voix-off, personnage de détective désabusé, crime commis par un notable) et une mise en images splendide. Toute la question était de savoir si les auteurs allaient pouvoir faire aussi bien, et même mieux. Artic-Nation prouve que oui.

Juan Diaz Canales entraîne son limier félin dans une intrigue tortueuse qui brasse beaucoup de thèmes : les groupuscules racistes en Amérique (le mouvement qui donne son titre à l'album évoque les néo-nazis et le folklore sinistre du Ku Klux Klan), l'inceste, la corruption politique, l'adultère, la pédophilie... Pourtant, le scénariste espagnol arrive avec brio à jongler avec ces éléments dramatiques très lourds sans que son récit ne s'en ressente dans la fluidité de la lecture.
Certes, le fin mot de l'histoire, expliqué au terme de l'enquête, pourra sembler un brin capillotracté et pervers, c'est aussi (comme dans le tome 1) une vengeance, mais bien malin qui aura pu découvrir les motivations des différents acteurs pour se débarrasser de leurs cibles.
En revanche, Diaz Canales a eu la riche idée d'adjoindre à Blacksad un sidekick original avec le personnage de "Weekly" : il est incarné par une fouine, autre casting savoureux, et on apprend à la dernière page d'où il tient son surnom. C'est une créature volubile, volontiers vantarde, mais attachante, qui forme un bon duo avec le chat matois, et, sans avoir à abandonner le procédé de la voix-off, cela permet au héros d'échanger ses réflexions sur ses investigations avec quelqu'un, ce qui dynamise aussi la narration.
Le bestiaire utilisé pour figurer les protagonistes est encore une fois exceptionnel et toujours judicieux, souvent étonnant (par exemple, un cheval pour camper un chef de gang de quartier). Pour tout cela, Blacksad échappe au piège de la simple belle bande dessinée bien illustrée pour gagner ses galons de polar racé. Et Diaz Canales glisse même un hommage furtif mais inspiré à Batman (page 29) pour souligner les références de sa "detective story"...

Bien entendu, Juanjo Guarnido nous gratifie encore de planches renversantes. Il réussit l'exploit de se surpasser avec un premier tome qui était d'une qualité et d'une force graphiques hors normes. 
La capacité de l'artiste à donner à chacun de ses personnages des expressions si éloquentes malgré leurs traits animaliers est saisissante, la composition de ses images est toujours fabuleuse, avec une profusion de détails (qui ne ralentit toutefois jamais la lecture) sidérante. On ne peut qu'aligner les superlatifs devant un tel résultat, c'est tout bonnement phénoménal.
Quelques grincheux auront trouvé à redire sur un découpage moins énergique, mais l'histoire se déploie d'une manière moins nerveuse, avec moins de scènes d'action, que le premier tome. La colorisation à l'aquarelle de Guarnido permet en outre de mesurer le soin avec lequel il traduit les ambiances (l'intrigue se déroulant en hiver) et les époques (avec des flashbacks en sépia, classique mais toujours élégant).

La série confirme son excellence, garantissant une lecture qui, en plus de divertir efficacement, ose aborder des questions raciales, politiques, de manière audacieuse. Epatant.

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