vendredi 4 avril 2014

Critique 430 : LAZARUS - VOLUME 1, de Greg Rucka et Michael Lark


LAZARUS, VOLUME 1 rassemble les 4 premiers épisodes de la série créée et écrite par Greg Rucka et dessinée par Michael Lark (aidé par Stefano Gaudiano et Brian Level pour les #3-4 à l'encrage), publiés par Image Comics en 2013. L'album contient également le prologue paru à l'origine dans le catalogue du distributeur Diamond.
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Dans un futur indéterminé, les Etats-Unis sont désormais découpés en territoires sous l'autorité de grandes familles, dirigeant des serviteurs, le reste de la population vit dans le dénuement. Chacune de ces familles produisent des cultures essentiellement agricoles et procèdent à des échanges commerciaux avec les autres clans. Ces clans ont également un protecteur génétiquement modifié, virtuellement invincible, appelé Lazarus : celui de la famille Carlyle est une jeune femme de 19 ans prénommée Forever. 
Suite à une intrusion dans une de leurs réserves, les Carlyle, convaincus après qu'un de leurs employés s'est dénoncé comme étant complice de la famille Morray, sont sur le pied de guerre, et l'un des fils, Jonah, veut engager des représailles. Mais le patriarche préfère négocier, devinant que le ver est dans le fruit, et il envoie Forever pour cela.
Au Mexique, Forever retrouve Joaquim, son homologue chez les Morray, et conclut un arrangement. Mais un complot est effectivement à l'oeuvre chez les Carlyle...
 
(Extrait de Lazarus #2
Textes de Greg Rucka, dessins de Michael Lark.)

En rupture de ban chez Marvel, le scénariste Greg Rucka (ne supportant plus les contraintes éditoriales subis lors de son run sur Punisher) et le dessinateur Michael Lark (incompréhensiblement sous-employé après, notamment un long run régulier sur Daredevil) ont décidé de proposer un projet original à l'éditeur Image Comics qui, depuis quatre ans, héberge des créateurs de renom soucieux de retrouver une plus grande indépendance. La rentabilité de ce modèle repose sur une publication rapide en recueils, ce qui impose un premier arc narratif souvent bref (ici 4 épisodes) mais vendu à petit prix (9,99 $). Les auteurs doivent donc imposer un univers, des personnages, une histoire en très peu de temps puisqu'ils la produisent sur leurs fonds propres. Le succès de plusieurs séries, qui n'évoluent pas dans le registre super-héroïque (comme Fatale de Ed Brubaker-Sean Phillips, Saga de Brian K. Vaughan-Fiona Staples, et surtout les titres de Robert Kirkman comme Walking Dead avec Charlie Adlard ou Invincible avec Ryan Ottley...), a donné des ailes à l'éditeur et des envies à nombre de créateurs.

Greg Rucka, qui, ces dernières années, a travaillé pour DC (Batwoman notamment) puis Marvel (Punisher donc). Ce n'est pas le premier venu et son savoir-faire lui permet de se plier aux contraintes d'Image sans sacrifier l'originalité de son projet. Lazarus se présente comme un récit d'anticipation, avec des éléments fantastiques, et une intrigue à tiroirs, portée par un personne féminin fort comme les apprécie le scénariste.

Le premier épisode est une sorte de modèle du genre : il s'ouvre par une longue scène très violente et sanglante qui permet à la fois de présenter l'héroïne et ses capacités extraordinaires, l'environnement dans lequel elle se trouve, et l'enjeu de l'histoire (le lecteur comprend très vite qu'au sein des Carlyle, chacun a ses vilains petits secrets et des objectifs bien distincts).
Les relations entre les protagonistes, les familles, les querelles de pouvoir, les motivations, mais aussi le contexte social, politique, sont exceptionnellement riches, d'une densité rare. Ce sentiment est renforcé par le rythme très soutenu de ce premier chapitre, au point qu'ensuite les autres épisodes paraissent curieusement beaucoup plus décompressés. La concision de l'album (à peine une centaine de pages) aboutit à une certaine frustration.
 
Cette frustration est également nourrie par le fait que Rucka inscrit son récit dans le cadre d'une anticipation futuriste, et s'il parvient sans mal à écrire des personnages et des situations très accrocheuses, il ne fait (il ne peut) que survoler cet environnement atypique. Par exemple, comment le monde en est arrivé là ? Comment ces familles se partagent les terres ? Comment la technologie a-t-elle abouti à la création des Lazarus ? Comment fonctionne cette société ? 

La qualité de travaux antérieurs de Rucka plaide en sa faveur et on peut espérer que les prochains épisodes développent, explicitent tous ces points, qui participeront à la construction même de l'intrigue. Le scénariste a tout de même soigné son ouvrage, su installer une ambiance très prenante, allant même jusqu'à inventer une devise pour le clan Carlyle ("Oderint dum metuant", soit "Qu'ils me haïssent, pourvu qu'ils me craignent !", inspiré de Caligula et Tibère, et qui pourrait être la clé de toute l'histoire).

Visuellement, Lazarus profite donc du talent de Michael Lark. Le dessinateur avait déjà collaboré avec Rucka sur l'excellente série Gotham Central, et pour les deux premiers épisodes il s'encre à nouveau lui-même (ce qu'il n'avait plus fait depuis cette précédente série justement).

Tous ceux qui, comme moi, ont adoré le travail de Lark sur Daredevil retrouveront intact les qualités de l'artiste ici : la fluidité de son découpage, le soin apporté aux lumières, l'allure de ses personnages, la représentation appliquée des décors (avec une utilisation de l'infographie magnifiquement dosée), c'est un régal. Son trait possède à la fois de l'élégance et un rendu assez brut pour lui conserver un dynamisme redoutable.
Pour un graphiste qui dit ne pas aimer particulièrement mettre en images les combats, Lark démontre pourtant encore une fois à quel point il sait les chorégraphier en leur donnant assez de brutalité pour qu'on en ressente le réalisme, qu'on frissonne pour ses héros (une prouesse quand on sait dès le départ que Forever est invulnérable). De la même manière, s'il utilise le plus souvent un registre d'expressions réduit, Lark réussit à traduire les émotions qui traversent les personnages, compensant cela par des compositions intelligentes (un dialogue ne se réduit pas à des champs-contrechamps ou des gros plans sur les visages).

La colorisation de Santi Arcas s'appuie sur des teintes brunes, ocres, des tons chauds, qui évoquent des ambiances western, enrichissant encore le style du récit.

Lazarus s'impose donc comme une série très prometteuse, avec des personnages riches, complexes, une intrigue palpitante, un univers avec un fort potentiel. Difficile de faire la fine bouche devant ce nouveau projet, sauf qu'on souhaiterait qu'Image Comics propose à l'avenir des albums un peu plus fournis (le minimum serait d'agrémenter le programme avec les variants covers)...

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