mercredi 23 mars 2011

Critiques 216 : Y THE LAST MAN 1 & 2, de Brian K. Vaughan et Pia Guerra

Y: The Last Man est une série en 60 épisodes, rassemblés dans dix albums, écrite par Brian K. Vaughan et dessinée par Pia Guerra (suppléee parfois par Paul Chadwick, Goran Parlov, ou Goran Sudzuka), et publiée par DC Comics sous le label Vertigo à partir de 2002. L'argument de la série est à la fois simple et riche : tous les mâles de la planète (animaux comme humains) meurent subitement, à l'exception de Yorick Brown et son chimpanzée Ampersand (Esperluette en vf). Se pose alors véritablement deux questions : quel est le destin du dernier homme sur Terre ? Et quel avenir pour la race humaine, privée de la moitié de sa population ?
1 : UNMANNED (#1-5, 2002)

Le 17 Juillet 2002, une mystérieuse épidémie supprime toutes les créatures de sexe masculin sur Terre, à l'exception de Yorick Brown et de son singe capucin Ampersand.
Deux mois après, Yorick arrive à Washington où il retrouve sa mère, élue du Congrés. La nouvelle Présidente des Etats-Unis, ex-secrétaire d'état à l'agriculture, ordonne à l'agent 355 d'escorter Yorick jusqu'à Boston où doit être la généticienne Allison Mann, seule capable de comprendre ce qui s'est passé et d'y remédier. Trois jours après, Alter Tse'elon, nouvelle général en chef de l'armée d'Israël, apprend l'existence de Yorick et se lance à sa recherche. Elle détruit le laboratoire du Dr Mann, l'obligeant avec l'agent 355 et Yorick à partir pour San Francisco où la généticienne a conservé des données sur ses travaux. Yorick, lui, préférerait aller en Australie où se trouve sa fiancée Beth, qu'il avait demandé en mariage au moment où l'épidémie s'est déclenchée, mais reporte ce projet...
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Ce volume réunit les 5 premiers chapitres de la série et d'entrée de jeu, on est bluffé par l'intelligence et l'efficacité avec lesquelles Brian K. Vaughan et Pia Guerra mènent leurs affaires. La diversité des situations, la gravité des enjeux (la fin de la race humaine, le clonage, l'extrémisme idéologique...), la caractérisation aiguisée des personnages, le rythme soutenu, la richesse du potentiel de l'intrigue sont tout bonnement exceptionnels : Vaughan ne sombre jamais dans la facilité ni les clichés, mais au contraire surprend par la variété des rebondissements et la qualité psychologique de ce thriller fantastique atypique.
En choisissant comme héros un jeune prestidigitateur, il donne une légèreté à un récit par ailleurs palpitant et grave, où les extrémismes politiques et philosophiques sont exposés sans complaisance mais sans ménagement non plus. Le petit singe qui accompagne Yorick fait penser au Marsupilami de Franquin dans Spirou car il permet des échappées dans l'histoire sans que cela soit gratuit.
Vaughan manie les symboles avec subtilité, que ce soit pour stigmatiser les attitudes des femmes ou résumer le rôle des hommes disparus, comme dans la scène de l'obélisque où Yorick énumère avec une participante à un sit-in les noms de groupes de pop masculins morts - un moment saisissant où tout est dit sur la culture populaire "dominée" par les hommes durant le XXème siècle dans la musique. Ladîte "domination" masculine est au centre de ce premier acte où l'on voit les femmes pointer l'oppression des mâles comme dans ce dialogue avec les Amazones qui prétendent que la catastrophe les a libérées de violeurs, de dictateurs, et de tueurs en série, plus que de leurs pères, de leurs frères ou de leurs amants.
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Le dessin de Pia Guerra est simple et direct, comme son découpage, qui derrière son classicisme souligne quand il le faut l'ingéniosité du propos : à cet égard, la toute dernière planche qui montre en plongée un croisement de trois rues en forme de "Y" est une petite merveille évoquant ce qu'on voyait dans les Watchmen d'Alan Moore et Dave Gibbons. La qualité principale de Guerra, c'est qu'elle s'attache d'abord à produire un dessin lisible, expressif, souligné par l'encrage de José Marzan Jr (qui encrera tous les épisodes de la série). On se dit aussi que le simple fait qu'une femme ait illustré Y The Last Man a évité au titre de représenter son casting essentiellement féminin en collant aux clichés des comics américains, peuplés souvent de bimbos écervelés et aux formes plus suggestives que réalistes (même si des hommes comme Terry Moore ont su donner à leurs héroïnes une allure moins convenue).
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Un prologue qui augure d'une production ambitieuse et passionnante.
2 : CYCLES (#6-10, 2003)

Yorick, l'agent 355 et le Dr Mann embarquent dans un train en échange d'une moto. Mais durant le trajet, ils sont agressés par des racketteuses et sautent de leur véhicule en marche. Séparé de ses deux chaperons, Yorick revient à lui chez Sonia, dans le village de Marrisville dans l'Ohio. La jeune femme et son pensionnaire sont attirés l'un par l'autre et Sonia confie que toutes les femmes de la localité sont en vérité des anciennes détenues qui ont quitté leur pénitencier à la faveur de l'épidémie - Sonia elle-même est une ex-dealeuse. Le Dr Mann retrouve Yorick et fait transporter l'agent 355, blessée, à Marrisville. Mais peu après, les Filles des Amazones, un vaste groupe de femmes considérant la disparition des hommes comme une bénédiction divine et déterminé à éliminer Yorick, mené par Victoria et Hero, la soeur de Yorick, débarquent et exigent qu'on leur livre le jeune homme. Sonia refuse et tue Victoria avant d'être abattue par Hero. L'agent 355, rétablie, Yorick et le Dr Mann quittent l'endroit après avoir convaincu les femmes du village d'incarcérer les Filles des Amazones.
Cependant, Alter Tse'elon est toujours sur la piste de Yorick, guidée par une mystérieuse informatrice, tandis qu'à 220 miles au-dessus de la Terre, dans la station spatiale Soyouz, trois astronautes (deux hommes et une femme) sont obligés de quitter leur position à cause d'une avarie technique...
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Ce deuxième tome ne déçoit pas et propose de nouveaux chapitres passionnants. Brian K. Vaughan recentre son récit sur le trio Yorick-355-Dr Mann en les entraînant dans l'Amérique profonde au gré de rebondissements palpitants : le "road-comic" se transforme rapidement en un séjour dans la bourgade de Marrisville, aux mains de femmes criminelles qui, après l'épidémie, ont décidé de diriger l'endroit comme une communauté autonome. Contre toute attente, ce nid de guêpes a tout d'un havre de paix et Yorick y fera la connaissance de Sonia avec laquelle il est sur le point de tromper sa fiancée Beth. Le sort que connaîtra la jeune femme en voulant protéger celui dont elle s'est éprise est cruel et poignant, surtout qu'elle trouve la mort par la faute de la propre soeur de Yorick, la mal nommée Hero.
Le personnage de Hero offre à Vaughan l'occasion d'évoquer le fanatisme en faisant référence à la tragédie de Wacko, où le chef d'une secte causa la perte de ses adeptes à la suite de l'assaut du F.B.I. - dont, on l'apprend, a fait partie à l'époque (en 1993, donc) l'agent 355. La subtilité avec laquelle Vaughan aborde ces thèmes et développe ses personnages, leur relation, est exemplaire : il donne vie à ces créatures en les dôtant d'un background que vient enrichir les expériences qu'ils traversent durant cette épopée.
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Pia Guerra accomplit elle aussi un sans-faute : son dessin est épuré, mais il est surtout juste, au service du script, des émotions, tout comme le découpage qui, bien que classique, rend la lecture rapide et limpide. Il est étonnant de constater à quel point on tourne vite les pages, avec quelle fluidité les évènements se déroulent. Sa complémentarité avec Vaughan est un pur régal et un modèle de storytelling.
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Le cliffhanger de l'épisode 10 promet beaucoup et la qualité des deux premiers tomes laisse augurer du meilleur pour la suite.

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