vendredi 4 juin 2010

Critique 149 : CAPTAIN AMERICA - WINTER SOLDIER 1 & 2, d'Ed Brubaker, Steve Epting, Michael Lark, John Paul Leon et Michael Perkins


Créé en 1940 par Joe Simon et Jack Kirby, Captain America est un des plus fameux super-héros issu du "golden age" : il a été le symbole des vertus patriotiques américaines, puis après avoir vu son succès décliner après-guerre, il a été littéralement ranimé par Stan Lee. Dans le 4ème épisode des Vengeurs, en Novembre 1963, toujours sous le crayon de Kirby, Namor dans un accès de rage détachait le bloc de glace où, sans qu'il en ait conscience, reposait son ancien partenaire. Récupéré par Giant-Man, Iron Man, Thor et la Guêpe, Steve Rogers allait découvrir le monde moderne et rapidement redevenir une icône et le chef de l'équipe.
La popularité du Capitaine ne devait jamais se démentir et cinq volumes de ses aventures, soient plus de 600 épisodes, confirment cet état de fait. Néanmoins, depuis la refonte du Marvelverse via la saga Heroes Reborn, Marvel a cherché des auteurs capables de redonner son lustre à ce personnnage pour en faire un produit pérenne. C'est à Ed Brubaker et Steve Epting qu'échût la lourde responsabilité de relancer la carrière de ce héros majeur en entamant ce cinquième volume. Durant les 13 épisodes de l'arc Winter Soldier, c'est donc à la fois un travail de synthèse et de rebond qui s'opère et qui allait révolutionner le titre pour en faire l'un des plus passionnants de ces dernières années.
Ce premier tome comprend les numéros 1 à 7 de la série régulière et s'impose comme un classique immédiat, réussissant à combler les puristes comme les profanes.
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Ed Brubaker démarre sur les chapeaux de roues, plein d'action et de suspense, dans une ambiance de série noire et d'espionnage haletante, qui va donner le "la" à toute la suite (50 épisodes avant la récente renumérotation au #600) : y sont présents Crâne Rouge, Sharon Carter (l'agent 13 du SHIELD), Nick Fury, et le cube cosmique, comme autant d'éléments "mythologiques".

Crâne Rouge prépare son retour, mais, contre toute attente, le scénario dévie brusquement et nous entraîne sur une piste inattendue puisque le criminel nazi est assassiné et le cube cosmique dérobé par son mystérieux éxécuteur !
De son côté, Captain America est présenté comme un soldat faisant face avec difficulté moins à des terroristes, qu'il stoppe sans ménagement, qu'à de vieux souvenirs de la seconde guerre mondiale - ces références permanentes au passé du héros deviendront la signature de la série.
La suite entraîne le capitaine dans une course contre la montre car des bombes menacent de détruire Paris, Londres et Manhattan, impliquant l'A.I.M.. Pendant ce temps, le mercenaire Crossbones le ralentit avant d'enlever une jeune femme qui serait la fille de Crâne Rouge, et le SHIELD enquête sur l'assassin de ce dernier : le fameux Winter Soldier - dont la révèlation de la véritable identité constituera un des chocs les plus retentissants de l'histoire de Marvel.
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Le parti pris esthétique de Steve Epting, dont le dessin évoque les glorieux aînés comme Jim Steranko ou Jim Holdaway, a le mérite de replacer Steve Rogers dans la réalité : les décors urbains font l'objet d'un soin particulier pour crédibiliser le monde dans lequel évolue le héros, mais il y a aussi un incroyable travail sur les lumières et la couleur - signée Frank D'Armata - (qui définiront durablement la série). On s'y croirait vraiment tellement l'artiste s'est appliqué.
Les flash-backs durant la seconde guerre mondiale sont illustrés par un autre grand talent, Michael Lark, qui collabora déjà avec Brubaker auparavant (Gotham Central, notamment) et c'est l'autre grande idée du relaunch : son style à la fois différent et voisin de celui d'Epting souligne la distance temporelle des actions tout en jouant avec subtilité sur le caractère anachronique de Captain America, héros à la fois d'hier et d'aujourd'hui, rivé au passé et ancré dans le présent.
Cette méthode (deux dessinateurs pour des époques distinctes) fera des petits, mais rarement avec une telle maestria (il est aussi, c'est vrai, peu courant d'avoir deux pointures comme Epting et Lark sur un seul projet).

Le 7ème épisode, The lonesome death of Jack Monroe, est illustré par John Paul Leon, dans un style différent, ce qui correspond à cet interlude puisqu'on se penche sur le cas (et la fin) d'un des remplaçants de Cap, Nomad, en proie à une confusion mentale profonde. Néanmoins, ce n'est pas le meilleur chapitre de ce recueil et on peut le zapper sans être égaré par la suite.
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Magistralement pensée, Ed Brubaker démontre dès le départ qu'il voit loin (il avait d'ailleurs précisé dans des interviews qu'il avait planifié au moins les 25 premiers épisodes), mais c'est d'abord parce qu'il a appris son personnage et qu'ici le passé est aussi important que le présent - mieux il le nourrit et donne un consistance étonnante à la série.
Le scénariste excelle dans cette ambiance entre série noire (qu'il a développée dans ses productions pour DC) et d'espionnage, la caractérisation des protagonistes est formidable : Captain America est décrit comme un soldat mais qui doute, est hanté par la guerre, et réagit brutalement à la violence du monde dans lequel il évolue. Il devient sous la plume de Brubaker une sorte de cowboy à la fois frustre et mélancolique, finalement plus touchant que le héros porte-drapeau auquel on pourrait le réduire.
Bref, ce "reboot" du personnage est une réussite exemplaire, qui sera confirmée dans la suite et fin de cette première histoire .

Ce deuxième tome rassemble les épisodes 8 à 9 et 11 à 14 de la série mensuelle (le n° 10 formait une parenthèse consacrée à la saga House of M).
Après le (re)démarrage exceptionnel du premier recueil, la question se posait de savoir si le scénariste tiendrait la distance. Le doute est balayé puisque Ed Brubaker réussit le tour de force d'élever d'un cran son histoire : l'utilisation non maîtrisée du cube cosmique, l'apparition fugace du docteur Faustus, les agissements de Crossbones, et l'enquête sur le Soldat de l'Hiver, chaque événement est sujet à caution, tout est suspect. L'intrigue se dénouera (partiellement) dans un final à la fois spectaculaire et plein d'incertitudes.
C'est là la grande force de Brubaker : faire coïncider la paranoïa du récits avec la vulnérabilité qu'elle engendre chez Steve Rogers qui ne peut pas croire au retour de son "sidekick" James "Bucky" Barnes, devenu un tueur à la solde des Russes. Le lecteur éprouve alors une empathie totale avec Rogers désirant à la fois sauver son ami et l'empêcher de nuire.

Le récit abonde en morceaux de bravoure commee, par exemple, la relation du dossier du Winter Soldier, la présence de l'escadron MODOC (Military Operatives Designed Only for Combat), l'enlèvement de la fille de Crâne Rouge par Crossbones, l'évocation des faits d'armes durant la seconde guerre mondiale et, enfin, la façon dont le cube cosmique est récupéré par Captain America et l'usage qu'il en fait.

L'écriture de Brubaker est sobre mais d'une efficacité épatante, les temps forts alternent avec des plages plus calmes, l'émotion n'est jamais sacrifiée sur l'autel de l'action : c'est vraiment un modèle du genre, qui préfigure la réussite du run de l'auteur sur Daredevil (dans un registre encore plus réaliste et noir).
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Ce scénario riche, palpitant, est encore une fois magnifiquement mis en images par Steve Epting, secondé pour les finitions par Michael Perkins, et Michael Lark (pour les séquences du passé et un épisode au présent). 
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Cette nouvelle version touche à la perfection : elle comblera le fan le plus pointu par son respect pour le passé du héros et emballera le profane. Croyez-moi sur parole : je n'étais pas spécialement client de Captain America, je le suis devenu depuis !

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