lundi 23 octobre 2023

COUP DE CHANCE : le dernier film de Woody Allen ?

 

Woody Allen signe avec Coup de Chance son 50ème long métrage. A cette occasion il revient filmer à Paris mais cette fois avec un casting entièrement français et en langue française. Ce ne sont que quelques changements mineurs en vérité pour cet opus qui, s'il revient sur des thèmes chers au cinéaste, s'éloigne de ses habitudes.

Ce qui suit contient des SPOILERS !


Fanny Fournier, jeune commissaire priseur, croise par hasard Alain Aubert, qu'elle avait connu au lycée. Il est devenu romancier et séjourne à Paris pour y achever son nouveau manuscrit. Ils conviennent de se revoir pour déjeuner à l'occasion. Fanny retrouve le soir son mari, Jean, un conseiller financier, avec lequel elle se rend à une réception où certains commèrent sur le décès de l'ex-associé de Jean, retrouvé mort mais qu'une enquête policière n'a pas réussi à désigner l'assassin.


Comme promis, Fanny revoit Alain qui lui avoue avoir été follement amoureux d'elle quand ils étaient lycéens sans avoir eu le courage de le lui dire alors. Depuis, comme elle, il a connu un premier mariage malheureux mais il ne s'est pas engagé dans une nouvelle relation depuis son divorce. Tout cela trouble Fanny qui se confie à sa meilleure amie, Chloé. Et Jean remarque aussi le trouble inexplicable qui s'est emparé de son épouse.


Finalement Fanny tombe dans les bras d'Alain et ils deviennent amants. Il lui faire lire son manuscrit qu'il rédige à la main et dont il n'a qu'un seul et unique exemplaire : l'histoire traite du hasard et des miracles qu'il faut savoir saisir, à l'image de leur liaison. Le week-end, à la campagne dans leur résidence secondaire, Fanny raconte discrètement à Camille, sa mère, son aventure extra-conjugale.
 

Jean décide de se tourner vers un détective privé, Henri Delany, pour faire suivre Fanny et savoir si elle a un amant comme il le soupçonne. Lorsqu'il en a le coeur net, il contacte deux hommes de main pour se débarrasser d'Alain et faire disparaître son corps. Fanny tente de contacter Alain pour lui annoncer son intention de quitter Jean mais bien entendu il ne répond pas à ses appels.


Lorsqu'elle revoit sa mère, Fanny ne sait plus quoi penser de la disparition soudaine de Alain mais Camille suggère qu'il n'a pas assumé leur liaison et s'est enfui. Avant qu'elle n'apprenne, lors du renouvellement des voeux de mariage de sa fille et de son gendre, l'histoire autour de l'ex-associé de Jean. Camille acquiert la conviction que ce dernier a pu régler son compte à Alain et en fouillant dans ses affaires trouve la carte du détective. Elle le rencontre mais Delany prévient ensuite Jean.
 

Jean planifie avec un complice le meurtre de sa belle-mère lors d'une partie de chasse à la campagne. Pendant ce temps, Fanny retourne chez Alain et découvre dans une cachette son manuscrit : elle comprend qui lui est arrivé malheur car il ne serait jamais parti sans. Un chasseur abat accidentellement Jean avant qu'il ne tue Camille au même moment.

Coup de Chance sera-t-il le dernier film de Woody Allen ? A 87 ans, le cinéaste l'a laissé entendre et on pourrait le comprendre : son âge avancé, les tracas qu'il a endurés suite aux accusations mensongères de son ex-compagne Mia Farrow et de leur fils Ronan (sur des faits d'abus sexuels sur leurs enfants adoptés), le fait qu'il soit désormais indésirable à Hollywood, le procès qu'il a intenté à Amazon pour avoir rompu le contrat qui les liait dans le financement de ses projets... Tout ça a de quoi vous faire douter.

Les comédiens de Coup de Chance ont eux-mêmes trouvé Allen déprimé au début du tournage. La pandémie de Covid l'a obligé à freiner son rythme habituel de travail à cause des confinements successifs, lui qui tournait un film tous les ans. Mais à la fin des prises de vue, il paraissait avoir retrouvé toute sa motivation, comme régénéré.

C'est que Woody s'est lancé un vrai défi : certes, ce n'est pas la première fois qu'il tourne à Paris (avant cela il y avait posé ses caméras pour Tout le monde dit I love you en 1996 puis Minuit à Paris en 2011), et il adore la France qui lui a toujours réservé un bon accueil (du moins jusqu'à Rifkin's Festival, son dernier opus, sorti en catimini (faute de distributeur assez courageux pour assumer son soutien). En revanche, c'est la première fois qu'il dirige un casting entièrement français et qui disent ses dialogues en français.

Il a même pour le coup accepté que ses comédiens révisent un peu leur texte pour corriger des expressions qui auraient manqué de naturel. Toutefois, ce changement de méthode a abouti à quelque chose de parfois déconcertant. L'exemple le plus frappant est l'absence total de bons mots, ces répliques pleines d'esprit dont Allen a le secret. De ce strict point de vue, Coup de Chance est sans doute son film le moins ouvertement drôle depuis longtemps, comme s'il s'était retenu ou simplement comme s'il avait préféré s'appuyer sur le récit et rien que lui.

L'intrigue évoque Match Point, référence assumée par Allen : on suit deux amants et un mari jaloux dans une histoire où le hasard joue un rôle important. Tout est parfaitement résumé par une phrase qu'aime répéter Jean : "la chance, ça se provoque." On appréciera l'ironie quand on verra quel sort attend ce mari qui considère, même s'il le nie, comme un trophée et qui s'emploie ensuite à éliminer l'amant de celle-ci puis sa belle-mère, trop curieuse.

Le film respecte la structure en trois actes avec 1/ le début de l'adultère ; 2/ l'assassinat de l'amant ; et 3/ l'enquête de la belle-mère. Chacune des deux premières parties est racontée de manière très sobre, économe, sans aucune ironie, tandis que le dernier tiers voit une investigation plus burlesque et au dénouement aussi abrupt qu'ironique. C'est la différence majeure avec Match Point qui assumait une part étonnante de tragédie, jusqu'au-boutiste, avec laquelle ne peut rivaliser Coup de Chance, moins charnel, moins radical.

Woody Allen semble un peu réservé sur jusqu'où il peut aller ici, comme si l'âge ou peut-être la barrière de la langue (ou le poids de sa réputation salie) le retenaient. La romance entre Alain et Fanny est finalement montrée de façon très sage, très loin des étreintes entre Scarlett Johansson et Jonathan Rhys-Meyer. En revanche, quand il s'engage dans la dernière ligne droite, Allen se lâche un peu plus grâce au personnage de la belle-mère, Camille, dont les méthodes maladroites et peu discrètes d'enquêtrice font sourire volontairement et apportent un contraste avec la toute fin du film.

S'il l'avait fait il y a quelques années, on pourrait croire à une oeuvre de transition, mais à présent cela apparaît comme un geste plus hésitant de la part de celui qui avait sur surprendre son monde avec Match Point ou Vicky Christina Barcelona dans un registre plus sensuel et noir ou comique. Néanmoins, cette étrangeté dans le ton n'est pas déplaisante et qu'elle soit volontaire ou pas donne au film une couleur à part. Si Woody ne prend pas sa retraite, il sera intéressant de voir comment il aborde son prochain opus (et où il le tournera, avec qui, etc.). Sans que cela n'ôte en rien à la beauté du résultat, grâce à la splendide photo du maesto Vittorio Storaro (au moins les techniciens n'ont pas tourné le dos à Allen).

La distribution a dû elle aussi certainement ne pas tenir compte des avis négatifs car, depuis Polanski, il règne en France la même désagréable atmosphère vis-à-vis des cinéastes ayant eu affaire à la justice (même s'ils ont été innocentés au final). Mais ils se sont tous prêtés au jeu avec enthousiasme, ne considérant que le plaisir à être filmé par un grand auteur. Lou de Laâge est absolument divine dans le rôle de cette jeune femme dépassée par ses sentiments. Niels Schneider hérite du rôle ingrat de celui qui lui fait tourner la tête avant de perdre la sienne. Melvil Poupaud est sensationnel en mari vaniteux et homicide. Ma seule réserve concerne Valérie Lemercier : non pas qu'elle dépareille, elle est même plutôt bonne dans sa partie, mais visiblement elle a abusé de la chirurgie plastique (pour un résultat affreux).

Je n'espère donc pas que Woody Allen en reste là mais je comprendrai qu'il le fasse. Je sais que je suis certainement trop indulgent avec son film, objectivement pas son meilleur, mais j'ai trop d'affection et d'estime pour lui pour rejoindre la meute qui veut l'enterrer, quel que soit le verdict de la justice à son égard.

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