mercredi 14 septembre 2022

SENSE8 (Finale) (Netflix)


Trois ans après ses débuts, Sense8 connaît son dénouement avec cet épisode final d'une durée exceptionnelle de 2h 40. Netflix n'avait pas renouvelé la série pour une troisième saison mais les fans s'étaient mobilisés et avaient convaincu la plateforme de streaming de produire un ultime chapitre pour conclure la saga imaginée par les Wachowskis et J. Michael Straczynski. Le résultat est assez bluffant compte tenu du défi à relever.


Tous les membres du cercle se retrouvent à Paris, laissant en plan leurs différentes activités : Capheus, en pleine campagne électorale : Lito sur le point de commencer le tournage de son film à Hollywood ; Sun recherchée par la police de Séoul... L'heure est grave : Wolfgang est aux mains du BPO et torturé pour révéler où se cachent ses amis. Mais le cercle tient Whispers et compte l'échanger contre Wolfgang. Riley est contactée par Hoy qui lui présente, à distance, River Al-Saadawi, la fille de Ruth Al-Saadawi, fondatrice du BPO qui lutte pour refaire de l'organisation une force de paix. Mais pour cela, elle demande au cercle d'éliminer Whispers. Impossible car cela reviendrait à sacrifier Wolfgang.


L'heure et le lieu de l'échange sont convenus par les deux parties. Tout va se dérouler dans une boîte de nuit parisienne, mais le cercle dispose d'un avantage car la propriétaire de l'endroit est une amie de Riley qui y a officié comme DJ. Le cercle compte faire d'une pied, deux coups en récupérant Wolfgang sans livrer Whispers Chacun se positionne mais Lila est également présente sur place avec sa garde rapprochée de sensitifs et l'échange dégénère. Si Wolfgang s'échappe comme prévu, c'est Lila qui enlève Whispers en éliminant les agents du BPO venus l'exfiltrer.


Frustré par la tournure des événements, le cercle est alors convoqué par la Mère de la Lacune, qui dirige le cercle le plus ancien encore en activité et vit dans un espace sécurisé, indétectable par les autres sensitifs et le BPO. Elle est aussi la mère de Whispers et révèle le plan de son fils qui en tuant les sensitifs et en voulant percer le secret de leur pouvoir compte accèder à l'immortalité. Elle permet au cercle de localiser Whispers aux mains de Lila Facchini qui veut négocier avec le BPO. Direction : Naples. Le Cercle élabore dans l'urgence une attaque contre le palais où Lila détient Whispers. Elle parvient encore une fois à filer avec son prisonnier mais Will, avec l'aide des autres, part à sa poursuite et finit par tuer le président du BPO, Whispers et Lila.



De retour à Paris, au sommet de la Tour Effeil, est célébré le mariage de Nomi et Amanita. L'occasion pour tout le cercle d'enfin profiter de la joie d'être ensemble, sans pression : Sun a été innocentée des charges qui pesaient contre elle, Kala observe avec plaisir la complicité entre Rajan et Wolfgang, Capheus reçoit Nakia, sa mère et son meilleur ami Jela, Lito embrasse Hernando et Daniela, Riley présente Will à son père. La nuit se prolonge dans une comunion sexuelle transcendentale entre les membres du cercle et leurs partenaires non sensifitfs.

Je n'ai pas le souvenir d'avoir vu un épisode de série aussi long : 2h 40, c'est un sacré morceau et on peut dire que si Netflix n'a pas renouvelé Sense8 pour une troisième saison, la plateforme de streaming a donné les moyens à J. Michael Straczynski et Lana Wachowski de conclure en beauté la série avec l'équivalent de trois épisodes réunis en un seul.

Le défi pour les auteurs était de clore une saga devenue très dense et dont on devinait bien qu'elle était partie pour durer. On peut supposer par exemple que si l'affrontement entre Whispers et le cercle n'allait pas s'éterniser, en revanche une guerre entre plusieurs cercles aurait pu avoir lieu, notamment autour du projet de Lila Facchini de transformer Naples en un refuge pour les sensitifs après une négociation avec le BPO. Lila avait tout pour remplacer Whispers dans le rôle de l'adversaire des héros.

Mais plutôt que cela, la série avait mis en place un enjeu plus concentré : Wolfgang était capturé par le BPO et le cercle avait capturé Whispers. Tout allait se régler autour d'un échange classique, en surface, de prisonniers, mais avec l'envoie des deux côtés d'en découdre.

L'action se déplace donc à Paris. Si Lana Wachowski et J. Michael Straczynski ne résistent pas à quelques images d'épinal (la Tour Effeil) et quelques gros clichés (le béret, la baguette, éléments d'un déguisement de Lito), ils restent focus sur leur histoire. Il y a de la tension et elle ne retombera pas jusqu'au dénouement, explosif, de ce méga-épisode.

Mais les auteurs savent aussi que, pour clore leur saga, il leur faut faciliter la tâche de leurs héros, moins expérimentés que leurs adversaires. C'est donc ainsi qu'ils convoquent à deux reprises des personnages à peine évoqués jusqu'alors ou même carrément inédits. Dans le premier cas, on assiste à une sorte de réunion de crise entre Riley, Hoy et River Al-Saadawi, la fille de la fondatrice du BPO, qui refuse de soutenir les projets homicides de Whispers et de l'actuel président de l'organisation. Elle est prêt à les sacrifier, mais évidemment Riley refuse car cela signifierait la mort pour Wolfgang.

On constate à cet instant que toute cette partie, au sujet d'une faction plus humaniste, pacifiste, du BPO, a été le parent pauvre de la série. Parfois mentionnée, elle n'a jamais été développée, et c'est dommage parce que, par exemple, on aurait pu imaginer que Jona l'ait rejointe et présentée plus tôt au cercle. A l place, le scénaristes ont préféré jouer sur l'ambiguïté morale de Jonas et des rebondissements le concernant assez grotesques (capturé, torturé, sauvé in extremis d'une lobotomie, s'alliant avec Whispers sans tout à fait devenir son complice).

La longue séquence qui va aboutir à l'échange entre Whispers et Wolfgang renoue avec les meilleurs moments de la série. La mise en scène est extraordinaire et tire parti d'un décor et d'une figuration spectaculaire qui rend l'action palpitante. C'est particulièrement efficace tout en étant narrativement limpide. On n'est jamais perdu, on voit où les personnages vont, le montage est nerveux mais limpide. Et surtout, à la fin, les cartes sont à nouveau rebattues (c'est aussi à partir de là qu'on devine où aurait pu aller la série si elle avait continué, avec donc le rôle central occupé par Lila Facchini).

Sense8 a toujours aimé nous faire voyager, et d'ailleurs tout a été tourné sur place, en décors naturels. On ne déroge pas à la règle ici, puisque, après Paris, on se déplace à Naples, cadre du climax de cet épisode. A nouveau, Wachowski et Straczynski introduisent une force inédite avec la Lacune. On n'en avait jamais entendu parler avant et évidemment, son apparition paraît un peu forcée par les événements. Il s'agit d'un groupe de sensitifs capables d'être indétectables et qui est basé dans un endroit dont on ignore la situation, et même s'il est dans le même plan que celui des héros (j'ai envie de croire qu'il s'agit d'une sorte de plan astral, un équivalent de la Matrice pour les sensitifs tant la scène est éthérée).

L'élément le plus important reste que la Mère de la Lacune est aussi la mère de Whispers. Les motivations de ce dernier pour en vouloir autant aux sensitifs ont finalement été toujours assez nébuleuses. La série a joué sur un parallèle, un peu délicat, entre les juifs (les sensitifs) et les nazis (le BPO), donc Whispers serait une sorte de SS ou de Gestapiste. En vérité, il est aussi lui-même un sensitif mais avec une ambition qui se révèle assez convenue : percer le secret de l'immortalité en tuant le maximum de ses semblables.

J'avoue ne pas bien voir le rapport entre percer le secret des cercles et l'immortalité, et à tout prendre j'aurai préféré que Whispers soit resté un simple homo sapiens jalousant les sensitifs ou un sensitif moins puissant enviant les avantages que procure un cercle pour justifier sa croisade. Là, on a surtout le sentiment d'un fils à maman capricieux et mégalomane, et au bout du compte le personnage semble vraiment avoir été épuisé par les auteurs qui ont trouvé avec Lila Facchini une méchante plus charismatique, vicieuse, et avec un potentiel plus élevé (justement parce que son projet est plus politique et ses méthodes plus redoutables, plus directes).

Il y a une ressemblance impossible à dissimuler entre Sense8 et les X-Men : tous deux sont persécutés, forment une communauté, et possèdent en leur sein l'équivalent d'individus (Al-Saadawi, la Mère de la Lacune/Charles Xavier) cherchant la cohabitation paisible avec les homo sapiens et d'autres (Whispers, Lila Facchini, le BPO/Magneto) à imposer leur domination sur ces mêmes sapiens. Mais JMS et Lana Wachowski n'ont pas su imposer avec autant de clarté ces deux clans, sans doute parce qu'ils ont mené de front les arcs narratifs de chacun des membres du cercle et du cercle en tant que groupe. On en revient toujours à Lost qui, également, ne voulait pas choisir entre ses personnages et son intrigue générale.

Inspiré par le Cheval de Troie, l'attaque du cercle à Naples nous gratifie d'une séquence d'action jubilatoire, avec une fusillade spectaculaire et quelques intermèdes où on retient son souffle. Bon, on notera aussi que durant cette séquence, Lito ne sert strictement à rien - comme souvent (toujours ?) alors que c'était vraiment le moment culminant pour prouver à quel point le partage des compétences entre les membres du cercle se transmettent (Riley se sert d'un flingue avec adresse parce qu'elle est connectée à Will et Wolfgang). Une autre erreur aura sans doute d'avoir impliqué dans cette fusillade les non sensitifs amis du cercle : Rajan est un vrai boulet, comme Daniela et Hernando, alors que Mun a évidemment plus sa place étant donné son expérience des armes en tant que flic. On retient aussi son souffle quand Kala prend une balle.

Mais, au fond, il est clair que personne ne devait mourir au sein du cercle : les fans auraient été en colère et les auteurs eux-mêmes ne voulaient pas finir sur une note triste, ce qui justifie qu'ils passent tous à travers un feu nourri du gang de Lila sans être touchés - un vrai miracle. Seule donc Kala manque d'y passer. Tuer Kala aurait été injuste parce que le personnage a gagné en intérêt dans cette seconde saison et que ni ce nigaud de Rajan ni Wolfgang ne méritaient de la perdre.

La manière dont le sort de Whispers, Lila et le président du BPO est réglé sent le plus la contrainte de conclure en un épisode. Il fallait faire en sorte que plus rien ni personne ne vienne menacer le sensitifs et quoi de mieux qu'une bonne roquette lancée sur un hélico emportant les méchants loin de Naples ?

Enfin, la série se referme sur le mariage de Nomi et Amanita : les violons sont de sortie, tout le monde verse sa larme... Avant de s'offrir une orgie transcendentale ! Hé oui, ça se passe comme ça chez les sensitifs, qui ne sont pas égoïstes puisque même les non-sensitifs en profitent - Daniela, Hernandi se partagent Lito, Wolfgang initie Rajan au triolisme... C'est filmé avec fièvre mais sans vulgarité.

Tout est bien qui finit bien. On quitte Sense8 avec le sentiment du devoir accompli, même si tout n'est pas parfait (mais la perfection est chiante). On aurait aimé que ça continue, mais en l'état ça reste très convaincant. Comme pour The OA, Netflix a abandonné une série très originale, très prometteuse, et qui n'a pas eu d'héritière à ce jour. On dit adieu à cette chouette bande de héros, jouée par une troupe d'acteurs formidables (dominée par les femmes - Jamie Clayton, Tuppence Middleton, et la divine Doona Bee), avec un pincement au coeur. Mais il c'est parce qu'on regrette de les voir partir qu'on sait qu'on les a aimés.

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