vendredi 4 septembre 2020

BLACK WIDOW #1, de Kelly Thompson et Elena Casagrande


Longtemps repoussée à cause de la crise sanitaire, la nouvelle série Black Widow est enfin disponible, même si elle ne sort pas en même temps que le film éponyme comme prévu. Aux manettes : Kelly Thompson et Elena Casagrande, une équipe artistique 100% féminine (sans compter la coloriste Jordie Bellaire). Et le défi de faire aussi bien, sinon mieux que le run de Waid-Samnee. Pari gagné ? En tout cas, un début encourageant.


En froid avec Hawkeye, Black Widow accomplit une mission secrète dont elle remet le produit à Captain America. Elle rentre ensuite chez elle mais remarque une présence suspecte dans son appartement.


C'est un piège et bien qu'elle le détourne, elle est défenestrée. Black Widow est-elle morte ? En tout cas, elle disparaît...


Trois mois plus tard, elle visite le chantier d'un immeuble dont elle a les plans et conduit les travaux. Puis elle quitte les ouvriers et répond au téléphone en passant successivement devant une équipe de télé en reportage et la vitrine d'un concessionnaire de motos.


Filmée à son insu, Natasha Romanoff est vue à la télé par Hawkeye et le Soldat de l'Hiver. Les deuxa anciens amants de la Veuve Noire, bouleversés, conviennent de se rencontrer pour mener l'enquête.


Natasha rentre chez elle, dans une villa à l'extérieur de San Francisco, où l'attend l'homme qu'elle aime. Mais ils sont sous surveillance...

Initialement (comme prochainement, en Novembre, avec Eternals de Kieron Gillen et Esad Ribic), ce nouveau volume des aventures de Black Widow devait paraître en parallèle de la sortie au cinéma du film consacré à l'héroïne. Puis la crise sanitaire a bouleversé les plans de Marvel qui a finalement décidé de publier le titre avant le long métrage, mais après quand même plusieurs reports.

Kelly Thompson hérite de la périlleuse mission de succéder à Mark Waid et Chris Samnee, les derniers à avoir animé avec succès la Veuve Noire. La scénariste a donc toujours la confiance de son éditeur, visiblement satisfait de ses dernières prestations (pourtant moyennes) sur Deadpool et Captain Marvel. J'ai longtemps apprécié son travail, frais et efficace, mais sur des séries qui n'ont pas rencontré le public (Hawkeye, West Coast Avengers), puis j'ai noté des faiblesses récurrentes dans ses scripts (une incapacité chronique à opposer à ses héros des adversaires attrayants, des arcs construits en dépit de bon sens).

Avec Black Widow, Thompson renoue avec un personnage qui semble mieux taillé pour elle, une héroïne sans pouvoir, avec un supporting cast bien établi, et la possibilité de disposer de vilains atypiques. Bien entendu, en iterview, la scénariste répéte, comme d'habitude, qu'elle adore Natasha Romanoff, qu'elle a toujours rêvé de l'écrire : de la comm' éculée, dont on vérifiera la pertinence à l'usage.

Néanmoins, s'il faut reconnaître un talent à Thompson, c'est de démarrer ses récits avec efficacité. Elle a un don certain pour introduire la vedette de la série et la placer dans une position accrocheuse. Cette fois ne fait pas exception : après une mission rondement menée, Black Widow est piègée chez elle et tombe de plusieurs étages. Une chute mortelle... sauf que, trois mois après, on la retrouve, bien vivante, en bonne santé, mais ayant complètement changé de vie. Elle vit avec un homme, s'occupe du chantier d'un immeuble, semble avoir quitté son existence d'espionne-super-héroïne. Que s'est-il passé ?

L'habileté de Thompson, c'est de se servir de Hawkeye (Clint Barton) et du Soldat de l'Hiver (Bucky Barnes), accessoirement deux des anciens amants de la Veuve Noire, comme de personnages aussi interloqués que le lecteur. Ils la croyaient morte, ou du moins disparue, et la voilà qui réapparaît à la télé, filmée à son insu dans une rue de San Francisco. Ils vont mener l'enquête pour nous. Et quand, à la dernière page de l'épisode, on voit un célébre ennemi des X-Men surveiller Black Widow en attendant d'avoir l'autorisation de la tuer, notre intérêt est piqué.

En une vingtaine de pages, on a de l'action, du mystère, de la romance, un cliffhanger, tout ce qu'il faut pour avoir envie de lire la suite. Ce n'est pas révolutionnaire mais ce n'est pas le but : il faut établir le personnage de la Veuve Noire auprès du grand public et l'installer comme la vedette d'une série bankable, alors que, malgré des équipes artistiques de talent, ces dernières années, ses différents volumes n'ont pas excédé la quinzaine d'épisodes (période Nathan Edmondson-Phil Noto, où la série a été interrompue à cause de la saga Secret Wars).

Marvel veut actuellement prouver qu'il donne sa place aux femmes et aux "minorités visibles", dans ses comics et ses films. Traduction concrète : Black Widow est écrit par une femme mais également dessiné et colorisé par deux autres femmes. On peut apprécier l'effort comme de l'opportunisme politiquement correct. Ou admettre le talent des personnes chargées de donnie vie au projet.

Elena Casagrande a connu un parcours chaotique depuis qu'elle a été révélée en 2013 par la série Suicide Risk de Mike Carey. A cette époque, tout le monde lui prédit un bel avenir, sauf qu'elle n'a jamais transformé l'essai, passant d'un titre à l'autre, sans jamais gagner la confiance d'un editor. Elle a fini par devenir le fill-in d'un fill-in artist chez DC (en jouant les doublures de Fernando Blanco sur Catwoman). Puis elle a signé un contrat chez Marvel (où elle avait dessiné quelques épisodes de Red Hulk et quelques pages d'Ultimate Spider-Man).

Autant dire que Black Widow représente pour Casagrande une opportunité de vraiment être reconnue. A la lecture de ce premier épisode, il est indéniable qu'elle est très motivée et inspirée. Son découpage est très dynamique, avec une grande variété dans le choix des angles de vue. La valeur des plans est remarquablement juste. Assumant dessin et encrage, elle a le contrôle total de ses images et cela se ressent. Son style est très élégant, expressif, mais sobre et efficace.

Ce qui séduit pourtant le plus chez Casagrande, c'est sa manière de représenter les personnages. Sa Veuve Noire est particulièrement séduisante, avec une longue chevelure, une silhouette élancée et distinguée, un visage d'une grande beauté. Sa gestuelle est mesurée mais trahit une féminité assurée, c'est une personnage maître d'elle-même, bien proportionnée, dont on admet l'effet qu'elle fait sur les hommes sans jamais être vulgaire. Qu'elle mette une raclée à une bande d'hommes de main, accomplisse des acrobaties impossibles, ou visite un chantier puis chevauche une moto, elle est crédible.

En outre, Casagrande bénéficie d'une des meilleures coloristes actuelles avec Jordie Bellaire. Celle-ci utilise une palette chaude, avec des rouges, des beiges, des bruns. Cela confère une ambiance très spéciale à l'histoire, loin des clichés associés au personnage (la Russie, la neige, le froid). Ici, on est dans un environnement urbain mais solaire, qui semble prolonger la crinière flamboyante de la Veuve Noire. Le résultat est magnifique.

Vous l'aurez compris, j'ai été charmé par ce "pilote", très prometteur. En même temps, je reste prudent car Kelly Thompson a l'habitude de ces commencements canons sans forcément tenir sur la distance. Mais avec Elena Casagrande et Jordie Bellaire, elle a deux sérieux atouts dans la manche, et à mon avis plus de liberté qu'avec Deadpool ou Captain Marvel tout en ayant une héroïne plus populaire que Kate Bishop ou les WCA. 

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