mardi 28 juillet 2015

Critique 675 : RICHARD STARK'S PARKER - BOOK 4 : SLAYGROUND, de Darwyn Cooke


RICHARD STARK'S PARKER : SLAYGROUND est le 4ème récit complet (après The Hunter ; The Outfit et The Score) écrit et dessiné par Darwyn Cooke adapté d'un roman de Richard Stark (alias Donald Westlake), publié en 2013 par IDW.
Deux histoires composent ce volume : Slayground comprend 78 pages, et The Seventh 13 pages (réalisée en 2011).
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- Slayground. A Buffalo City (état de New York), durant l'hiver 1969, Parker et 2 complices, Grofield et Laufman, braquent un fourgon blindé transportant 73.000 $. 
En prenant la fuite, Laufman perd le contrôle de leur voiture, paniqué par les sirènes de police toutes proches. Ses deux acolytes k.o., Parker choisit de fuir, seul, avec le butin, et se réfugie à l'intérieur d'un parc d'attractions fermé pour la saison, "Fun Island.
Mais Benito Lozini, fils du parrain local, surprend le voleur dans sa cavale et entreprend avec quelques hommes de l'éliminer et récupérer son magot. Parker repère rapidement les lieux et se prépare à affronter ces adversaires, commençant (sans savoir qui il est) par tuer Benito. Le père de celui-ci prend alors les choses en main, avec une petite armée, pour venger son fils. Deux filcs ripoux sont aussi de la partie.
Parker comprend alors qu'il doit sortir de là, quitte à y laisser l'argent, et que la seule issue est l'entrée du parc.

Après avoir lu Slayground, plusieurs interrogations assaillent le fan de ces adaptations des séries noires de Richard Stark par Darwyn Cooke.

En effet, après The Score, le précédent tome de cette collection, Cooke avait annoncé vouloir s'attaquer à The Handle (Parker reprend son vol en v.f.), un des meilleurs épisodes de la série. Pourquoi a-t-il changé de programme ? Mystère. Mais il semble que l'artiste canadien ait traversé (traverse toujours ?) une période de doute, l'ayant conduit à modifier ses plans : depuis il a annoncé successivement une mini-série en trois épisodes chez Image Comics, Revengeance - prévue à partir de Juin 2015, rien n'est sorti... - puis, dernièrement, à la San Diego Comic Con, son nom a été affiché à côté de celui de Gilbert Hernandez pour un nouveau projet (qu'il se contentera de dessiner), Twilight Children. Quant à un cinquième (et dernier ?) opus de Parker, Cooke a promis qu'il voulait adapter Butcher's Moon (l'histoire qu'il préfère) en 2016...

Dérouté par tous ces rebondissements, j'ai longtemps tourné autour de Slayground, hésitant à poursuivre l'aventure qui semblait compromise, avant qu'on me l'offre finalement. Je ne le regrette pas, même si le compte n'y est pas complètement : il faut bien admettre qu'il n'atteint pas la qualité (extraordinaire, il est vrai) des précédentes adaptations...

Il est toutefois délicat de faire le difficile devant une production qui demeure supérieur au tout-venant des comics. Darwyn Cooke reste fidèle au haut degré d'exigence affiché depuis le début de la collection. Comme par le passé, on a droit à une nouvelle leçon de storytelling, d'autant plus magistrale qu'elle fonctionne selon de nouveaux procédés aussi bien narratifs que visuels.

Slayground ressemble à un pur exercice de style : son intrigue réduite à sa plus simple expression (un gangster coincé dans un lieu contre une horde de malfrats) est un défi dont on saisit l'attractivité pour un artiste comme Cooke. 

Le décor unique (le parc d'attractions de Fun Island), la préparation des pièges, la bataille déséquilibrée, même le dénouement convenu (puisque, ça n'est pas un spoiler, Parker s'en sort bien sûr), sont autant de figures imposées que le scénariste-adaptateur doit rendre palpitants et auquel le dessinateur doit donner vie.

Ensuite, il faut soutenir un récit quasiment muet, mu par l'action, dénué de psychologie (si ce n'est les efforts tactiques déployés par Parker). C'est sur ce point qu'on pourra être frustré, sinon déçu, car Slayground ne permet pas d'enrichir la caractérisation du héros - tout juste aura-t-on une nouvelle confirmation du génie criminel qu'est Parker, dont le sang-froid et la brutalité semblent l'établir comme un personnage supérieur à tous ses homologues. Evidemment, à ce compte, les seconds rôles n'existent pas au-delà de simples clichés (le parrain et son fils, les flics corrompus, les hommes de main). Grofield ne fait que de la figuration, Laufman aussi.
(Et là, bien entendu, on déplore que Cooke ait abandonné l'adaptation de The Handle, avec son casting fourni et charismatique et son intrigue spectaculaire et touffue...)

Ce qui semble avoir particulièrement motivé Cooke, c'est, outre l'exploitation du décor du parc d'attraction, le désir d'imposer Parker comme une sorte de super-gangster, figure mythologique, mis à l'épreuve dans une situation où il est isolé, mais triomphant de tout (et tous) grâce son sens de l'anticipation et sa présence physique supérieurs à ses ennemis. Si tel était l'objectif, c'est indéniablement réussi.

Vous l'aurez deviné, ce tome vaut donc surtout pour son brio formel. Cooke ne s'y serait pas pris autrement s'il avait voulu démontrer à toute la profession sa maestria, mais en même temps, qui ignore encore le talent du bonhomme ?

La représentation des personnages est dépouillée à l'extrême tout en se référant à l'esthétisme des années 50-60, avec des traits simples et bruts qui flirtent avec l'abstraction. Un examen attentif des images et de leur découpage prouve que Cooke ne garde que l'essentiel pour que le regard du lecteur assimile immédiatement les informations qu'il veut communiquer : cela aboutit à une lecture rapide tout en étant particulièrement intense car on ne veut pas risquer qu'un élément nous échappe.

Lire les Parker de Cooke revient à avancer dans le terrain balisé du polar tout en étant constamment déstabilisé par l'épure graphique de l'artiste : il tire le maximum des effets que lui inspire le décor avec une variété d'angles de vue, de valeurs de plans, tout à fait surprenante et virtuose. 

Pour ne pas égarer le lecteur et lui faire admettre que Parker peut s'en sortir malgré la situation très compromise à laquelle il fait face, Cooke intègre même un plan du parc d'attraction avec un dépliant (pages 26-27-28) ! C'est tout sauf une facilité ou un gadget, mais une extension de la planche de bande dessinée via le support qu'on trouverait dans un endroit pareil pour se repérer. Lorsque ensuite on suit Parker dans les différentes îles de Fun Island, en découvrant comment les outils conçus pour divertir les visiteurs deviennent autant d'armes pour un fugitif contre des poursuivants et leur arsenal, on n'a aucun problème pour savoir où on est ni pour admettre le détournement que fait Parker du matériel sur place. C'est aussi la preuve que Cooke, comme s'il s'était inspiré d'un décor authentique, a effectué un travail de repérage, qui solidifie l'édifice de son adaptation.

Econome en texte, Slayground doit donc fonctionner suivant de nombreuses séquences muettes. Dès l'ouverture, Cooke nous immerge dans les tonneaux de la voiture des bandits sur une chaussée enneigée et glissante, en nous y préparant selon la méthode d'Hitchcock (la nervosité de Laufman et les mises en garde de Grofield sur sa conduite annoncent l'accident inévitable).

Lorsque Parker visite les pavillons du parc d'attraction et prépare les pièges pour "accueillir" les hommes de Lozini, Cooke se passe là aussi facilement de texte en rendant chaque geste de son héros bien lisible, même si là, en revanche, on découvrira le moment venu comment ses ruses fonctionnent.

Le noir et blanc, rehaussé de gris, dramatise puissamment ce théâtre des opérations, rendant oppressant le cadre pourtant fantaisiste où se concentrent les personnages. Sans aller aussi loin dans la radicalité que Frank Miller (dans Sin City), Cooke joue avec des formes, des silhouettes, des lumières et des ombres aux contrastes appuyés. 

Slayground est une curiosité, quasiment une expérimentation, à la fois dans la collection des Parker et plus généralement dans l'oeuvre de Cooke. Il pourrait très bien s'agir d'un récit dont Parker ne tiendrait pas le rôle principal puisque rien ne vient le préciser. Ainsi donc, on lit cet album comme un très brillant exercice de style, plus que comme une aventure enrichissant la mythologie de la série. Impressionnant visuellement donc, mais plutôt creux scénaristiquement.
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- The seventh. Parker dérobe dans un stade la coquette somme de 115 000 $ avec six compères. Il doit veiller sur la somme jusqu'au partage et, en attendant, retrouve dans un hôtel Ellie, une jeune femme. Mais celle-ci a été assassinée par un des membres du groupe, qui abat ensuite les autres lancés à sa recherche. Parker le rattrape dans un chantier de construction d'immeubles, bien décidé à s'en débarrasser mais après avoir récupéré l'argent.

Peut-être parce qu'avec ses 80 pages, l'album était un peu maigrelet, Darwyn Cooke et IDW l'ont complété avec The 7eventh, bien qu'il ne s'agisse ni d'une suite ni d'un épilogue à Slayground.

Cette course-poursuite, en noir et blanc avec des à-plats orange et quelques trames, est cependant également épatante : la concision de l'argument, la violence omniprésente, donnent une efficacité redoutable à la lecture. 

Mais ces qualités sont aussi les défauts de l'entreprise qui, au même titre que Slayground, n'ajoute rien à la légende de Parker. Tout cela est totalement dénué de suspense et ne comporte aucun élément psychologique supplémentaire enrichissant la série et son héros.

Reste que Cooke y déploie un tel savoir-faire qu'on peut penser qu'il arriverait à rendre passionnant n'importe quoi : c'est un page-turner imparable. Mais, attention quand même : ce serait dommage qu'un tel talent ne serve qu'à illustrer des choses aussi anecdotiques.

Quel que soit le prochain projet du canadien, on espère qu'il renouera avec une histoire plus consistante... Et qu'il n'en ait pas fini avec Parker. 

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