mardi 28 juin 2011

Critique 240 : THE MARQUIS 1 - DANSE MACABRE, de Guy Davis


The Marquis : Danse Macabre est le premier volume de la série créée, écrite et dessinée par Guy Davis, initialement publiée par Oni Press (Les Preludes) en 1997 puis par Dark Horse à partir de 2000.
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Au XVIIIème siècle, dans la ville de Venisalle, Vol de Galle, ancien inquisiteur, chasse les démons sous le masque et la cape du Marquis. Il agit seul, et non pour la police commandée par Herzoge ou le Ministère de l'Inquisition dirigé par Morséa, qui font déjà régner dans la cité un ordre moral à la fois strict et étrange, autorisant par exemple des orgies où les notables se délivrent du vice dans la débauche.
Mais Vol de Galle est-il vraiment la main (armée) de Dieu, servant la Sainte de Massard, ou un dément puritain en proie à des visions délirantes, et peut-être manipulé par le Diable lui-même, qui aurait déjà employé dans un Moyen-Âge dévasté par la peste un premier agent pour récupérer les âmes damnées échappées des Enfers ?
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The Marquis a connu, comme l'explique Guy Davis dans la postface de cet album, une genèse difficile. Dans un premier temps, en 1997, il imagine ce projet et en réalise quelques planches pour Caliber Press, un éditeur indépendant. Mais il n'est pas satisfait du résultat.
L'auteur s'engage alors dans d'autres projets, qu'il ne fait que dessiner la plupart du temps, tout en revoyant sa copie, la corrigeant, la développant. Il soumet une nouvelle version à Oni Press, puis Dark Horse hérite de l'ensemble, Davis ayant prévu entretemps de signer une série en trois volumes. Danse Macabre est le premier de ces tomes, incluant Les Préludes, le récit inaugural imaginé en 97, et les cinq premiers épisodes, publiés à partir de 2000.
Chez Dark Horse, Davis est devenu un des hommes de main de la star-maison, Mike Mignola, en illustrant un long run du spin-off d'Hellboy, B.R.D.P. (mettant en scène les partenaires du colosse écarlate). The Marquis a profité de l'exposition de la production de Mignola pour que de nouveaux fans, plus nombreux, découvrent la création de Davis.
Pour ma part, j'ai mis la main sur cet album en fouinant dans un bac de bandes dessinées soldées : 5 E et quelques pour un livre de 190 pages, c'était une occasion immanquable.
Avec son masque impassible, inspiré du carnaval, sa cape noire, sa mission extrémiste, le Marquis fait indiscutablement penser à Vde V pour Vendetta, le chef-d'oeuvre d'Alan Moore et David Lloyd : Guy Davis ne mentionne pas cette référence dans ses notes de postface mais il est impossible qu'il n'y ait pas pensé.
Néanmoins, là où Moore livrait une réflexion acerbe contre le Tatchérisme, le totalitarisme, les camps de concentration, et l'anarchisme, Davis nous entraîne dans une direction empruntant à la fois à la réinterprétation historique, au fantastique et à l'épouvante.
La réussite de la série tient d'abord à la complicité entre le fond et la forme : dessiné en noir et blanc, d'un trait fin, réhaussé de trames grises et d'à-plats noirs profonds et parcimonieux (avec un passage rouge-oranger au chapitre cinq), l'histoire dispose d'une ambiance saisissante, austère, mais dont le découpage à la fois simple et subtil abonde en cases horizontales, jouant sur un flux de lecture vertical (des images successives révélant in fine un plan d'ensemble, commençant par le ciel et se terminant au sol) et des travellings avant/arrière (suggérant l'entrée en la sortie dans l'esprit torturé de Vol de Galle se confiant à la Sainte de Massard).
On pénétre donc facilement, par ces procédés de mise en scène, dans une histoire maniant admirablement l'ambiguïté jusqu'à une scène cruciale où le lecteur comprend ce que le héros nie, à savoir qu'il est sujet à des visions délirantes, croyant reconnaître des démons sous forme humaine mais seulement quand il porte son masque de Marquis.
Au cinquième et ultime chapitre, qu'on peut interpréter au choix comme le développement final de la démence de Vol de Galle ou comme l'affirmation narrative que le récit est une pure fantasmagorie, après un duel entre le Marquis et son prédécesseur, Misarae, Guy Davis précipite son héros et le lecteur en Enfer. C'est l'occasion d'une longue séquence saisissante, cauchemardesque et philosophique, mais qui ne plombe pas l'histoire : au contraire, les dialogues, rédigés dans un style précieux, restent parfaitement intelligibles et augmentent le trouble du héros et du lecteur, offrant un "twist" remarquable.
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Agrémenté de croquis préparatoires, commentés par l'auteur, et de planches inédites, y compris de la toute première version du projet, l'album est un très bel objet et The Marquis s'impose comme une bande dessinée singulière et mémorable, vraiment à part mais redoutablement efficace.
Une expérience à tenter, fabuleusement écrite et mise en image.

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