lundi 28 février 2011

Critique 210 : THOR THE MIGHTY AVENGER - VOL. 1, de Roger Langridge et Chris Samnee

Thor The Mighty Avenger volume 1 rassemble les 4 premiers épisodes (sur huit) de la série écrite par Roger Langridge et dessinée par Chris Samnee, publiée en 2010 par Marvel Comics. Les épisodes 83-84 de Journey Into Mystery, de 1963, écrits par Stan Lee et dessinés par Jack Kirby, où apparut pour la première fois le personnage de Thor, complètent le programme.
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Dans la perspective de son adaptation au cinéma, le personnage de Thor a été décliné en plusieurs séries l'an dernier, en parallèle au titre principal qui avait été relancé par J. Michael Straczynski et Olivier Coipel en 2008. Thor The Mighty Avenger s'est distingué à la fois par son ton et (hélas !) par son insuccès commercial (malgré d'excellentes critiques), alors qu'il s'agissait d'une version très accessible. Prévue pour (au moins) 12 épisodes par son scénariste, elle a été annulée au bout de 8 numéros et ce recueil présente donc la première moitié de cette production.
JMS a ressucité Thor en en faisant une bande dessinée volontiers décalée, souvent contemplative et mélancolique, traversée par des séquences d'action spectaculaires. L'auteur qui a claqué la porte de Marvel après des désaccords artistiques (il jugeait prématuré que Thor soit au centre d'une saga comme Siege et il était brouillé avec l'éditeur-artiste Joe Quesada depuis la fin de son run sur Amazing Spider-Man, avec l'arc One More Day) a été remplacé par Kieron Gillen qui lui-même vient de céder sa place à Matt Fraction, sans que la magie n'opère à nouveau.
Roger Langridge, qui a, entre autres, collaboré au Muppet Show, a choisi d'aborder le personnage en revenant à la fois à la source, celle de Stan Lee et Kirby, dont on peut redécouvrir le travail dans cet album, tout en réécrivant certains éléments.
La première de ces "révisions" concerne la localisation de l'histoire, qui ne se déroule pas à New York ou Los Angeles, mais Bergen, Oklahoma, au coeur de l'Amérique. Dans ce décor inédit, on peut lire comme un résumé du projet qui consiste à aborder le sujet tout en se décalant de la norme.
Ensuite, Langridge fait du dieu du tonnerre un étranger perdu au milieu de nulle part.

Chassé d'Asgard pour une faute dont on ne saura rien (du moins au terme de ces 4 épisodes) mais suffisamment importante pour provoquer le courroux de son père, Odin, Thor est non seulement un vagabond, mais il a perdu ses pouvoirs et la mémoire.

On constate donc que le récit ne se déroule pas dans la continuité classique (Odin est toujours vivant) tout en reprenant des idées de Lee (Thor banni par son père et amnésique).

Thor récupère ses pouvoirs et une partie de sa mémoire (il continue d'ignorer la raison de son bannissement) avec l'aide de Jane Foster, conservatrice au musée de Bergen, qui lui permet d'accéder à une urne où il retrouve son marteau Mjolnir. Là encore, on remarque que si Jane Foster est bien là, elle a changé de métier (dans la version classique, c'est une infirmière) mais surtout de statut (elle participe activement à la "restauration" de Thor, quitte son fiancé pour l'aider, en tombe progressivement amoureuse).
Enfin, le récit s'articule autour de rencontres-confrontations : d'abord, celle de Thor avec Jane Foster ; puis celle de Thor avec Mr Hyde qui convoîte également une relique du musée ; puis celle de Thor avec Giant-Man et la Guêpe ; et enfin celle de Thor avec les 3 guerriers (Fandral, Hogun et Volstagg) et Captain Britain. A chaque fois, le scénario est fondé sur un malentendu, débouche sur une bagarre, et aboutit à une réconciliation (sauf avec Mr Hyde).
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S'il y a une qualité indéniable à Thor The Mighty Avenger, c'est son humour irrévérencieux : Langridge s'amuse avec son héros en en faisant un idiot, impulsif, maladroit, qui ignore même pourquoi il a été puni mais agit sans réfléchir (il s'en prend à Giant-Man en le prenant pour un géant des glaces, ennemi des Asgardiens, ou à Captain Britain parce qu'il lui a demandé de se calmer). C'est vraiment jubilatoire de voir ce héros, d'habitude majestueux, emphatique, dépeint comme un benêt, mais sans doute est-ce cela qui a déplu au lecteur lambda, réticent à voir ses icones maltraités, même si c'est fait avec davantage de malice que de méchanceté.
Car Langridge ne se moque pas de son héros : s'il l'écrit comme un idiot, c'est un idiot sympathique, attachant, séduisant, un grand gamin qui assomme le méchant et reconnaît ses torts (même avec du retard). Et c'est aussi parce qu'il nous le montre à travers les yeux de Jane Foster.
Ce personnage féminin, tel qu'interprété par Langridge, n'est pas une potiche ou un faire-valoir, mais une jeune femme qui, comme Thor, se cherche et qui, en l'aidant à se (re)trouver, se trouve aussi. Cet aspect sentimental a dû également dérouter le lectorat traditionnel, qui n'est plus habitué à cela dans le Marvelverse actuel où les héros sont d'abord en couple avec des héroïnes ou des filles auxquelles ils cachent leur double vie. Thor The Mighty Avenger, c'est d'abord la romance d'un dieu et d'une mortelle qui savent chacun qui est l'autre, mais pas forcèment qui ils sont eux-mêmes.
Langridge fait preuve d'un humour subtil et léger pour décrire de décalage et Jane Foster joue le rôle d'une éducatrice pour Thor en lui apprenant des choses ordinaires qui définissent l'humanité, qu'il s'agisse d'utiliser un téléphone, de s'habiller de manière discrète, ou de sortir se détendre avec des amis. Elle est le guide du héros et du lecteur. Chez Stan Lee, Jane Foster était la demoiselle en détresse sauvée par le valeureux et puissant Thor. Chez Langridge, c'est une jeune femme moderne, dépassée par les évènements certes, manquant de confiance en elle, mais déterminée : elle héberge Thor mais sans lui ouvrir son lit (il couche sur le divan du salon), et à titre provisoire (le temps qu'il retrouve la mémoire).
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La finesse et le charme de la série doivent aussi beaucoup au dessin de Chris Samnee, dont le style tranche également avec les standards (un trait épuré mais expressif, un découpage très simple et classique).
L'apparence de Thor a été retouchée : moins massif, le costume designé par Coipel légèrement modifié (les aîles du casque réduites, moins de côtes de maille), il gagne en jeunesse et en élégance. L'influence d'artistes comme Ditko, Toth ou de l'école de la "ligne claire" est manifeste, mais très bien digéré par ce dessinateur qui préfère un graphisme dépouillé et juste aux grands effets. Il y a une modestie esthétique en même temps qu'une vraie beauté dans cet ouvrage.
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Thor The Mighty Avenger accomplit un exploit notable : il réussit à donner une véritable nouvelle jeunesse à un personnage qui a près de 50 ans en respectant à la fois les clés du héros et en les renouvelant. C'est un comic-book qui possède ce qui fait défaut à nombre de productions super-héroïques : du coeur. Et c'est pour cela que ce livre est irrésisitible - et que l'échec commercial de ce projet est terriblement rageant. Alors, lisez cette pépite et appréciez sa rareté.

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