lundi 21 septembre 2009

Critique 102 : POWERS 2, de Brian Michael Bendis et Michael Avon Oeming


Powers est une série créée par Brian Michael Bendis et Michael Avon Oeming en dehors des circuits traditionnels (ce qu'on appelle un "creator-owned"), même si la série a ensuite publiée par Image Comics puis reprise par le label Icon de Marvel. Ce projet a été conçu avant que son scénariste ne devienne la vedette de la Maison des Idées, aux commandes des Nouveaux Vengeurs ou Ultimate Spider-Man : Bendis était d'ailleurs un auteur complet à l'époque. Quant à Avon Oeming, il a poursuivi depuis une prolifique carrière de scénariste et d'artiste.
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Powers se déroule dans un monde où les superpouvoirs sont une convention, même si ceux qui en détiennent sont relativement rares. On y suit les aventures de deux officiers de police, Christian Walker et Deena Pilgrim, attachés au département des enquêtes sur les "powers" (soit les individus dôtés de capacités paranormales). Walker lui-même a été un super-héros du nom de Diamond mais il est devenu un simple flic après avoir perdu ses pouvoirs. Néanmoins, il a gardé des contacts avec la communauté métahumaine.
Deena Pilgrim, sa partenaire, cache aussi un secret : elle possède des super-pouvoirs depuis qu'elle a affronté un malfrat nommé the Bug. Avec Walker, elle forme un tandem contrasté où son franc-parler tranche avec la réserve de son collègue mais tous deux partagent le même goût pour l'action et sont des détectives pugnaces, prêts à défier leur hiérarchie pour résoudre une affaire.

Dans ce recueil, qui regroupe les épisodes 7 à 11, on trouve deux histoires distinctes :

- la première s'intitule Warren Ellis. Oui, "le" créateur de Planetary et Authority est l'acteur de ce récit articulé comme une mise en abîme du métier de scénariste de comics : il accompagne Walker durant une nuit pour mieux connaître son job, avec le projet de s'en inspirer pour une future BD. L'auteur, prompt à disserter sur le neuvième art en pleine patrouille nocturne, perdra de sa superbe lorsqu'il sera menacé par un super-vilain...

- La seconde s'intitule Roleplay, autrement dit "jeu de rôles" : Walker et Pilgrim mènent l'enquête sur une étrange affaire d'étudiants qui se déguisent en super-héros (ce qui est contre la loi) et sont tués par un mystérieux vilain, the Pulp, qui avait pourtant disparu depuis des années. Les deux policiers vont découvrir une vérité inattendue et désarmante...
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Parfois, pour bien appréhender une BD, il convient de savoir comment et pourquoi elle a été imaginée. Le cas de Powers est à ce titre éloquent : Bendis déclara qu'il commença à analyser pourquoi il n'avait jamais essayé d'écrire un comic-book super-héroïque lorsqu'il réalisait des séries noires comme Jinx et Goldfish alors qu'il adorait ce genre. Il en conclut que Frank Miller avec The Dark Knight returns et Alan Moore et Dave Gibbons avec Watchmen avaient dit tout ce qu'il était nécessaire de dire au sujet des superr-héros, donc il lui fallait trouver un nouvel angle pour aborder cet univers. C'est ainsi qu'il eut l'idéee de combiner sa passion pour les fictions criminelles, des lectures comme la biographie de Janis Joplin et les premiers dessins en noir et blanc d'Oeming (lequel voulait d'ailleurs initialement illustrer Powers sans recourir à la couleur) pour élaborer cette série.
Et le résultat est conforme à cette intention : mélange de polar classique, d'influences pop diverses et de "cartoons" adultes, Powers est un cocktail détonant, décalé et déjà très abouti. On y trouve déjà la marque de fabrique de Bendis - un soin particulier apporté aux dialogues associé à un sens du casting inattendu développés dans une narration décompressée - tout en possédant une distance, voire un détachement ironique par rapport aux icones super-héroïques.
A cet égard, au-delà du clin d'oeil amical, choisir d'introduire un auteur excentrique comme Warren Ellis dans un des deux récits n'est pas innocent : Bendis lui a d'ailleurs laissé la liberté d'écrire ses propres dialogues, dans le style acide et percutant qu'on connaît au créateur d'Authority. Laissez-moi vous citer un passage évocateur :

"J'emmerde les super-héros, en fait. La notion que ces choses dominent une culture entière est absurde. Ce serait comme si toutes les librairies n'étaient pleines que de romans à l'eau de rose sur les infirmières. Vous imaginez ? Vous allez vous acheter un bouquin et il vous faut fouiller dans des piles et des piles de bouquins parlant d'amours hospitalières avant de trouver autre chose. Un médium où les histoires d'infirmières domineraient la littérature de base dans un ratio de cent contre un.
"Les comics de super-héros sont comme une moisissure qui étoufferait tout le reste. Alors qu'il y a de la place pour le bon travail, quel que soit son genre. Et mon boulot, c'est de faire en sorte que l'on retire toutes ces merdes et qu'on y foute le feu. Quelqu'un qui lit 300 comics de super-héros tous les mois est un malade qui a besoin d'un médecin. J'arracherai à son cadavre encore fumant toutes les choses qui ont conduit les super-héros à dominer les comics. L'énergie démesurée, les visuels épatants, le fétichisme et tout ça, pour l'appliquer à d'autres histoires et d'autres genres.
" Le style populaire, c'est l'action : ça sacrifie la complexité et le ciselage au profit du punch, sans donner en échange une quelconque intelligence à la place. C'est un business qui semble très content de marcher à reculons comme ça...
"La nouvelle marotte des éditeurs, c'est la "vision édititoriale". Ce qui nous ramène au temps où les éditeurs disaient aux auteurs quoi écrire, et où des enfoirés comme Mort Weisenger s'en tiraient malgré tout.
"Les gens font un délire du hype sur les nouvelles bédés d'auteurs connus et admirés. Et à l'inverse, le terme technique pour la découverte de créateurs inconnus et nouveaux, c'est le "délire du hype sur les indés"."

Je trouve cette tirade d'autant plus savoureuse qu'elle est lisible dans un comic-book de celui qui est peut-être le scénariste le plus discuté de sa génération (Bendis), devenu le champion de l'éditeur américain le plus puissant dans le domaine des comics de super-héros (Marvel). Chacun appréciera à sa manière : Bendis est-il encore cet indépendant ou s'est-il définitivement prostitué au mainstream ? Le mainstream est-il digne d'intérêt ou existe-il des comics plus dignes d'intérêt ? Ou encore : Ellis pense-t-il vraiment tout ce qu'il a dit, lui qui produit régulièrement des comics de super-héros (certes, souvent plus transgressifs que la moyenne) pour des majors ? En tout cas, cela tendrait à faire de Powers bien plus qu'une simple BD divertissante, à cheval sur deux genres - un manifeste ?
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Le style graphique employé interroge aussi : Oeming est un héritier évident d'un des artistes les plus importants de l'industrie, en l'occurrence Bruce Timm. Nous ne sommes donc pas dans un registre réaliste, et c'est justement ce choix d'illustrer un sujet comme celui de Powers, à la fois sombre (pour le côté série noire) et fantaisiste (pour le côté super-héros), de cette façon qui rend l'objet passionnant.
J'avoue avoir toujours été partagé sur le talent d'Oeming, justement parce que je le considère d'abord comme un Bruce Timm en mode mineur. Malgré tout, je lui reconnais sur Powers une vraie maîtrise du découpage, avec de réelles trouvailles, et un jeu sur les lumières, jeu violent, contrasté, expressionniste, saisissant.
Tout comme il y a chez Bendis peut-être davantage de roublardise que de génie, j'en penserai autant d'Oeming qui séduit en reproduisant des effets qu'il n'a pas inventés - jusqu'à reproduire les designs de pochettes d'albums de pop-music pour les couvertures de la série. C'est ce qu'on pourrait appeler du "sampling" appliqué aux comics...
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Atypique, déroutant, et pourtant abordable, efficace, tel est Powers : une lecture qui possède le don singulier de vous faire voir la BD autrement tout en recyclant des formules très connues du genre. Autrement dit, faire du neuf avec du vieux... Pour mieux détourner la critique. Malin !

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