lundi 15 juin 2009

Critique 60 : CRISIS ON INFINITE EARTHS, de Marv Wolfman, George Pérez et Jerry Ordway




Crisis on Infinite Earths est une maxi-série en douze parties écrite par Marv Wolfman et dessinée par George Perez, publiée en 1985, par DC Comics. Cette entreprise commémora les cinquante ans de l'éditeur.
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Le but avoué du projet était de complètement réinventer complètement l'univers DC en mettant fin au concept des Terres multiples, utilisé depuis des années et ayant abouti à une confusion totale. Ainsi, au cours de cette saga, plusieurs héros disparurent et à l'arrivée ce fut une refondation complète des bases du "DCverse", ce qui permit de reconstituer une continuité narrative des titres de la firme.
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Sur Terre III, le Syndicat du Crime doit lutter contre une vague d'anti-matière sous les yeux du mystérieux Pariah, témoin impuissant de ce combat perdu d'avance. Alexander Luthor (le Lex Luthor de cette terre), conscient lui aussi de la fin de son monde, réussit in extremis à envoyer son fils sur Terre I en espérant le sauver.
Cependant, Monitor
et son héraut, Harbinger, enrôlent (parfois de force) plusieurs super-héros et vilains de différentes dimensions pour faire échec à la propagation de la vague d'anti-matière. Monitor leur explique la situation et les envoie protéger des tours créées pour faire barrage sur différentes Terres.
A cet instant, sur Terre I, Batman, sur le point d'arrêter le Joker, voit Flash II apparaître et disparaître après lui avoir annoncé une catastrophe imminente.
Malgré les tours et leur protection par les agents du Monitor, des vagues d'anti-matière engloutissent progressivement les mondes parallèles. Monitor, réfléchissant à un plan B, surveille la croissance d'Alexander Luthor Jr
qu'il a recueilli et qui a intégré une part d'antimatière dans son propre organisme.
Il provoque aussi la création de Dr Light II et téléporte Pariah dans son satellite : il révèle sa malédiction, qui consiste à assister à la destruction de toutes les Terres. Harbringer, corrompue par l'Anti-Monitor et Psychopirate, assassine alors Monitor. Cette pulsion meurtrière à laquelle elle ne pouvait résister la délivre toutefois de l'emprise maléfique de l'Anti-Monitor, et avec Pariah et Alexander Luthor Jr., elle déclenche ensuite la mise en oeuvre du plan B de Monitor : la fusion de toutes les époques et de toutes les Terres en une seule.
Une nouvelle équipe composée des super-héros les plus puissants des différents univers est formée pour affronter l'Anti-Monitor, mais cette bataille se solde sur un cuisant échec : Supergirl
blesse le maître de l'anti-matière mais le paie de sa vie.
Kal-El alias Superman de Terre I pleure la perte de sa cousine. Mais, bientôt, c'est un autre héros qui tombe : Flash II se sacrifie pour détruire une arme qui devait achever de suppimer les dimensions parallèles restantes.
La confusion générale sur les différentes Terres désormais fusionnées incitent les super-vilains à s'unir sous la direction de Brainiac
et Lex Luthor de Terre I : ils prennent ainsi le contrôle des mondes mais doivent faire face aux héros, résolus à ne pas les laisser faire.
Il faut l'intervention du tout-puissant bras vengeur de Dieu, le Spectre, pour mettre fin à ce conflit et décider chaque camp à se rassembler en un seul pour tuer l'Anti-Monitor. C'est l'assaut final, et au bout, la victoire.
Toutes les Terres ne sont plus désormais qu'une et cela va bouleverser l'existence de nombreux personnages : certains n'ont plus de passé, d'autres voient leur histoire profondèment changée. Mais tous ont conservé leurs souvenirs et sont conscients que tout danger n'est peut-être pas écarté.
Effectivement, l'Anti-Monitor joue son va-tout en tentant d'annihiler la seule réalité ayant subsisté : un ultime combat est inévitable. Doctor Light II, Harbringer et Alexander Luthor Jr. parviennent à abattre définitivement le monstre auquel Kal-L, le Superman de Terre II et Superboy de Terre Prime portent le coup de grace. Luthor Jr ouvre un portail interdimensionnel à travers lequel choisissent de se retirer Kal-L, Superboy-Prime et la Lois Lane de Terre-II.
Dans un asile, Psycho-Pirate, à qui l'Anti-Monitor avait promis le contrôle des esprits du nouvel univers, finit dans une cellule capitonnée, racontant l'histoire invraisemblable qui s'est déroulée : considéré comme fou, il est pourtant le seul à detenir la vérité.
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Depuis toujours - et même après Crisis on Infinite Earths - , le problème de DC concerne sa continuité, difficile à suivre pour le profane, mais parfois aussi pour le connaisseur.
Par exemple, initialement, Superman ne pouvait pas voler et ses pouvoirs provenaient du fait qu'il était originaire d'une planète ayant une gravité supérieure à celle de la Terre. Puis il fut capable de voler et il tirait ses pouvoirs du soleil. Ces évolutions dans la description du personnage entraînèrent l'écriture d'origines plus complexes, incluant ses exploits en tant que Superboy puis l'existence de Supergirl, dont l'invention annula de facto l'idée originale que Superman était le seul survivant à la destruction de Krypton.
Autre absurdité à souligner : l'âge des héros. Ainsi Batman, simple humain sans super-pouvoirs, n'a pas vieilli depuis qu'il a commencé sa carrière de justicier, c'est-à-dire durant la seconde guerre mondiale, et son partenaire, Robin, a conservé une apparence d'adolescent.
Pour expliquer ces aberrations, durant le "silver age", DC a commencé à (ab)user d'une astuce narrative : les mondes parallèles, autrement dit le multiverse. Terre I devint ainsi la planète du "DCverse" contemporain ; Terre II recueillit les personnages et les évènements du "golden age" en tenant compte de l'âge plus ou moins avancé des héros ; Terre III était le "négatif" de notre monde où les vilains étaient les maîtres et où l'Histoire était révisée selon ce critère ; Terre Prime figurait le "vrai monde" inventé pou expliquer comment les créateurs de DC dans la vraie vie (comme Julius Schwartz) pouvaient occasionnellement apparaître dans les comics.
Si quelque chose se produisait en dehors de cette continuité, on le justifiait par des actions commises en fait sur un monde parralèle - c'est ainsi que les récits labellisés "Elseworlds" furent légitimés (cf. Kingdom Come).
Mais avec les années, cette solution des Terres parallèles finit par poser plus de problèmes qu'elle n'en résolvait, désorientant les nouveaux lecteurs de l'univers DC : la théorie du "multiverse" - avec ses innombrables versions de Superman, Batman, Wonder Woman... -entretenait une confusion empêchant de comprendre et d'apprécier les séries de l'éditeur.
C'est donc d'abord comme une vaste opération de "nettoyage" que fut conçue Crisis on Infinite Earths avec pour objectifs d'unifier tous ces mondes parallèles en un seul, de synthétiser les origines des héros, et rendre à nouveau le "DCverse" accessible pour les néophytes. Cela devait aussi libérer les auteurs de la firme de 50 années de (dis)continuité.
Le succès que remporta la série régénéra DC, en lui permettant d'attirer de nouveaux lecteurs sur la base d'une accroche mémorable : "the DC Universe will never be the same.".
Avec les succès des Watchmen d'Alan Moore et Dave Gibbons et de The Dark Knight returns de Frank Miller l'année suivant la parution de Crisis, DC Comics fut commercialement et artistiquement revitalisé au point de re-dominer le marché des comics, sur lequel trônait son rival Marvel.
Crisis participa aussi à populariser la formule des crossovers qui permettrait de faire converger plusieurs séries au cours d'une saga centrale. Depuis, le procédé est devenu une habitude annuelle, commercialement jûteux à défaut d'être toujours passionnant narrativement.
Marv Wolfman a proposé l'idée de cette saga traversant l'intégralité de l'univers et brassant son demi-siècle d'existence. Grâce à une écriture dynamique, qui réussit à rendre toujours clair le déroulement d'une histoire pourtant épique, peuplée d'une foule de personnages pas forcèment indentifiable au premier coup d'oeil pour le non-initié, le scénariste nous entraîne là où il le souhaite, avec une aisance qui, presque 25 ans après, reste admirable.
Des personnages et des éléments entiers, établis avant la Crise (spécialement ceux qui seront effacés suite à ce qui s'y déroule), sont repensés et aboutissent à un nouveau statu quo qui est en soi un morceau de bravoure. Il faudra attendre l'autre mini-série, en 2005-2006, Infinite Crisis pour remettre en cause ce que Wolfman avait si brillament redisposé alors : être parvenu à maintenir cet état de fait pendant 20 ans demeure une performance. Il y a bien eu, pour les auteurs comme pour les lecteurs, un "avant" et un "après" COIE.
la Crisis de Wolfman a permis en quelque sorte l'émancipation de DC en créant des opportunités pour faire mûrir encore plus cet univers et effecteur des changements majeurs, y compris concernant ses séries les plus populaires.
Sans Crisis, pas de Batman : year one par Frank Miller, de Wonder Woman par George Perez ou The Man of steel par John Byrne. Bien d'autres titres ont été significativement soumis à ce "révisionnisme" : orientés différemment, ils ont permis aux lecteurs de les redécouvrir et de les réapprécier, tout en étant intégrés à un même univers partagé. Mais pour permettre à ces mêmes lecteurs de souffler un peu et de digérer Crisis, certains relaunchs furent effectifs seulement un an après, ce qui prépara la gamme au nouvel évènement DC, la mini-série Legends.
Crisis, c'est une épopée pleine de bruit et de fureur, bourrée de péripéties, de coups de théâtre, avec des protagonistes si bien caractérisés qu'on n'est jamais égaré, une succession de combats aussi extravagants que spectaculaires, et de vraies audaces qui traumatisèrent ceux qui les découvrirent à l'époque - comme Mark Millar, qui n'a pas été sidéré par les morts successives de Supergirl et Flash II ?
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L'autre atout de COIE, c'est son extraordinaire graphisme : deux artistes exceptionnels ont permis à cette série d'entrer dans les annales du genre.
George Pérez a livré des planches dantesques tout au long d'épisodes, comptant parfois le double de pages d'un fascicule traditionnel. Le génie du dessinateur portoricain explose littéralement lorsqu'il doit mettre en scène des séquences grouillant de personnages, sans pour autant négliger les décors : quand on songe qu'il livrait ça en temps et en heure à l'époque, on s'amuse qu'aujourd'hui ses successeurs peinent à tenir la cadence six épisodes de suite... Phénoménal !
L'autre grand bonhomme à avoir posé sa griffe inimitable et reconnaissable entre mille est Jerry Ordway, qui a à la fois encré certains chapitres réalisés par Pérez et en a dessiné d'autres en alternance avec lui. Le trait classique mais solide, le sens du cadre, l'art du découpage et la personnalité avec laquelle il a su se glisser dans l'aventure tout en sublimant ce qu'accomplissait Pérez ; tout cela est une leçon de professionnalisme, la démonstration d'un grand talent.
Ajoutez à cela l'encrage de Dick Giordano (fidèle là aussi de Pérez, avec lequel il collabora sur les fabuleux New Teen Titans du début des 80's) et vous aurez une idée de la classe, du niveau et de l'impact d'une vraie équipe visuelle sur une entreprise de cette envergure.
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Il n'y a pas d'enseignement philosophique à tirer de COIE : c'est un pur récit d'aventures, rocambolesque, outrancier, mais jouissif, dont l'efficacité et l'influence se suffisent en quelque sorte à elles-même. Cette fantaisie colorée, tragique et haletante, énorme et dérisoire, rassasie le lecteur par sa densité et son délire.

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