samedi 16 septembre 2017

MISTER MIRACLE #2, de Tom King et Mitch Gerads


Après un premier épisode bluffant, Tom King et Mitch Gerads allaient-ils maintenir le haut niveau de leur maxi-série ? La question est légitime car on est presque condamné à décevoir lorsqu'on a affiché pareille ambition. Pourtant, la suite de l'aventure de Mister Miracle étonne et éblouit encore...

La guerre fait rage sur New Genesis, assaillie par les Paradémons de Darkseid, seigneur de la planète ennemie, Apokolips. En première ligne, le général Scott Free ne ménage pas ses efforts, guidé par les ordres d'Orion qui organise la résistance.


L'autoritarisme du successeur du Haut-Père s'exprime quand, de retour du front, Lightray, son second, affranchit Mister Miracle et Big Barda des nouvelles règles protocolaires obligeant les sujets du nouveau régent de New Genesis à s'agenouiller devant lui en signe de respect.



Après avoir reçu une visite nocturne de Metron (qui a choisi de rester neutre dans cette guerre, tout en mettant en garde Scott Free pour la suite... A moins qu'il n'ait rêvé), Miracle et Barda reçoivent un nouvel ordre de mission : trouver et tuer Mamie Bonheur - complice de toujours de Darkseid et qui a éduqué de manière brutale le couple durant leur enfance sur Apokolips.  

Mais Mamie Bonheur, après avoir reçu cordialement les deux soldats, s'isole avec Miracle pour lui faire d'une prophétie selon laquelle Darkseid ne pourra être vaincu que par son fils, donc Orion. Mais ce dernier est-il vraiment le fils du maître de l'équation d'anti-vie - qui l'utilise peut-être déjà pour altérer la réalité elle-même ?
  

Ce qui frappe d'abord, c'est le contraste saisissant avec le premier épisode : ce deuxième chapitre s'ouvre sur une spectaculaire suite de combats menés par Mister Miracle, littéralement déchaîné et se déplaçant d'un site à l'autre de New Genesis pris d'assaut par les Paradémons de Darkseid. Son costume est littéralement couvert du sang de ses adversaires tandis que la voix d'Orion lui commande ses déplacements. Dans la bataille Scott Free oublie son mal de vivre - il s'évade à nouveau, d'une certaine façon, dans ces corps-à-corps multiples.

La situation ainsi posée, en quelques pages, montre bien que New Genesis est éprouvée par Darkseid. En conséquence, sa gouvernance a changé radicalement : la mort du Haut-Père voit Orion sur le trône et il se comporte avec une fermeté qui n'exclut pas une forme d'humiliation envers ses renforts. La scène où, par le biais de Lightray, il oblige Miracle et Barda à s'agenouiller devant lui en dit long, sans discours, sur la figure de ce bâtard dont le comportement autoritaire copie celui de son père biologique, Darkseid. Général, certes, mais traité comme un troufion, Scott Free, qui est, lui, le fils biologique du défunt Haut-Père, se plie de mauvaise grâce à ces génuflexions.

Mais le personnage est décrit comme toujours aussi égaré, décalé : Tom King injecte même, de manière inattendue, de l'humour dans la scène de la douche où on mesure à quel point le héros de la série a vraiment perdu ses repères à New Genesis. Le scénariste glisse aussi dans les pages suivantes une note persistante de malaise : une première fois en mettant en scène une visite de Metron dans la chambre de Barda et Miracle, mais que seul ce dernier semble voir - Metron est-il réellement présent ? Ou n'est-ce qu'un rêve ? Une hallucination ? Le doute est permis à la fois à cause du message crypté que communique Metron mais aussi à cause de l'état mental perturbé de Miracle (présenté explicitement dans le #1).

Puis, le lecteur est encore plus troublé par la séquence finale avec Mamie Bonheur que Big Barda et Mister Miracle ont pour mission de la tuer. Contre toute attente, les ennemis se retrouvent chaleureusement et dînent ensemble cordialement, évoquant des souvenirs communs qui, bien que cruels (car relatifs à l'éducation stricte de leur hôtesse), entretiennent une ambiance apaisée. On se demande alors à quoi tout cela rime et si les deux guerriers de New Genesis vont exécuter leur adversaire. La nuit venue, Barda et Miracle se glissent jusqu'à la tente de Mamie Bonheur pour l'occire mais elle assomme la première et prend le second à part pour lui faire de surprenantes révélations (elle aurait prévenu le Haut-Père de l'acquisition par Darkseid de l'équation d'anti-vie, et donc permis d'organiser la résistance de New Genesis, puis elle suggère qu'Orion ne pourra vaincre Darkseid car il n'en est pas le fils). Cet échange est brutalement interrompu... Et nous laisse aussi ébranlés que Scott Free.

Tom King brouille donc les pistes et son récit évite tout manichéisme : on devine que la saga va désormais être alimenté par des coups tordus, des surprises, des rebondissements, des retournements de situation... Et il reste huit épisodes !

Ce brouillage narratif est illustré avec un rigorisme impressionnant par Mitch Gerads : tout l'épisode est découpé selon le fameux "gaufrier" en neuf cases chéri par son auteur, et le dessinateur, loin d'être bridé par ce défi graphique, en exploite toutes les ressources.

Comme dans le premier numéro, cette grille de lecture souligne le caractère oppressant de l'histoire et la condition névrotique des personnages (hier les tendances suicidaires du héros, sa folie rampante ; ici la cadence épuisante des combats, le protocole pesant de la cour, la ruse à l'oeuvre dans les palabres avec Mamie Bonheur...). Poussé au maximum, le procédé fait considérer les pages comme des planches-contacts photographiques où, d'une image à l'autre, parfois, dans une scène, un infime détail (l'expression d'un visage, un geste, mais aussi la palette des couleurs, le sens de lecture - voir la page où Barda et Miracle se glissent en pleine nuit jusqu'à la tente de Mamie Bonheur, en neutralisant les gardes du camp) modifie l'humeur du propos, le ton des dialogues, accentue l'impression des acteurs (voyez le sourire grimaçant de Lightray quand il annonce à Barda et Miracle qu'ils doivent s'agenouiller devant Orion, le sourire satisfait - suffisant même - d'Orion quand il est ainsi salué , celui de Mamie Bonheur quand elle retrouve ses anciens pupilles...).

Gerads réussit magistralement à traduire ces subtilités sans jamais paraître bridé par le dispositif du "gaufrier". La preuve par les premières pages où il exprime avec énergie la fureur de Miracle contre les Paradémons mais aussi sa fatigue progressive. Moments saisissants, hallucinés.

La force que dégage l'ensemble est une nouvelle fois impressionnante et distingue vraiment Mister Miracle d'un super-hero comic-book conventionnel : bien que ce numéro offre des scènes attendus (l'action violente du début), la densité et le mystère de son intrigue, le fait même qu'on soit aussi perdu que le héros (et si tout ça était déjà une altération de la réalité causée par l'équation d'anti-vie de Darkseid ?), produisent un effet intense et durable. Inutile d'ajouter qu'on attend la suite de ce feuilleton avec impatience.

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