lundi 17 février 2014

Critique 413 : HAWKEYE #11-13, de Matt Fraction et David Aja


HAWKEYE #11 : PIZZA IS MY BUSINESS est le 11ème épisode de la série, écrit par Matt Fraction et dessiné par David Aja, publié par Marvel Comics en Juin 2013.
Tout d'abord, quand on lit la première page (après une couverture à la fois superbe et drôle - notez les "Ruff" qui remplacent les noms des auteurs sur le bandeau rouge), il est précisé qu'il ne s'agit pas d'un épisode de "Clint Barton a.k.a. Hawkeye" mais de "Lucky a.k.a. Pizza Dog". Ce fameux chien éclopé, nous l'avons découvert dès la première "issue" de la série quand, après que Clint ait provoqué une bagarre avec des racketteurs d'Europe de l'Est sévissant dans son quartier, l'animal, prenant son parti, a été blessé par les malfrats puis renversé par une voiture. Conduit dans une clinique vétérinaire, il a survécu mais perdu un oeil puis a été recueilli par Clint Barton qui l'a rebaptisé Lucky (pour des raisons évidentes après ce qui lui est arrivé). Pour les lecteurs, il est devenu "Pizza Dog" car c'est son met favori.

Ce chien, Matt Fraction a réussi l'exploit d'en faire un personnage à part entière, auquel on s'est attaché, une présence à la fois source de gags et témoin des actions du héros. C'est une expérience étrange mais en vérité il n'est pas insensé d'affirmer que Pizza Dog, c'est nous, c'est le lecteur, celui qui regarde s'agiter Clint Barton, se dépatouiller avec son existence avec plus ou moins (surtout moins) de bonheur, celui qui assiste à son partenariat compliqué avec sa sidekick Kate Bishop (qui agit aussi sous le pseudo de Hawkeye, au sein de l'équipe des Young Avengers : c'est une jeune fille bien née, au caractère bien trempée, plus douée au tir à l'arc encore que Barton et qui lui remonte souvent les bretelles quand il se laisse aller, leur relation est irrésistible, échappant au traditionnel jeu de la séduction, inspiré davantage par le couple John Steed-Emma Peel de la série télé Chapeau melon et bottes de cuir), qui cohabite avec lui dans un appartement mal entretenu d'un immeuble peu reluisant.
Pizza Dog, c'est nos yeux sur le monde de Hawkeye, traité par le scénariste non pas sous l'angle classique d'un comic-book de super-héros mais comme la description de ce que fait Clint Barton quand il n'est pas en mission avec les Avengers.

Pizza Dog est aussi le digne chien de son (nouveau) maître, qui est souvent représenté hirsute, débraillé, mal rasé, et couverts de pansements (traces de ses combats dans la série et les autres où on peut le voir, comme Secret Avengers ou Avengers Assemble). Ce n'est pas un très beau chien puisqu'il est borgne, il n'a pas fière allure, c'est un de ces chiens de rue, un bâtard au poil gris, qui semble passer sa vie à dormir et manger, ne se déplaçant guère ou alors en traînassant, observant ce qui se passe autour de lui avec un mélange d'indifférence et d'incrédulité. Pire, à la fin de cet épisode, il va faire un choix inattendu et ingrat, qui remet profondément en cause la dynamique même de la série.

Maintenant, venons-en au contenu de l'épisode, et pour cela, il faut revenir un peu en arrière.

Clint Barton doit composer avec une bande de mafieux d'Europe de l'Est (les "Tracksuit Draculas" comme les surnomment les lecteurs) qui rackettent les habitants du quartier. Cette opposition s'est récemment envenimée au point que ces filous ont scellé un arrangement avec la haute pègre de New York (des cadors comme le Caïd, le Hibou, Madame Masque, le Hibou, Typhoïd Mary...) pour se débarrasser définitivement de Barton. Ainsi un tueur professionnel a-t-il engagé : surnommé le Clown, l'individu n'a rien de drôle avec son visage blême maquillé. Il s'est installé dans l'appartement d'une locataire (complice) de l'immeuble de Clint et a assassiné de sang-froid, en guise d'avertissement, Gil, un brave homme, également voisin du héros.
L'épisode 11 débute avec la découverte du cadavre par Pizza Dog et une petite chienne, appartenant à la mammy qui héberge justement le Clown. Et durant les 20 pages suivantes, nous allons assister à "l'enquête" de ce chien dans l'immeuble et ses environs proches, comment il va être là quand les policiers viendront interroger Clint puis quand son maître et Kate Bishop partiront à l'enterrement, suivre la petite chienne chez sa propriétaire, découvrir le Clown et sa complicité avec les racketteurs, échapper à la mort une nouvelle fois et...

Et le reste, vous le découvrirez en lisant vous-même cet épisode.

Performance, coup d'éclat, morceau de bravoure : on pourrait employer toutes ces expressions pour résumer cet épisode. Il y a effectivement de ça dans "Pizza is my business", une volonté affichée, assumée de produire une "issue" spectaculaire, hors norme, qui sort des sentiers battus, qui défie les codes du comic-book super-héroïque encore plus que d'habitude dans cette série. Pensez donc : un épisode entièrement raconté du point de vue d'un chien, adoptant jusqu'à la perception de ce qu'il entend (des dialogues raturés, quelques mots à peine décryptés, même pas d'onomatopées) ou voit (choix de couleurs concentré au jaune et au bleu - conforme à la vision d'un chien  -, recours à des images élémentaires déclinées comme les maillons d'une chaîne pour identifier tel ou tel élément/personne).

Tenez, examinez ci-dessous cette splash-page (une rareté dans cette série, spécialement dans les épisodes dessinés par Aja) :   


C'est un bon échantillon de ce que je décris : le chien au centre, le décor principal (l'immeuble), ses habitants, les odeurs, les sons (réduits à des icones), une suite de vignettes en insert comme pour résumer une déduction sommaire d'actions, des couleurs basiques au possible (le chien gris, la façade et quelques ustensiles de l'immeuble toute en lignes bleues, les cadres inscrits en constellation avec des représentations noires sur fond jaune).

Pourtant, tout est lisible, compréhensible, bien situé. On sait où on est, ce qui se passe, quel est le protagoniste, on devine ce qui se trame ici, maintenant, et qui est au coeur de tout ça.

Matt Fraction a construit l'épisode comme une authentique "detective story" avec la découverte du cadavre, le chien figurant un détective fatigué et au départ peu motivé, la "femme fatale" qui distrait le limier (avec la petite chienne), la révélation du coupable, le danger alors encouru par le héros, sa fuite, le retour à son repaire (et son maître)... Et le fait même que le principal intéressé, celui sur qui plane la menace (Clint) ignore ce que son chien a découvert - ce qui maintient intact le suspense et aboutit à un cliffhanger (et même un double cliffhanger quand on voit ce que le chien va décider de faire à l'avant-dernière page !).

C'est indéniablement très fort, mais réduire ça à une performance, ce serait dommage, car la performance induit un aspect sportif, démonstratif, et Hawkeye, comme série, et cet épisode en particulier a plus de finesse que ça. On le lit en étant bien sûr épaté par l'expérience, l'audace, mais avec une fluidité, une facilité, telles qu'on oublie presque justement ce côté performance. C'est un "page-turner" très efficace tout autant qu'il est beau, bien bâti, malin, drôle, palpitant. Il faut en vérité le lire (au moins) deux fois pour apprécier d'abord la lecture en soi, suivre ce récit, ce nouveau chapitre qui s'inscrit dans un arc en cours, puis ensuite savourer effectivement le brio avec lequel c'est fait.

Dans des interviews et sur son blog, le scénariste (plus bavard que son dessinateur) a expliqué comment il travaillait avec David Aja. Ce dernier réside en Espagne et ils ne communiquent que par mails ou Skype, Matt Fraction résidant sur la Côte Est des Etats-Unis. Les deux hommes n'en sont pas à leur première collaboration puisqu'Aja dessinait déjà l'essentiel de la série Immortal Iron Fist que l'auteur co-écrivait avec Ed Brubaker. Mais ils se sont alors si bien entendus que Fraction ne voulait personne d'autre qu'Aja pour mettre en images Hawkeye. Et cela était une chance car le personnage était celui que préférait le dessinateur, et l'angle choisi par le scénariste lui convenait plus que si la série s'était aligné sur les standards super-héroïques.

David Aja n'est pas un dessinateur rapide, capable de tenir une cadence mensuelle (il peut juste enchaîner trois épisodes consécutifs). Son trait simple, qui évoque immanquablement le David Mazzucchelli de l'époque Batman : Year One, cache un perfectionnisme maladif qui l'incite par exemple à situer précisément ses décors (comme pour le #3, une course-poursuite dont le trajet est entièrement crédible) ou à répertorier les flèches spéciales qu'utilise Hawkeye.

Sur le blog de Kieron Gillen (scénariste d'Iron Man et Young Avengers, et ami de Fraction), on peut découvrir quelques pages du script du #1 de Hawkeye, rédigé quasiment comme une conversation entre l'auteur et l'artiste, où entre deux dialogues on lit de longs paragraphes qui décrivent moins le contenu des images qu'une suite de suggestions ouvertes. En s'engageant sur ce titre, Fraction voulait aussi essayer une nouvelle manière d'écrire, de raconter, qui renouerait avec la méthode "Marvel way" de Stan Lee (une succession de scènes sur laquelle le dessinateur pouvait laisser libre cours à son art, en organisant le découpage de planches, avant que les dialogues soient définitivement ajoutés).

Le procédé, dans les mains d'un dessinateur à la fois aussi maniaque et inventif que David Aja (dont la formation vient de l'illustration de livres pour enfants ou pour la publicité, du design et de l'étude des écoles stylistiques modernes - comme l'iconographie des affiches soviétiques), aboutit à des résultats forcèment surprenants. De l'aveu même de Fraction, il est fréquent qu'une page prévue pour avoir cinq ou six cases lui revienne dessinée avec le double ou le triple de vignettes (le sommet ayant été atteint dans le #2 où un dialogue a été segmenté sur une planche en... 25 cases !).

Avec le défi que proposait tout un épisode raconté du point de vue d'un chien et toutes les options que cela suggérait dans le champ des couleurs et du lettrage (qu'Aja a assumé, même si le lettreur de la série, Chris Eliopoulos, est crédité, certainement en qualité de superviseur), Aja a littéralement déployé des trésors d'imagination pour mettre cela en image.

Fan de Chris Ware, il lui rend en quelque sorte hommage en plusieurs occasions dans ces pages - ce qui s'avère ironique car Ware méprise les comics produits par Marvel (et DC). Il poursuit le développement de figures récurrentes dans ses épisodes comme les petites vignettes en gaufrier (des cases d'égale valeur), allant jusqu'à des pages avec 16 cases, ou des pages pleines mais épinglées de 19 médaillons, variant leurs formes (coins arrondis, cercles plus ou moins grands), leurs dispositions (tels des organigrammes), osant des fondus au noir, des travellings, jouant avec l'espace négatif, isolant un élément en effaçant tout décor ou signifiant le décor avec des lignes ouvertes et claires (mais pas tracées en noir).

Un exercice de style peut-être, mais visuellement incroyablement stimulant, ludique, sophistiqué, virtuose, intelligent - qui ouvre des portes insoupçonnés dans une série comme celle-ci, un genre de bd comme celui-ci. Mais d'abord, mais surtout une lecture graphique fabuleusement plaisante, car jamais la démonstration ne prend pas le pas sur le fait que le dessin sert d'abord l'histoire.

Indéniablement, s'il y a bien qui a compris la formule d'Alex Toth comme quoi un artiste doit "plusser" le script, c'est David Aja.

Hawkeye #11 est un récit jubilatoire, c'est aussi un objet fascinant, atypique, la preuve qu'une bonne bande dessinée, c'est le produit d'un scénariste et d'un artiste qui en s'amusant à se mettre au défi de se surpasser eux-mêmes entraîne le lecteur vers des sensations nouvelles.  
 *


HAWKEYE : THE U IN FUNERAL est le 13ème épisode de la série écrite par Matt Fraction, publié par Marvel en Octobre 2013. Les dessins sont signés par David Aja.
Rendre poignant le deuil par
un texte et une mise en image très simples
et très élaborés à la fois.

Une affaire de dosage.

C'est en ces termes qu'on pourrait le plus justement parler de Hawkeye #13, car tout y question de mesure : ça valait la peine d'attendre ; la qualité de la narration est au diapason de l'émotion qu'elle recherche ; l'excellence de son graphisme est au niveau de la sobriété que réclamait une telle histoire.

180 plans : c'est le nombre de vignettes, toutes d'égales dimensions, neuf par page, disposées selon le procédé dit du "gaufrier", que compte cet épisode. C'est à la fois peu et beaucoup : David Aja compte parmi ses références Alex Toth, et le procédé stylistique qu'il a choisi d'appliquer ici me rappelle une anecdote du grand artiste américain.

Toth a, à la fin des années 50-début des années 60, travaillé chez l'éditeur Dell. Il y a dessiné des histoires dans divers genres (récits de guerre, fantastique...), mais avec une drôle de contrainte technique : composer des planches de neuf cases d'égale valeur, soit donc un "gaufrier". Au début, il a subi cette contrainte avec difficulté, lui qui aimait varier les effets pour "muscler" les scripts qu'on lui proposait (quand je dis "muscler", je devrais en fait reprendre l'expression intraduisible mais éloquente de "plussing the script" employée par Toth : il ne s'agissait pas de faire l'intéressant, d'user d'effets faciles et spectaculaires dans le dessin, mais plutôt de traduire au mieux en images ce que racontait l'histoire, de la rendre plus efficace, plus intense). Puis il s'est pris au jeu, tant et si bien que lorsque l'éditeur l'a ensuite autorisé à découper ses pages comme bon lui semblait, il a continué à utiliser ses neuf cases identiquement taillées car il avait appris à en tirer le meilleur parti : il aimait désormais cette contrainte qui l'obligeait à utiliser chaque plan de la manière la plus simple et puissante possible.

Qu'apprend-on d'un tel procédé ? La mesure, la subtilité, la sobriété. Et lorsque, comme Fraction et Aja, on s'engage à parler durant tout un épisode d'un thème aussi délicat que le deuil, de la mesure, de la subtilité, de la sobriété, il en faut.

C'est bien connu, dans les comics (et en particulier dans les comics super-héroïques), la mort est rarement traitée sérieusement puisqu'on y ressuscite à tour de bras, grâce à la magie ou d'autres fantaisies scénaristiques. Il y a aussi une règle selon laquelle quand un héros meurt mais qu'on ne voit pas sa dépouille, c'est un moyen implicite de dire au lecteur qu'il peut revenir.

Mais il existe bien entendu des exceptions, des espèces de "morts sacrées", quoique souvent cyniques - en quelque sorte, parfois, un personnage qui mort a plus d'impact que lorsqu'il était vivant, il conditionne même la vocation du héros à faire le bien. Un des cas les plus célèbres est celui de l'oncle Ben, dont le meurtre a décidé du destin de Peter Parker/Spider-Man.

L'autre exception, c'est, comme dans le cas de Hawkeye #13, la mort d'un personnage de second ou même troisième rang, comme "Grills" : il s'agissait d'un des voisins de Clint Barton/Hawkeye. Il a eu trois scènes mémorables dans la série : celle où il affublait le héros du pseudonyme de Hawkguy (#6), celle où il présentait son père à Clint lors de l'ouragan Sandy (#7) et celle où il a trouvé la mort, tué par Kazi l'exécuteur engagé par les mafieux russes (#9). Pas grand-chose donc, mais pourtant sa disparition, brutale, injuste, cruelle, inattendue, a été un des pivots de la série.

Depuis plusieurs épisodes (depuis le #8), Matt Fraction développe sa série selon un schéma particulier, en nous offrant plusieurs points de vue autour d'une situation : la réapparition de la rousse incendiaire Cherry-Penny dans la vie de Clint Barton/Hawkeye a déclenché une réaction en chaîne d'évènements impactant en vérité toute la galerie de personnages principaux du titre. En aidant à nouveau la jeune femme, Clint a provoqué l'ire des mafieux russes (déjà bien remontés contre lui) qui ont mis sa tête à prix et engagé, avec l'assentiment des pontes de la pègre new-yorkaise) un tueur à gages (le susnommé Kazi).

- Dans un premier temps, donc, Clint aide Cherry-Penny. Cela lui vaut de passer une nuit au poste, des remontrances des leaders des Avengers, et en fin de compte la jeune femme, mécontente de son intervention, le plante là.

- Dans un deuxième temps, les plus proches amies de Clint vont chercher à comprendre dans quel pétrin il s'est fourré : la Veuve Noire (sa plus ancienne alliée) retrouve Cherry-Penny (et lui fait quitter la ville), Mockingbird (son ex-femme) lui fait signer les papiers de leur divorce tout en lui assurant son soutien en cas d'ennuis, Kate Bishop tente de le prévenir que ses amies enquêtent sur son affaire avec Cherry-Penny mais ne peut éviter que Spider-Woman (la girl-friend actuelle de Clint) ne rompe avec lui.

- Dans un troisième temps (le plus surprenant), c'est le chien qu'il a adopté (après l'avoir sauvé des mafieux russes), Lucky alias "Pizza Dog", qui découvre le cadavre de Grills et la présence dans les murs de l'immeuble même où habitent la victime et Clint du tueur (hébergé par une mammy insoupçonnable).

Entretemps, On aura appris les origines (dispensables pour son intérêt et pour la compréhension de l'intrigue générale) de Kazi le tueur, qui a rencontré lors d'une soirée chic Kate Bishop (sans que celle-ci se doute de qui il est).

Le plus délicat avec ce type de narration, c'est de maintenir une certaine tension, de faire en sorte que chaque angle choisi pour détailler le récit soit digne d'intérêt, apporte une nuance importante. Et en prime il faut composer avec la périodicité de la série. Entre le #11 (le fameux épisode avec le chien) et celui-ci, il s'est écoulé trois mois, ce qui représente un délai conséquent (même si, entretemps, le #12 et l'Annual sont sortis). Mais Matt Fraction a su (jusqu'à présent) relever ce défi avec brio, jonglant avec humour, efficacité ou, ici, gravité.

A la faveur d'une troublante coïncidence, ceux qui suivent le blog de Matt Fraction apprécieront d'une manière encore plus intense l'émotion que dégage cet épisode : en effet, un fan tenté par le suicide s'est confié sur son mal-être au scénariste qui, en retour, l'a non seulement réconforté et conseillé sur la nécessité de consulter un professionnel de santé mais lui a aussi parlé de son expérience personnelle quand, il y a quelques années, il a également failli mettre fin à ses jours. Ce qui l'a retenu, ce sont des choses dérisoires, comme l'envie de connaître la suite d'une bande dessinée.

Et c'est justement une des qualités de Hawkeye comme série que de parler avec cette même simplicité, honnêteté, humanité à ses lecteurs, sans les prendre pour des imbéciles. Pourquoi, au fond, cette série a-t-elle si pleinement conquis ses fans ? Sans doute parce que Matt Fraction a réussi à écrire sur un personnage en le rendant vraiment attachant malgré ses défauts, est parvenu à le rendre réaliste -mieux : authentique. Nous sommes tous un peu Hawkeye, ou "Hawkguy" comme disait Grills : des individus embrassant des responsabilités parfois écrasantes, qui essayons de nous en sortir comme on peut, qui commettons des maladresses, qui perdons des proches, qui renouons avec un frère (comme Clint avec Barney), qui n'écoutons pas quand un/e ami/e nous assure qu'il/elle sera là pour nous si besoin (comme Kate avec Clint).

Dans Hawkeye #13, il n'y a pas une de ces scènes comme on en trouve dans tant de comics où le héros se redresse rapidement après avoir subi un coup dur. Il y a simplement de la tristesse et le goût de la défaite, du regret après la perte. Clint Barton est brisé de telle sorte que ce ne sera pas aisément réparable, et sa détresse nous touche profondément, d'autant plus que c'est raconté subtilement et non pas asséné.

Visuellement, cette même simplicité est adoptée par David Aja, comme une traduction parfaite du "less is more". Avec son coloriste, Matt Hollingsworth, l'espagnol a développé depuis le début de la série un style unique et thématiquement approprié, avec une palette minimaliste qui souligne la mélancolie de l'épisode.

La répétition des pages de neuf cases traduit ainsi comme une métaphore l'abattement de Clint, la claustration dans laquelle le chagrin nous précipite : comme lui, nous nous sentons pris dans une nasse, ce découpage ressemble à une grille qui fluidifie la lecture en même temps qu'elle n'offre aucune sortie. La simplicité avec laquelle cette convention visuelle correspond à la situation développée par le scénario requiert une retenue dont seuls les virtuoses confiants dans la maîtrise de leur art et les possibilités de leur média sont capables.

Peu de comics peuvent se vanter de produire aussi justement ce type de narration et d'harmonie esthétique mais Aja et Fraction le font avec une facilité désarmante.

N'est-ce pas là la marque des grandes bandes dessinées que cette conjugaison de justesse dans le traitement, la traduction des émotions et de perfection entre l'écrit et l'image ?

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