lundi 16 janvier 2012

LUMIERE SUR... DAVID MAZZUCCHELLI (2)


David Mazzucchelli.

Matt Seneca a publié dans la rubrique "Your wednesday sequence" sur le site http://www.comicbookresources/ un article sur le storytelling de David Mazzucchelli dans Batman : Year One (Batman #404-407, 1986-1987). Sans en être une traduction littérale, en voici mon adaptation, avec quelques notes personnelles :
Bien qu'il ait dessiné deux des plus mémorables comics de super-héros modernes (Daredevil : Born Again et Batman Year One), la caractéristique la plus notable de l'approche artistique de David Mazzucchelli est sa grande subtilité.
Sa décision de quitter le monde des super-héros pour la liberté des comics alternatifs a pu surprendre à l'époque, mais rétrospectivement, c'est parfaitement sensé car Mazzucchelli n'a en vérité jmais intéressé par la représentation des "morceaux de bravoure" abondant dans les comics d'action. Au contraire, il s'est toujours davantage illustré dans le dessin de scènes plus intimistes. Une fois qu'on a compris cela, on comprend pourquoi il a délaissé l'univers de héros costumés pour explorer des récits plus complexes.
Mais lors de sa collaboration avec Frank Miller pour Batman : Year One, Mazzucchelli avait mixé idéalement l'agitation et le calme, l'action et l'inertie : les comics super-héroïques ont été créés en somme pour produire des éléments kitsch, mélodramatiques, outranciers et colorés, mais dans cette mini-série, les deux auteurs ont su produire un sentiment de réalisme atypique."

Mazzucchelli a accompli cette prouesse en abordant de manière détourné les grands moments convenus du genre, en les présentant d'une façon différente que ce dont on a l'habitude. Jusqu'au dénouement de l'histoire, il privilégie des planches avec quatre bandes, au lieu des trois les plus fréquentes - et quand il n'en utilise que trois, il s'arrange pour scinder ses planches en quatre parts (deux bandes d'égale valeur dans la partie supérieure de la page, une bande équivalente à la surface de deux dans la partie inférieure - voir la page ci-dessus).
Cela ne paraît pas incroyablement important, pourtant c'est un changement fondamental pour le flux de lecture : Year One est illustré d'une manière plus sophistiquée qu'un simple "page-turner comic". Contrairement à la majorité des bandes dessinées de super-héros, conçue à la manière de Jack Kirby, où chaque information visuelle est appréciable immédiatement, les planches de Year One exigent une lecture plus vigilante, méticuleuse, à cause de l'interaction plus précise de l'image avec le texte."
Ce découpage en quatre bandes rompt le rythme naturel de la lecture d'un comic-book de super-héros comme nous le voyons encore ci-dessus. le moment-clé de cette page se situe dans la deuxième vignette, lorsque Batman porte un coup qui casse en deux une colonne. Tout de suite après, l'image dominante de la page, la plus grande des quatre qu'elle compte, est la troisième vignette, lorsque le plafond s'effondre sur le groupe de policiers et permet au héros de s'en éloigner.
Cette narration résume entièrement l'approche de Mazzucchelli dans ces épisodes : au lieu de faire le point sur l'action la plus cinétique (le coup de pied), il choisit d'en valoriser la conséquence (l'effondrement du plafond et la séparation des personnages).
Pourquoi ? Parce que le coup porté par Batman est une action rapide, mais ce qu'il provoque est plus important, donc Mazzucchelli lui accorde une case plus grande et donc plus marquante pour le lecteur. Cette fois (et encore par la suite), dans Year One, Mazzucchelli refuse l'emphase, s'en écarte, et déplace notre regard : plutôt que de souligner l'action du héros, il met l'accent sur ce qui lui succède, plutôt que de privilégier l'impact de l'action plutôt que l'action elle-même."

Mazzucchelli décide encore, avec ce dernier exemple ci-dessus, de favoriser la troisième bande de la planche qui devient le centre de notre attention immédiate. La conclusion de la page est illustrée de manière beaucoup plus sobre, avec deux vignettes plus petites qui font écho à celles de la deuxième bande. Un examen de cette planche révèle qu'elle est en fait construite comme un gag en quatre cases ponctué par une introduction (les deux premières cases de la première bande) et une image sur laquelle notre attention se focalise (la vignette de la bande 3 donc).
Ce découpage donne un rythme musical à la planche, un tempo régulier, avec un "break" au milieu : c'est du jazz appliqué à l'art séquentiel.
Aujourd'hui, les planches sont le plus souvent disposées de manière plus musclée, avec une succession de plans plus percutante, tandis que dans Year One, nous avons affaire à un travail plus subtil qui fait appel à une structure symétrique. Cette finesse rappelle à point que l'agencement des cases sur une page peut produire un effet plus fort quand les images sont disposées de manière élaborée que comme une suite de vignettes tape-à-l'oeil mais qui aboutit à une lecture plus hâchée. 
C'est tout l'art, ainsi résumé, d'un des meilleurs dessinateurs américains modernes.

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