dimanche 3 octobre 2010

Critique 168 : QUAI D'ORSAY, CHRONIQUES DIPLOMATIQUES - TOME 1, d'Abel Lanzac et Christophe Blain

D'ordinaire je lis les livres sans me soucier de leur réputation et je fuis volontiers les grilles de lectures pour aller de-ci, de-là, au gré de ce qui passe, préférant choisir les ouvrages par rapport à ceux qui les font plutôt que par rapport à leur sujet. Toutefois, il arrive quand même qu'un bouquin vous fasse de l'oeil et que ce qu'on en dise finisse par vous ouvrir l'appétit. Si, en plus, il est signé par au moins un artiste qui vous a enthousiasmé auparavant, il devient difficile de résister.
C'est ainsi que j'ai voulu lire ce Quai d'Orsay - Chroniques diplomatiques, synthèse de tous les critères précités : d'excellents échos, un sujet intriguant, un dessinateur accrocheur. Autrement dit : une BD ayant pour cadre la vie politique, réalisé par l'auteur des formidables Isaac le pirate et Gus.
*
L'histoire a pour protagoniste Arthur Vlaminck, un jeune politologue, plutôt de gauche, qui est recruté par le ministère des affaires étrangères d'un gouvernement de droite. Il a pour mission de rédiger les discours du ministre, ou plutôt les "langages" : la distinction a son importance car cette tâche englobe à la fois de la communication et la parole d'Etat. C'est donc d'abord une histoire de mots et de ce qu'ils produisent, de la manière dont on s'en sert, de l'impact qu'ils ont, de ce qu'on veut leur faire dire sur la conviction de l'orateur mais aussi sur les usages à respecter.
*
Il n'y a aucun mystère : le ministre représenté dans Quai d'Orsay et nommé Alexandre Taillard de Worms n'est autre que Dominique de Villepin, dont la silhouette est reconnaissable entre mille et dont l'emphase verbale est à peine pastichée. Mais pastichée avec beaucoup de talent, sans facilité.
Et il s'avère que l'ennemi de Nicolas Sarkosy fait un fabuleux héros de bande dessinée ! Le scénario est d'abord l'oeuvre d'Abel Lanzac (un pseudonyme), qui a travaillé dans l'entourage proche de l'ex-premier ministre et locataire du Quai d'Orsay durant le quinquenat de Jacques Chirac : le sens du détail est criant de vérité et la description des cabinets remplis de conseillers (plus ou - souvent - moins utiles) est jubilatoire, mais c'est surtout le portrait de Taillard de Worms/de Villepin qui est saisissant et drôlissime.
Acteur excessif, cabotin, décalé (comme le résume Vlaminck, "c'est X-Or. Il t'emmène dans son monde pour mieux te vaincre"), déboulant dans les pièces comme une bourrasque à grands coups de "Vlon !", il suscite de grands éclats de rire comme peu de héros comiques en provoquent.
A travers cette figure hors du commun, c'est la relation du fonctionnement effarant d'un ministère (et ses liens avec les autres bureaux du gouvernement) qui est dépeinte : tout le monde semble naviguer à vue, avec pour principale ambition de marquer les assistances lors de discours et de gagner du temps quand des tensions internationales éclatent (principalement en Afrique).
Le mélange de complexité pour les situations géo-politiques et de vulgarité pour la façon d'y faire face est comparé à plusieurs reprises à la bande dessinée ("c'est comme Tintin"), ou comment trouver des répliques simples à des questions compliquées. Des références alternatives à Star Wars représentent Taillard de Worms à Dark Vador et Vlaminck à son disciple, témoignant de la fascination trouble qu'éprouve le "ghost writer" pour son employeur.
*
Sans Christophe Blain, qui a co-signé le scénario (qui tient moins en une intrigue - sinon celle de la rédaction du discours parfait - qu'en une succession de séquences) et réalisé les dessins, cet album n'aurait pas la même puissance comique.
Son graphisme nerveux et son génie de la gestuelle donnent au projet une facture exceptionnelle : il prouve une fois encore l'étendue du registre de cet artiste.
*
Piquant et singulier, hilarant et inattendu, ce Quai d’Orsay est un des chefs d’œuvre parus cette année.

Aucun commentaire: